Au pays du Soleil-Levant: 14 ouvrages pour découvrir la culture japonaise
Chine, Japon, Corée
Escales en Asie de l'Est 5
Chine, Japon, Corée
Escales en Asie de l'Est 5
Pour clore notre dossier thématique consacré à l’Asie de l’Est, nous vous proposons de découvrir toutes les beautés de la culture japonaise à travers une sélection de 14 livres qui nous ont tout particulièrement plu tant par leur forme que par leur manière d'aborder les diverses facettes du pays du Soleil-Levant.
1. Série Mon imagier japonais, de Julie Blanchin Fujita, Hikari, 2018-2019
Imagier, dès 1 an
Des albums tout-carton, de petit format et aux bords arrondis pour faire découvrir la culture et la langue japonaises aux très jeunes enfants par l’intermédiaire de mots du quotidien: voici ce que proposent les éditions Hikari avec la série bilingue Mon imagier japonais. Chaque titre (il en existe cinq à ce jour) explore une thématique différente, mais selon un même principe (à l’exception de Je compte dont les traductions en japonais apparaissent d’une autre manière).
La page de gauche présente une illustration très douce réalisée à l’aquarelle sur un fond coloré par Julie Blanchin Fujita. Sur la page de droite figurent diverses graphies. Le mot français, en lettres cursives, apparaît tout en haut. En-dessous, on trouve les différentes variantes japonaises: d’abord la prononciation en caractères latins (rōmaji), puis le kanji (idéogramme d’origine chinoise) et enfin, tout en bas, le mot en écritures syllabaires (en katakana à gauche et en hiragana à droite).
Une autre particularité de ces petits livres, c’est qu’ils associent des éléments typiquement nippons (le chien Akita, le carillon fūrin, le cochon en céramique anti-moustiques…) à d’autres issus du monde occidental. Un métissage intelligent, qui permet d’instaurer un dialogue plutôt que d’ériger des frontières.
Mon imagier japonais est une série simple, mais efficace, qui ravira sans doute les familles binationales et toutes celles amoureuses du pays du Soleil-Levant. (DT)
L’imagier le plus gourmand: Les aliments
On connaît l’importance que la nourriture et la cuisine revêtent au Japon. Dans cet album, à côté d’aliments de base (comme la pomme) on trouve des spécialités japonaises (la soupe miso, les nouilles rāmen ou encore les beignets frits) qui mettent drôlement l’eau à la bouche!
L’imagier le plus poétique: En balade
Hop! On enfile ses chaussures (kutsu) et c’est parti pour une promenade. De la toute petite coccinelle au majestueux mont Fuji, en passant par le cerisier en fleur: quelle est belle la nature!
2. Sur la colline, de Kota Taniuchi, MeMo, 2018 (réédition)
Album, dès 3 ans
C’est grâce au père Maurice Cocagnac, théologien français, peintre, écrivain, musicien, exégète, résistant, voyageur... que ce texte, découvert lors d’un séjour au Japon (où il est publié en 1970), sera adapté en France, aux Éditions du Cerf en 1972, sous le titre Là-haut sur la colline. Cet ouvrage tout en simplicité, économie et sobriété dans l’image et le texte reflète bien l’art de l’album japonais et pourra peut-être ravir grands comme petits.
MeMo, dans son édition de 2018, restitue à l’œuvre son texte initial en traduisant au plus près le texte original de Kota Taniuchi. Le grain de papier valorise les illustrations, qui permettent au récit de prendre son envol. Dans le frais et verdoyant printemps, un enfant enfourche son vélo et se hâte. Il traverse les prairies, où tout est encore calme, et se dépêche car elle attend! L’enfant s’installe au sommet de la colline et guette sa présence. Le lecteur s’interroge. Quel est ce mystère qui éveille et impatiente tant l’enfant? Rien ne vient, est-il trop tôt, trop tard? Non, ça y est l’enfant l’entend, la voilà: elle est là, et le met en joie. Il la suit, prolonge son plaisir... En dire plus serait gâcher un peu le bonheur de découvrir ce secret par bribes et celui d’accompagner ce petit bonhomme dans le régal d’un moment qui glisse dans l’onirique. (DB)
3. Yasuke, de Frédéric Marais, Les fourmis rouge, 2015
Album, dès 4 ans
Yasuke est un album pour enfants de Frédéric Marais au texte et à l’illustration, inspiré d’une histoire vraie. Cet ouvrage très graphique relate la trajectoire de vie peu commune de Kuru-San Yasuke, premier samouraï noir, né en Afrique en 1530 et mort au Japon en 1582. Auréolé du fameux Prix Sorcières en 2016, dans la catégorie album jeunesse, ce livre a été bien accueilli par le public.
En quadricolore numérique, turquoise, rouge-brun, noir et blanc, au dessin franc et épuré, cette histoire est une quête d’identité originale: celle d’un homme qui naît sans nom, en territoire africain, et qui n’aura de cesse de forger sa propre personnalité au détriment de toute tradition. Le récit d’un enfant berger marqué au fer, tout comme les bêtes avec qui il dort et qu’il fait paître. Cet être, à qui personne n’adresse jamais la parole, choisit finalement de rêver et d’oser aller au-delà d’une réalité d’esclave sans honneur. Il imagine que quelqu’un, quelque part, lui donnera un nom et après des jours de marche il s’embarque sur un bateau. Au sein de l’équipage pour lequel il travaille de nombreuses saisons, personne cependant ne lui donne encore de nom d’homme... Puis il accoste une terre inconnue, où un seigneur de guerre, découvrant pour la première fois un homme à la peau sombre, reste stupéfait par son regard et ses qualités physiques. C’est le début d’une reconnaissance... Au fil du récit, la vie permettra au héros de revêtir non seulement un nom et un honneur, mais aussi un costume, sa vie s’étoffant finalement au contact de l’altérité.
Le texte sobre et court insuffle un rythme, tout comme de l’essentiel et du direct à la narration. Côté illustration, Frédéric Marais utilise ici des couleurs complémentaires dans une tonalité peu commune. Le rouge-brun fait écho à la terre africaine et à ses roches, à son incandescence, sa chaleur, mais aussi à la peau d’ébène du héros. On pense aussi au sang qui jalonne le chemin d’un guerrier samouraï. Le bleu-vert raconte le ciel, l’océan, les espaces infinis et les îles qui les sertissent. Ces nuances favorisent les contrastes et l’illustrateur s’en sert pour jouer avec les niveaux de profondeur, pour des effets 3D réussis. Frédéric Marais orne également son dessin d’ombres chinoises, et en illustre certains arrière-plans, façon orientale. L’Asie se révèle ainsi au fur et à mesure que l’Afrique s’éloigne. La double-page de tsunami (que revêt aussi la couverture), référence à la vague d’Hokusaï, rend hommage à l’esthétique japonaise sobre et minimaliste, qualités chères à l’auteur dans l’élaboration d’une histoire illustrée. Le destin légendaire de cet homme permet ici un ouvrage très mature, qui interpelle les enfants et les adultes à de nombreux égards. (DB)
4. Emma à Tokyo, de Claire Frossard et Naohiro Ninomiya, Belin jeunesse, 2019
Album, dès 5 ans
Quatrième opus d’une série relatant les voyages de la moinelle Emma, cet album conjuguant texte, illustration et photographie nous emmène en Asie. Lors d’un voyage en montgolfière au-dessus de l’océan, Emma, après avoir visité Rome et Paris, souhaite rentrer à New York. Mais elle fait malheureusement face à un ouragan et atterrit en catastrophe dans un pays inconnu. C’est le Japon qui, cette fois, lui fait terre d’accueil. Sa montgolfière ayant subi un sérieux revers, il lui faudra la réparer afin de reprendre la route; la petite moinelle s’enquerra donc de solutions. Les rencontres seront au rendez-vous et c’est grâce aux liens de solidarité tissés avec les entités locales que se dessinera une issue à la mode japonaise.
Au fil du récit, d’aléas en péripéties, on découvre des éléments caractéristiques et symboliques de cette culture: les temples, les chats bonheur, les civilités, les yokai (esprits malicieux hantant le royaume des vivants), les origamis, la fête des enfants, la cuisine traditionnelle, la langue aussi... C’est une immersion intéressante, la découverte d’un Tokyo traditionnel, riche et coloré. Et cela est rendu possible grâce à l’illustration: c’est en effet vraiment sur ce plan que ce livre fait miracle. De délicats dessins colorés ornent les doubles pleines pages de photographies, et révèlent une galerie de personnages, Emma notamment, avec son béret et ses bottes à pois, mais aussi des chats, des souris, des écureuils, d’autres oiseaux... Se jouent ainsi, en parallèle de la trame principale, nombre de scénettes qui l’enjolivent. Il y a aussi foule de motifs enfantins, des feuilles, des fleurs, des papillons, des lucioles, un arc-en-ciel... C’est vraiment très charmant et réussi. Cela cadre parfaitement avec la notion de kawai, ce «mignon» typiquement japonais. Ces dessins mêlés au réel sont la véritable signature originale de cette série. Emma découvrira ainsi différents univers japonais: maison traditionnelle, temple, boutique d’artisan, rue marchande, jardins, forêt de bambou... révélant qu’au Japon, les espaces ne semblent pas être délimités de façon aussi stricte qu’en Occident. Les frontières sont plus floues, les hauts buildings côtoient le traditionnel, les rues et les marchés sont couverts, le «onsen» (bain thermal naturel) est mitoyen, les maisons toutes végétales sont le prolongement du jardin... Ainsi, tout aux joies de la découverte, ce voyage pourra nourrir l’imaginaire et le contentement. (DB)
5. Les amants papillons, de Benjamin Lacombe, Seuil Jeunesse, 2015 (réédition)
Album, dès 6 ans
Maoko vit dans un petit village reculé. Le jour de ses quatorze ans, son père estime qu’il est temps pour elle de se rendre à Kyoto pour «apprendre les bonnes manières». Pourtant, elle sait que la formation qui l’attend l’empêchera de vivre sa vie et ses émotions librement. «Ce qu’elle aime, c’est lire, écrire des poèmes et des haïkus, rire lorsqu’elle est heureuse et pleurer lorsqu’elle est malheureuse». Maoko décide alors de se déguiser en homme, afin de pouvoir étudier la littérature. Sa rencontre avec Kamo, un jeune étudiant, colore le quotidien jusque-là terne de la jeune fille. Quel genre poétique japonais va permettre à Maoko de dévoiler subtilement à son ami qu’elle est une fille? Quel grand malheur séparera les deux jeunes gens, juste au moment où un amour devient possible?
Cet album au grand format met somptueusement en valeur la finesse du trait de Benjamin Lacombe. La combinaison des couleurs est remarquable, que ce soit dans les tons ocres ou dans les bleu-vert. Proposant une langue riche, l’ouvrage est agrémenté d’un petit lexique. L’auteur-illustrateur établit des ponts entre différentes histoires et légendes, venant de plusieurs coins du globe. Il réécrit et ré-illustre, en la situant dans un Japon traditionnel, une célèbre légende chinoise mettant en scène les amants Liang Shanbo et Zhu Yingtai. Son œuvre fait en même temps écho à des «classiques» comme l’opéra Madame Butterfly ou encore à plusieurs œuvres de Shakespeare (La Nuit des rois, ou Ce que vous voudrez, ainsi que Roméo et Juliette).
Seul petit bémol: Benjamin Lacombe reprend le cadre hétéronormé de la légende chinoise, sans exprimer de prise de distance par rapport à celui-ci (le fait que Maoko soit un garçon «pose bien des soucis à Kamo»).
Pour les amateurs des créations de Benjamin Lacombe, je recommande également le livre d’artiste Madame Butterfly (Albin Michel, 2013), un leporello de huit mètres de long qui met librement en texte et en images l’opéra éponyme de Puccini ainsi que Madame Chrysanthème de Pierre Loti. (CS)
6. Le secret du clan, de Gilles Baum et Thierry Dedieu, HongFei Cultures, 2020
Album, dès 6 ans
Chaque été, une fillette japonaise séjourne chez son grand-père dans un minuscule village sur une île de pêcheurs. Cette année, elle est intriguée par un crabe tatoué sur l’avant-bras de son aïeul, comme sur celui d’autres insulaires, et cherche à élucider le mystère. Le dernier soir de la fête des âmes, alors que la lanterne de sa défunte épouse vogue sur l’eau, le vieil homme comprend que le temps est venu d’emmener sa petite-fille à la découverte du secret du clan.
L’histoire ne se limite pas au lien profond entre un grand-père et sa petite-fille ou au simple dévoilement d’une énigme teintée de fantastique. Le récit tient plus de la transmission d’un héritage culturel, de la recherche du sacré d’un Japon ancestral au-delà des générations. L’apprentissage initiatique mène au partage de valeurs humaines nobles et sincères, dont l’émerveillement face à la beauté de la vie et le respect des mystères de la nature.
Dans cette nouvelle collaboration entre l’auteur Gilles Baum et l’illustrateur Thierry Dedieu, la simplicité du texte se conjugue au minimalisme du graphisme pour aller à l’essence même du message. Le texte concis de Gilles Baum, énoncé au présent par la fillette, suggère avec sensibilité la force du lien intergénérationnel. Les collages de papiers déchirés donnent une sobriété extrême à l’image. Les fonds aux couleurs nuancées mettent en valeur les éléments de la narration, formes architecturées par un liseré blanc qui donne de la profondeur à la page. Les visages limités aux contours sont surprenants de réalisme dans leurs expressions. Le bandeau hachimaki du grand-père, le chat maneki-neko, les lanternes du festival O-Bon, le crabe en origami sont autant de symboles nippons qui permettent de situer l’histoire.
La révélation d’un mystère accessible aux petits lecteurs pour un message d’amour et de respect en héritage. Nul besoin de tatouage pour garder un secret! (MNL)
7. Le bonhomme Kamishibaï, d’Allen Say, L'École des Loisirs, 2006; collection Lutin poche, 2009
Album, dès 6 ans
Des illustrations d’une délicatesse toute nippone, une histoire émouvante, des personnages attachants, des mots qui parlent juste, tout, dans cet album, tisse des liens parfois forts, souvent ténus, toujours fragiles. Des liens entre le passé, les origines, la tradition et ce présent, tellement différent, incompréhensible même, quand l’âge a de la peine à accompagner le rythme, dévastateur, de l’évolution sociétale…
Sans poser de questions, ces deux narratives textuelle et visuelle, artistiquement entrelacées comme les fils d’une fine broderie, questionnent pourtant le lecteur, et ce, en profondeur. Quelles relations entretenons-nous avec nos origines, notre éducation, notre vécu? Quelle place réservons-nous à la simplicité de notre histoire dans le flux imparable de la grande Histoire?
Jiichan et son épouse, Baachan, aux noms qui signifient respectivement «grand-père et grand-mère», tous deux pourtant sans petits-enfants, sont les personnages au charme particulier de ces anciens, sages expérimentés, porteurs de traditions et témoins d’une vie actuelle où l’humain a été progressivement comme substitué par la technologie… De leur enfance, ils ont encore la saveur de ces moments inoubliables où les habitants assistaient, curieux, aux aventures contées par le Bonhomme Kamisibaï, maître de son petit théâtre en papier. Chaque jour, ils attendaient, impatients, le lendemain pour suivre le prochain épisode qui défilerait alors devant leurs yeux ravis et leurs cœurs chamboulés.
Les images qui sortent du castelet de notre conteur japonais, héros de temps révolus, font émerger en chacun de nous, lecteurs, des souvenirs délicieux et émerveillés, colorés et parfumés, de notre mémoire d’une enfance d’un autre temps, des images comme les bonbons extraits du tiroir sous le kamishibaï du vieil homme à bicyclette. Il parcourt les mêmes chemins qu’il ne reconnaît plus, déboussolé, sans repères, dans cette jungle citadine qui a progressivement anéanti la nature d’avant, celle de ses racines, terre de ses ancêtres. Perdant presque pied, le Bonhomme Kamishibaï entend soudain une voix forte, qui, tout en le projetant dans le passé, l’ancre dans le présent: celle de l’enfant, devenu grand, qui se souvient de ces mini-spectacles quotidiens, avec ce bonheur tissé de mélancolie qu’un adulte ressent, perdu lui aussi dans des souvenirs lointains autant qu’éblouissants, en ce fragile équilibre de l’âge mûr…
Un album nimbé d’une poésie visuelle et textuelle caractéristiques d’une vraie œuvre d’art, une symbolique du passage irréversible du temps et des changements de l’espace, des relations humaines transgénérationnelles, du devoir de mémoire et de l’amour du conteur qui entretient le lien, précieux, fragile, dans un message épuré car essentiel… Magnifique! (SR)
8. Yahho Japon!, d’Eva Offredo, Maison Georges, 2021
Documentaire, dès 7 ans
Si l’évocation du Japon rime souvent avec pop culture, jeux vidéo, mangas et mégalopole, Yahho Japon! nous présente le pays du Soleil-Levant sous un angle inhabituel. Avec le concept de «wabi-sabi», défini par l’autrice-illustratrice comme «l’anti bling-bling», l’authenticité et l’utilité des choses sont mises au premier plan dans toute l’œuvre. C’est cette authenticité qui guide Shikiri la lutteuse de sumo, Moso l’artificière et cinq autres femmes japonaises, dont les métiers pourraient paraître surprenants au premier abord. Ces femmes ont pour point commun d’être volontaires et passionnées, de donner à leur activité professionnelle un sens profond, tout en «profit[ant] du moment présent et des petits riens».
Le graphisme d’Eva Offredo, lui aussi, est tout sauf «bling-bling». Comme Shikiri, Moso et les autres, elle va à l’essentiel. La géométrie est un élément important de son style, à la fois expressif et minimaliste. A chaque femme et chaque univers est attribuée une couleur, travaillée en bichromie – rouge, rose, beige, jaune, brun, violet et vert. La mise en page, non conventionnelle, rappelle les planches que certains chercheurs considèrent comme l’ancêtre de la bande dessinée: ces planches où, les bulles n’ayant pas encore fait leur apparition, le dessin surmonte un bloc de texte, placé dans un espace distinct (p. ex. les œuvres de Rodolphe Töpffer, 1830-1840). La mise en page proposée par Eva Offredo, peut-être encore d’avantage que le «gaufrier» classique, ouvre de nombreuses possibilités de trajectoires visuelles, rendant une lecture «à quatre yeux» d’autant plus amusante.
Cet objet non identifié – docu ou fiction? BD ou imagier? – nous invite à réfléchir à des questions fondamentales de notre époque, telles que notre manière de consommer, la place des femmes dans la société, ou encore le recyclage. A mettre entre toutes les mains, mais prenez garde: la passion d’Eva Offredo pour le Japon est contagieuse! (CS)
9. Le royaume de Kensuké, de Michael Morpurgo, lu par Thierry Hancisse, Gallimard Jeunesse, 2019 (réédition)
Livre-audio, dès 9 ans
Le royaume de Kensuké, dans la formidable collection Écoutez lire de Gallimard Jeunesse, est une adaptation du livre homonyme de Michael Morpurgo; ce livre a reçu de nombreux prix de littérature jeunesse et s’inscrit dans la vaste œuvre d’un auteur qui a souvent goût d’évoquer les liens intergénérationnels et ceux entre l’homme et l’animal.
Lorsque les parents de Michael se retrouvent au chômage, ils décident de faire un tour du monde à la voile et s’embarquent en famille avec leur fils et leur chienne Stella pour un an de voyage. Mais une nuit en mer, mal sécurisés, l’enfant et le chien passent par-dessus bord et font naufrage... Ils échouent tous deux, vivants, sur une île du Pacifique loin d’être déserte. Les rescapés ne tarderont donc pas à entrer en contact avec les différents habitants de l’île. Tous les matins, une assiette est déposée à leur intention. Et à l’enfant de découvrir l’identité de son généreux donateur... pour une rencontre inoubliable.
Ce texte est servi par l’immense talent de comédien de Thierry Hancisse, qui nous fait vivre cette aventure de façon unique et incarne excellemment les différents personnages. Une mention spéciale à lui, pour avoir su retranscrire les différents accents et restituer à ce texte ses reflets métissés. Durant près de trois heures d’histoire, la tension est réelle, on est captivé par cette épopée qui se situe dans la riche tradition des romans d’aventure et d’apprentissage. L’écriture est efficace et les personnages attachants. L’archétype du naufragé sur son île déserte est ici décliné de façon originale et intéressante.
Cette adaptation audio est une œuvre que l’on peut véritablement savourer en famille, tant elle est divertissante et de qualité. Une valeur sûre. Et une vive recommandation. (DB)
10. Les jours heureux, d’Antoine Dole et Seng Soun Ratanavanh, Nobi Nobi!, 2019
Album, dès 9 ans
Yuko et Sora sont impatients de célébrer Hanami, la grande fête de la floraison des cerisiers au Japon. Le frère et la sœur traversent les rues de Tokyo pour se rendre au parc et déguster des spécialités. Cette journée douce et festive est pourtant teintée de nostalgie: les enfants se souviennent des jours heureux, lorsqu’ils admiraient les cerisiers avec leurs parents…
Dans le livre d’Antoine Dole, le deuil n’est jamais abordé frontalement. L’absence y apparaît de manière subtile: les illustrations sont peintes et un élément du décor manque, laissant apparaître le support en bois brut. Cette disparition, à la fois flagrante et parfaitement intégrée à l’image, est présente tout au long du livre. Seules deux illustrations sont complètes: celles où la famille est réunie. Ce procédé d’illustration établit un parallèle avec le processus de deuil des enfants. L’absence et le manque font partie intégrante de leur quotidien, mais ils parviennent à rire, à fêter, à vivre.
De manière poétique, les fleurs de cerisier apportent du réconfort aux enfants et la fête d’Hanami leur permet de se rapprocher de leur maman. Les pages de garde du livre, illustrées de fleurs, semblent ainsi enlacer les enfants, rappelant l’étreinte d’une mère: «Hanami est là / Et à travers chaque fleur, l’amour / Embrasse le monde». (EP)
11. Japop’: tout sur la popculture japonaise! de Mathieu Rocher, La Martinière Jeunesse, 2019
Documentaire, dès 9 ans
La popculture japonaise revêt une importance croissante dans la vie culturelle des jeunes francophones. A travers mangas, animes, jeux vidéos, produits dérivés, et autres fashions et variantes, cet univers évolue et séduit toujours plus d’amateurs. Ce documentaire bienvenu nous éclaire sur ce riche pan de création contemporaine: par le biais de son histoire, d’anecdotes, de secrets, il initie de façon pertinemment illustrée à cette sphère en effervescence.
C’est un livre très structuré, en quatre chapitres avec leur couleur dédiée, déclinés en images et courts encadrés, pour une lecture facilitée et une exploration rythmée. Les grands axes de ce livre sont le manga game, les boss du jeu vidéo, l’anime mania et le street style. Chaque section fait l’objet d’une mise en page soignée et originale. L’articulation texte-image est équilibrée et très bien pensée. L’information sérieuse et documentée côtoie le drolatique et le plus croustillant. Certains focus sont réalisés sur des phénomènes majeurs et incontournables, comme One Piece et son héros Luffy, Nintendo et Mario, le style Ghibli, les cafés thématiques (les karaokés, et autres cafés expériences…).
Dans ce documentaire, une grande attention est accordée aux terminologies et expressions japonaises, sans que ce soit laborieux. Et si le jeune lecteur peut percevoir une forte et ancestrale tradition (idiome, calligraphie, estampe, sumo,..) et un sens du sacré et de la sagesse (temple, superstitions...) c’est véritablement le rapport unique entretenu à la modernité par le Japon – et plus spécifiquement Tokyo – qui imprègne les pages de ce livre. Une forme d’ode aux qualités d’innovation de cette nation, qui a développé le jeu vidéo et la littérature manga et se trouve à l’avant-garde de nombreuses formules diffusées internationalement. Ce livre référence et documente bien le fait que, depuis plusieurs décennies, les créations et les explorations japonaises deviennent souvent phénomène de masse au niveau mondial. De Hello Kitty à l’emoji, en passant par le chifumi, la puissance de pénétration culturelle nippone est en certains points remarquable.
Cet ouvrage fourni mais léger et bien dosé est donc un réel encouragement à la curiosité et à la connaissance. Il permet un véritable éveil à la culture, et saura satisfaire à la fois passionnés et novices. À savamment déguster. (DB)
12. Jour de haïku - Saisons du chat, d’Yves Cotten, Locus Solus, 2018
Poésie, dès 9 ans
Pour ce recueil, Yves Cotten a sélectionné une quarantaine de haïkus écrits par des grands maîtres japonais, datant du XVIIe au XXe siècle. Les poèmes sont classés selon les cinq saisons japonaises – printemps, été, automne, hiver et nouvel an – et illustrés par des aquarelles. Les illustrations, souvent minimalistes, permettent de laisser de la place à la fois au poème, mais également à l’imagination des lecteur·rice·s. L’ensemble est très poétique et délicat, plein de douceur.
Des chats sont présents dans la majorité des illustrations et servent de fil conducteur dans le recueil. Ils apportent ainsi une touche d’humour et un certain décalage entre leur modernité et le côté traditionnel des haïkus. Grâce au format très court des haïkus et à l’atmosphère enfantine, ce recueil permet de faire découvrir la poésie aux petits comme aux grands. (EP)
13. Les mille oiseaux de Sadako, d’Eleanor Coerr et Marc Daniau, Milan, 2011
Roman, dès 10 ans
Composé de neuf chapitres, clairement annoncés sur la page de gauche par une illustration couleur pleine page et sur la droite par l’indication du numéro du chapitre et d’un titre, en police verte, comme l’espoir «malgré tout», ce roman biographique est un fort témoignage sur l’atrocité d’une bombe atomique et de ses effets gravissimes, mais aussi de la lutte de tout un peuple pour l’installation d’un règne de paix, assurément indispensable.
Un bref prologue introduit le lecteur à la réalité de la vie de celle qui deviendra, à 12 ans, l’héroïne de cette nation japonaise; quant à l’épilogue, il donnera le très beau message de cette fillette, qui, immédiatement après sa mort, est devenue le symbole de cette volonté de paix universelle. Sous forme d’un court documentaire, cette explication finale fournit aux lecteurs des informations importantes sur différentes initiatives réalisées pour que la mort ne soit pas une fin en soi, mais le début d’une nouvelle ère: la publication du recueil épistolaire de Sadako; la cérémonie annuelle du Jour de la Paix, chaque 6 août, dans le Parc du Mémorial de la Paix à Hiroshima; la construction de la statue, monument en l’honneur de l’héroïne et de tous les enfants morts des effets de la bombe, et la création du club des grues en origami. Sous forme de haïku, le vœu gravé sur le monument invite au recueillement et à la réflexion: «Voici notre cri/Voici notre prière/Pour construire la paix dans le monde».
Les magnifiques illustrations en peinture acrylique sont réparties alternativement, entre la gauche – début de chapitre, soit commencement d’une nouvelle étape de la narration visuelle selon notre axe de lecture – et la droite – où une situation marquante est représentée; d’autres illustrations, plus petites, avec ou sans cadres, mettent en évidence certains éléments importants. Cette répartition différenciée introduit un rythme agréable de lecture et facilite l’accès au sens et à certains mots de vocabulaire spécifique.
L’histoire de Sadako et de sa famille narre une vie simple mais harmonieuse, qui égrène des jours heureux tout en douceur, sérénité et délicatesse. Le lecteur partage les occupations et petits bonheurs quotidiens de chacun de ses six membres. Il y a le fils aîné, Masahiro de 14 ans, la sœur Mitsue de 9 ans et la plus jeune, Eiji, de 6 ans. Âgée de 11 ans, Sadako, l’aînée des filles, est une fillette très agile, rapide et qui a un rêve: celui de représenter sa classe bambou à la grande course de la fête des écoles… et peut-être même d’aller plus loin. Précisément le jour de sa victoire à la course-relais, Sadako ressent un malaise, qu’elle tentera de cacher à ses parents. Mais un jour, elle en a un autre, plus violent, et elle est transportée à l’Hôpital de la Croix-Rouge. Là, l’effrayant verdict tombe alors, inéluctable: la jeune athlète souffre d’une leucémie. Ce sera par l’intermédiaire de sa meilleure amie, Chizuko, et de son cadeau d’une grue en papier d’origami doré, que la légende des 1000 grues sera ici valorisée: le bricolage d’une grue correspond à un vœu formulé par son créateur et qui permet d’espérer le miracle de la guérison! Sadako parviendra à en créer 644, chacune suspendue au plafond de sa chambre d’hôpital par son frère… mais en vain.
La numérotation des pages en vert représente comme un fil de vie qui parcourt l’histoire de la fillette, mais aussi la grande Histoire. L’écriture, simple, reflète en finesse divers éléments de la culture nippone: le respect de la tradition, l’autel pour la prière et la reconnaissance due à l’esprit des anciens qui accompagne au quotidien la famille. La narration présente également des points de repère spatio-temporel, avec le cycle des fêtes annuelles, le passage des saisons dans le feuillage de l’érable, la chaleur et la pluie, l’odeur moite de la moisissure, comme un prélude au dernier automne de l’enfant. Et toujours l’espoir, qui ne meurt pas, malgré les souffrances de la jeune victime et de ses proches, que celles-ci soient physiques ou psychiques…
Une insoutenable réalité, mais décrite avec énormément de pudeur, fomente ici une volonté accrue de paix: une œuvre à mettre entre toutes les mains, absolument! (SR)
Note: l’édition ayant servi de référence pour cette chronique est malheureusement épuisée. Le texte peut être lu dans l’édition de 2015, intitulée Les mille oiseaux d’Hiroshima, avec des illustrations de Julie Mercier.
14. Chère Fubuki Katana, d’Annelise Heurtier, Casterman, 2019
Roman, dès 13 ans
Emi, adolescente timide et solitaire, vit à Tokyo. Harcelée par des élèves de sa classe, la lycéenne peine à trouver sa place dans une société qui accorde une importance démesurée à l’apparence et qui ne tolère pas la moindre démonstration de faiblesse. Aussi, Emi est-elle contrainte de garder ses problèmes pour elle-même. Ses seules échappatoires sont la lecture de mangas et sa visite hebdomadaire au Maneko Coffee. C’est dans ce bar à chats qu’Emi rencontre Hana, une jeune femme forte et indépendante qui ne semble pas se soucier du regard des autres. À son contact, Emi va peu à peu prendre confiance en elle et retrouver sa joie de vivre. Mais un doute plane: Hana est-elle vraiment celle qu’elle prétend? Et leur rencontre doit-elle tout au hasard?
Chère Fubuki Katana est un véritable concentré de Japon contemporain! Au fil des pages, on apprend une foule d’informations sur la vie quotidienne à Tokyo, et ceci à tous les niveaux: gastronomie, traditions, loisirs, système scolaire, croyances, normes sociales, etc. Si certains aspects font sourire, d’autres, plus graves, invitent à réfléchir. Le texte évoque notamment les hikikomori, ces adolescents qui se cloîtrent dans leur chambre des mois durant, ou encore la discrimination envers les Burakumin, une minorité japonaise mise au ban de la société. La richesse documentaire de l’ouvrage ainsi que la mise en scène de personnages marginaux rappellent d’ailleurs un autre livre pour adolescents sur le Japon: le percutant Ueno Park d’Antoine Dole (Actes Sud Junior, 2018).
Avec sa touche de mystère, ses personnages attachants et ses thématiques fortes, le roman d’Annelise Heurtier emportera sans doute l’adhésion des lecteurs et lectrices qui s’intéressent à la culture japonaise. (DT)
Les rédacteurs: Delphine Bernard (DB), Marie-Noëlle Letellier (MNL), Elise Prêtre (EP), Sylviane Rigolet (SR), Camille Schaer (CS), Damien Tornincasa (DT)
Image de vignette: image intérieure de «Le secret du clan» (© HongFei Cultures)