La voix du «Roi des rois»
Le roi des rois est un livre jeunesse publié aux éditions Magnard Jeunesse. Son auteure, Nathalie Wyss, y raconte le quotidien d’un jeune orphelin qui vit en Inde dans une grande misère et doit affronter la mort de son meilleur ami. Véritable exercice d’empathie, ce texte met à l’épreuve le sens de la justice du lecteur et lui fait prendre conscience du fléau vécu par des milliers d’enfants en Inde. Avec le style sensible et poétique qu’on lui connaît, Nathalie Wyss prête sa voix à ceux qui en sont privés. Rencontre autour d’un récit coup de poing.
Le roi des rois est un livre jeunesse publié aux éditions Magnard Jeunesse. Son auteure, Nathalie Wyss, y raconte le quotidien d’un jeune orphelin qui vit en Inde dans une grande misère et doit affronter la mort de son meilleur ami. Véritable exercice d’empathie, ce texte met à l’épreuve le sens de la justice du lecteur et lui fait prendre conscience du fléau vécu par des milliers d’enfants en Inde. Avec le style sensible et poétique qu’on lui connaît, Nathalie Wyss prête sa voix à ceux qui en sont privés. Rencontre autour d’un récit coup de poing.
Bianca Zanini: Le titre Le roi des rois a provoqué en moi – avant même la lecture du texte – des interrogations et des ressentis; il m’a fait penser à plusieurs associations. Comment ce titre est né?
Nathalie Wyss: Au départ, j’avais intitulé mon roman Pour un chapati[1]. Mais, d’entente avec l’éditrice, nous avons opté pour Le roi des rois, un titre qui nous semblait plus parlant pour les lecteurs. Il est vrai que tout le monde ne sait pas ce qu’est un chapati.
Le narrateur-protagoniste du livre n’est pas nommé. Y a-t-il une raison à cela?
Je trouve que c’est intéressant de ne pas tout savoir sur un des personnages; j’aime bien laisser libre cours à l’imagination des lecteurs. Et puis, finalement, le prénom du protagoniste n’est pas essentiel. Ce qui importe surtout, c’est sa situation particulière: il est orphelin, vit dans la rue et doit faire face à la perte de son meilleur ami…
Vous avez porté un soin tout particulier au choix des mots, de manière à rendre ce récit très concret, comme si vous aviez vous-même vécu en Inde. Pourriez-vous nous en dire un peu plus?
Je me suis demandé: «Qui suis-je pour parler d’un pays que j’ai visité deux mois? Ai-je la légitimé d’écrire sur un pays, comme si j’y vivais?». J’ai fini par m’autoriser à le faire, car j’avais besoin d’extérioriser l’Inde. Bizarrement, cette histoire m’est venue presque de manière automatique. Depuis la première phrase, je ne me suis pas arrêtée d’écrire. Le récit s’est imposé à moi; je ne l’ai pas cherché. J’avais aussi envie de raconter l’Inde d’une manière actuelle.
Comment avez-vous fait pour vous ancrer si fortement dans cette culture?
L’Inde ne nous laisse pas vraiment le choix: on y arrive et on est ancré d’emblée. C’est tellement fou, tellement horrible, tellement beau, tellement fort. Je crois que tous ceux qui visitent ce pays partagent ce sentiment. L’Inde nous pulvérise et nous renvoie à toutes nos peurs d’enfant. Là, je reprends les mots de Patrice Favaro[2] à propos de son expérience en Inde car j’ai les mêmes impressions que lui. Pendant mon voyage, j’adorais l’Inde et je la détestais en même temps. C’est une constante dualité d’émotions qu’on éprouve dans ce pays, encore plus quand on est une femme. Il m’arrivait souvent de ressentir de la colère. Lorsque je ne me sentais pas bien, je montais sur les toits. Les images folles et sublimes qui s’offraient à mon regard – par exemple, les enfants qui font voler des cerfs-volants – et la lumière si particulière de l’Inde m’apaisaient, alors que quelques instants plus tôt je me disais: «Je n’en peux plus!». Dans la même journée, on passe par mille émotions différentes.
Dans Le roi des rois, il est beaucoup question des inégalités sociales en Inde. Comment cela a été pour vous d’être témoin de cette réalité?
Cela a été un choc, d’une certaine manière. Cette réalité est tellement flagrante, tellement absurde que j’avais envie de la raconter. En Inde, on peut voir des égouts à ciel ouvert et, juste à côté, de gros buildings luxueux en cours de construction. La publicité et les médias éveillent chez les gens un désir de luxe. Le fossé entre ce rêve de luxe et la misère est omniprésent. Ce sont deux mondes qui se heurtent en permanence. On a parfois l’impression que la classe sociale des intouchables – plongée dans la misère la plus abyssale – justifie l’existence d’un autre groupe, situé à l’extrême opposé: les riches.
«Normalement, il y a toujours du monde, des bras de partout, des sourires et de l’amour jusque sur les toits.» (p. 49). Malgré tous les problèmes liés à la pauvreté, vous nous montrez qu’en Inde il existe aussi un grand élan de solidarité, qui caractérise les relations interpersonnelles.
Oui, j’ai été témoin de cette incroyable solidarité. Mais elle ne suffit pas pour résoudre les problèmes complexes liés à la misère. En tant que femme, il n’est pas rare de se faire insulter, voire agresser, par les hommes. Chez les femmes, en revanche, il y a cette tendresse dans le regard, ces sourires… une sorte de complicité. J’ai été très touchée de voir à quel point elles étaient protectrices avec moi.
Le deuil est une thématique qui accompagne tout le récit. C’est un deuil particulièrement douloureux, puisqu’il est question du décès d’un enfant dans un accident. Pourquoi mettre cet événement au centre?
C’est difficile à dire. Je n’ai pas vécu de grands deuils dans ma vie. Il n’existe donc pas un lien personnel avec mon histoire… Peut-être avais-je besoin de parler de la mort, parce qu’elle est partout en Inde. Je suis en outre une grande peureuse; je crains de perdre mes proches, d’autant plus maintenant que je suis maman. Je pense que ce récit était une manière d’extérioriser la peur que j’ai par rapport aux possibles pertes de ceux que j’aime; une peur que l’Inde a réveillée. Et puis, lorsqu’on écrit, on ne sait jamais trop où les personnages vont nous entraîner. Je n’ai pas commencé ce livre en pensant raconter un accident et le décès d’un enfant. Je me suis laissé emporter par l’histoire. De manière générale, c’est au moment où j’écris que les évènements prennent forme.
Vous décrivez remarquablement bien le fort lien d’amitié qui unit le narrateur et Shiva. Quelles étaient vos motivations à parler de ce sujet?
Les personnages principaux sont à un moment de leur vie où l’amitié surpasse tout. De plus, mon narrateur et Shiva sont seuls au monde…
Malgré la réalité dure et crue, on ressent de manière très forte la présence de la résilience et de l’espoir chez le narrateur et Shiva. D’où ont surgi ces bribes d’espoir?
Je pense que les enfants sont plus «forts» que les adultes, dans le sens où ils sont animés par cette pulsion de vivre qui les rend résilients. Par exemple, le narrateur du Roi des rois fait face à des épreuves très difficiles avec un grand courage.
J’adore les périodes de la préadolescence et de l’adolescence, même si c’est un passage compliqué; j’en garde un très bon souvenir. La vie bouillonne tout le temps, comme si on était éternel et qu’on pouvait tout surmonter. Et puis l’Inde est à l’image de la vie en général, très contrastée: il peut à la fois s’y passer des événements affreux et d’autres sublimes.
Votre récit est imprégné de la spiritualité et de la culture indiennes. Quel a été l’impact de ces éléments sur vous lors de votre voyage?
En Inde, la spiritualité est présente partout. On ne peut pas passer à côté et c’est tant mieux, parce que cela donne de l’espoir à beaucoup de gens. C’est comme un souffle, un élément vital, ou presque. C’est beau, enrichissant, fascinant.
Quelle image liée à la spiritualité en Inde vous vient maintenant à l’esprit?
Les gens qui se baignent au bord du Gange, à Vârânâsi. C’est tout un rituel: ils se nettoient, boivent cette eau, même si elle est polluée. C’est une explosion de spiritualité.
Qu’est-ce que ce voyage a changé en vous?
Ce voyage m’a permis de prendre conscience de ma chance et m’a beaucoup apporté. Il m’a incroyablement enrichie, m’a fait grandir. Je suis très contente d’avoir visité ce pays, même si cela n’a pas toujours été facile.
À part le livre, est-ce qu’il y a un autre élément de l’Inde qui vous accompagne encore aujourd’hui?
Je porte en moi cette très forte expérience comme un tatouage invisible.
Pourquoi destiner de tels sujets aux adolescents?
Les adolescents ont besoin de se confronter à des réalités difficiles et je pense qu’ils sont tout à fait capables d’affronter des sujets lourds et complexes, comme le deuil et les injustices sociales. Ce que je souhaitais surtout que les adolescents retiennent de cette lecture, c’est l’espoir.
[1] Pain indien plat et arrondi qui ressemble à une crêpe.
[2] Auteur français qui a voyagé régulièrement en Inde, pays qui l'a aussi inspiré pour l'écriture de certains ouvrages.