Tout, tout, tout: vous saurez tout sur la littérature jeunesse!
À l'occasion de la publication de son guide Tout sur la littérature jeunesse: de la petite enfance aux jeunes adultes aux éditions Gallimard Jeunesse, Ricochet est allé à la rencontre de Sophie Van der Linden, éminente spécialiste des livres pour enfants et adolescent·e·s.
À l'occasion de la publication de son guide Tout sur la littérature jeunesse: de la petite enfance aux jeunes adultes aux éditions Gallimard Jeunesse, Ricochet est allé à la rencontre de Sophie Van der Linden, éminente spécialiste des livres pour enfants et adolescent·e·s.
Je n’ai jamais cru en la littérature jeunesse comme à des manuels censés apprendre la vie. La littérature est bien plus que ça. Elle est une force vive qui peut tout transformer autour de nous. Car ce changement de monde que l’on espère tous commence par changer celui où nous habitons, au-dedans. En provoquant des émotions en nous, la littérature pousse les murs, éclaire l’obscurité, crée des passerelles, déforme les frontières. Elle ne nous apprend pas à vivre, mais à être plus vivant, plus près de nous-même et plus près des autres. Nous avons tous le droit à ça. Nous avons tous le droit à des livres qui s’adressent à nous. Le droit à ces rencontres qui peuvent dévier nos routes et nos certitudes.
Extrait d’un texte d’Antoine Dole: «De l’importance des héros LGBT en littérature jeunesse», in Tout sur la littérature jeunesse: de la petite enfance aux jeunes adultes, p. 238.
Il y a dix ans paraissait aux éditions Gallimard Jeunesse le premier guide de l’autrice et critique Sophie Van der Linden sur la littérature jeunesse Je cherche un livre pour enfant. En sa qualité de conférencière et formatrice auprès des médiateurs du livre de jeunesse, cette spécialiste reconnue en France comme à l’étranger a depuis cette première publication pris conscience au fil des années de l’offre éditoriale grandissante sur le secteur de la littérature jeunesse, et partant, des besoins de repères, de conseils, de formations de la part des bibliothécaires, des enseignants, des bénévoles des associations et des parents!
Afin de répondre aux interrogations, aux attentes et à la curiosité des parents, des professionnels du livre et de la lecture, des étudiants et de tous les passionnés de littérature jeunesse, est sorti en avril 2021 son nouveau guide de référence, toujours aux éditions Gallimard Jeunesse, qui s’intitule cette fois Tout sur la littérature jeunesse: de la petite enfance aux jeunes adultes. Mêlant analyses, infos, conseils pratiques et recommandations de lecture, vous trouverez dans ce livre-somme toutes les réponses aux questions que vous vous posez en matière de littérature jeunesse: qu’entend-on par littérature jeunesse? Quels types de livres, quels genres de textes englobe-t-elle? Comment donner le goût de la lecture quand on est libraire, bibliothécaire, enseignant ou parent? Comment lire à un petit enfant? Quel livre choisir en fonction de l’âge et des goûts des enfants?
À la fois manifeste engagé (artistique et politique) pour la lecture à l’attention des parents, support de professionnalisation pour les médiateurs du livre et pur plaisir intellectuel pour les amateurs de littérature jeunesse, ce guide ravira aussi bien les novices que les spécialistes. La conception graphique et le découpage en huit chapitres servent très justement le propos par des illustrations très dynamiques, une typographie attrayante et une organisation des informations très réfléchie et claire permettant au lecteur de circuler à son envie à travers l’ouvrage.
Dans cette interview, nous vous proposons de faire plus ample connaissance avec Sophie Van der Linden et d’entrer plus précisément dans ce guide, où, comme à son habitude, elle partage avec humilité, bienveillance et exigence ses connaissances et sa passion.
Hélène Dargagnon: Avant d’entrer dans le vif du sujet, à savoir le contenu de ce guide sur la littérature jeunesse publié en avril 2021 par les éditions Gallimard Jeunesse, nous souhaiterions en apprendre un peu plus sur son autrice. Écrivaine, conférencière, critique spécialisée en littérature illustrée, vous avez de nombreuses cordes à votre arc. En quoi ce guide est-il le reflet de vos compétences nombreuses en lecture et écriture?
Sophie Van der Linden: Il est au croisement de mon activité critique, démarrée en 2000 avec la publication de la première monographie consacrée à Claude Ponti, et des conférences et formations auxquelles cette publication m’a conduite. Lire, analyser cette littérature, d’une part, en donner des repères, partager des regards et des retours d’expérience d’autre part, voilà ce qui a nourri mon travail sur ce guide.
Nous autorisez-vous à vous demander quelle lectrice de littérature jeunesse vous étiez plus jeune? Un titre vous a-t-il particulièrement marquée?
Mon premier souvenir de lecture, un peu confus, car je ne sais pas exactement quel âge j’avais, est Petit-Bleu et Petit-Jaune de Leo Lionni. Je me souviens d’une effervescence dans laquelle m’avait précipitée cette lecture: je faisais des essais de mélange de couleurs tous azimuts avec ma petite palette de peinture, tout en me disant: «Alors ce n’est pas pour de faux, ça marche vraiment»!
Qu’est-ce qui a motivé chez vous l’écriture de ce livre-somme sur la littérature jeunesse?
Il y a eu une première étape en 2010 avec les premiers guides Je cherche un livre pour un enfant.
Jusqu’alors je m’étais concentrée sur mon activité critique, sur la promotion de la création. Je me suis ensuite rendu compte que les réalisations les plus intéressantes n’étaient pas nécessairement les plus lues par les enfants, parce que peu achetées, en particulier par le grand public. Il m’a semblé qu’il fallait davantage donner de repères pour faire des choix dans cette production. Et puis, mon activité de formation m’a donné une vision assez claire des besoins ou des attentes des professionnels. C’est donc l’envie d’amener le grand public comme les professionnels vers la littérature et la création qui a véritablement motivé ce projet.
Pour qui, pour quel(s) lecteur(s), avez-vous écrit ce livre?
Pour tous. Parents, professionnels, étudiants, bénévoles… J’ai fait en sorte que le propos, l’organisation du livre soient accessibles par tous, et qu’ils soient suffisamment bien construits pour apporter au plus grand nombre. J’ai imaginé des parties qui, sans doute, fonctionneront plus pour certains. Les bibliothèques idéales, par exemple, seront certainement utiles au grand public, tandis que les informations sur les genres et les types de livres pourront davantage intéresser les professionnels.
Lorsqu’on parcourt votre guide, on se rend compte de l’offre foisonnante d’ouvrages de tous genres en littérature jeunesse. Et pourtant, on ne cesse de s’inquiéter dans les médias du manque d’appétence des jeunes à l’égard de la lecture. Êtes-vous d’accord avec cette doxa selon laquelle les jeunes ne liraient plus?
On entend cela depuis des décennies. Derrière cette antienne se cache la question des lectures qu’on imagine être les seules bonnes pour les enfants: les romans. Or, il existe une quantité de supports et de types de livres que je décris, et chacun a son intérêt. Et il faut aussi admettre que le besoin, vital, d’accéder à des histoires est aujourd’hui en partie comblé par d’autres supports culturels comme les séries ou les jeux vidéos. Il est sans doute temps de réinterroger la place du livre et de la littérature dans l’environnement culturel global des enfants et des adolescents.
Y a-t-il des ouvrages de littérature de jeunesse, des auteurs, des thématiques dont vous n’avez pas pu traiter, faute de place ou pour d’autres raisons?
À l’évidence, avec plus d’une dizaine de milliers de nouveautés par an, il n’est pas possible de citer tout le monde. Surtout, je n’ai pas réfléchi le guide en me demandant «qui ou quoi doit en faire partie?», mais plutôt, partie par partie, section par section, en convoquant les références qui me semblaient les plus appropriées en fonction du propos. Il y a donc des auteurs, des titres pourtant essentiels, auxquels je suis très attachée d’un point de vue critique, qui ne figurent malheureusement pas dans le guide. Ce n’est certainement pas un Who’s who.
Comme son titre l’indique, votre livre met à l’honneur la littérature jeunesse. Mais qu’entend-on aujourd’hui derrière les termes de «littérature jeunesse» , qui semble se définir pour exister, à la fois en regard et contre une littérature que l’on dirait de «vieillesse» et qui néanmoins n’est jamais affublée de ce nom?
Je ne crois pas que la littérature jeunesse s’oppose à la littérature disons générale. Sa particularité est d’être adressée à un public défini. Cela entraîne un certain nombre de caractéristiques que je décris dans le guide. Mais j’aime à penser cette spécificité en positif. Écrire pour la jeunesse ce n’est pas faire plus simple, plus accessible, plus accrocheur. C’est s’adresser à des lecteurs qui ont des besoins mais aussi des compétences spécifiques, par exemple en termes de lecture d’image, ou d’imaginaire. Que les livres-jeux, les mangas ou les littératures de l’imaginaire y tiennent une grande place s’explique par ces compétences propres.
Vous êtes engagée dans la promotion de la lecture, dans la lutte contre l’illettrisme et les inégalités scolaires voire sociales, en quoi la littérature jeunesse, et particulièrement la lecture à voix haute d’albums, permet-elle de lutter dès le plus jeune âge contre ces inégalités?
Les études sont maintenant nombreuses qui viennent étayer l’impact déterminant de la lecture sur la réussite scolaire et ce malgré des inégalités socio-culturelles de départ. La lecture et en particulier la lecture à voix haute est un levier puissant pour remédier aux inégalités que l’école a tant de mal à combler. Faire en sorte que tous les enfants puissent véritablement entrer en littérature est un objectif réalisable dès lors que les efforts et les moyens sont conjugués.
Pensez-vous que l’engagement récent du président de la République de faire de la lecture et de la lecture à voix haute une grande cause nationale sera enfin l’occasion de mettre en exergue l’offre variée et riche d’ouvrages proposés par de grandes maisons d’édition ou des maisons d’édition indépendantes et de valoriser tout le travail des médiateurs du livre (des enseignants, des bibliothécaires, des associations)?
Je l’espère grandement, mais cela ne pourra se faire qu’avec tous les acteurs de terrain que vous venez de citer, ils doivent être les forces vives de ce plan.
Comment la littérature jeunesse répond-elle aujourd’hui à l’omniprésence des écrans dans la vie des enfants? Cette littérature peut-elle encore satisfaire l’imaginaire de cette génération «Petite Poucette» élevée avec et élevée au numérique, comme la nomme le philosophe Michel Serres?
La littérature peut faire des liens avec les écrans, il ne s’agit pas de faire du livre un instrument contre les écrans. Par contre, on peut penser le livre comme un pôle complémentaire aux écrans: sa permanence, sa matérialité, le toucher du papier, le silence qu’il génère, la liberté de manipuler le support comme souhaité... Tous ces éléments constituent un intérêt fort dans l’ensemble général de l’environnement culturel des enfants et des adolescents...
La littérature jeunesse est une littérature ouverte sur le monde, en perpétuels questionnement et évolution. En cela, elle a pu être à ses débuts assujettie à des impérieux pédagogiques ou sociétaux dans le sens où les ouvrages répondaient à une commande. Qu’en est-il selon vous aujourd’hui? La littérature jeunesse s’est-elle délivrée de certains carcans et stéréotypes, afin de mettre en exergue la diversité des œuvres la constituant, et partant, de ses lecteurs?
Je crois surtout que l’édition jeunesse a pris conscience de certains stéréotypes, en particulier ceux liés au genre, et un travail évident est en cours pour proposer des schémas plus en phase avec la société contemporaine et ses aspirations. D’autres stéréotypes restent à travailler, ou d’autres tabous. Je suis par exemple toujours très surprise des réticences liées à la question de la sexualité dans les romans pour adolescents. On s’adresse à une catégorie de personnes pour laquelle le sexe est au cœur des préoccupations, or encore trop souvent, comme dans les romans du XIXe siècle, les rapports sexuels sont invisibilisés...
La mise en pages réalisée par Cédric Ramadier et la recherche iconographique prise en charge par Anaïck Bourhis sont un vrai plus pour ce guide. Elles rendent vivantes, résolument accessibles et attrayantes les nombreuses informations apportées, transformant ce livre-somme en un livre-objet du fait de ses qualités esthétiques intrinsèques. Avez-vous travaillé conjointement avec Cédric Ramadier à la conception graphique de cet ouvrage?
Cédric Ramadier, par ailleurs illustrateur pour la jeunesse, accompagné des équipes de Gallimard Jeunesse, a réalisé une mise en pages en effet remarquable à la fois très élégante et très pratique. J’ai pour ma part expliqué l’esprit dans lequel j’ai pensé les parties, comme la dimension panoramique de l’historique, ou la volonté de décrypter la double-page d’un manga dans une mise en abyme. J’ai également indiqué les visuels que je souhaitais placer en illustration de certains textes. Mais ensuite, tous les choix ont été faits par l’équipe éditoriale conduite par Jean-Philippe Arrou-Vignod, et ils ont donné une dimension supplémentaire, très attractive, au texte en tant que tel.
À travers ce guide sur la littérature jeunesse, on perçoit tout l’intérêt que vous portez aux enfants, aux adolescents et aux jeunes adultes dont vous ne cessez de souligner en filigrane l’énergie et l’inventivité. Si, en guise de conclusion de cette interview, vous n’aviez qu’une dernière phrase à adresser à cette jeunesse, quelle serait-elle?
Ce slogan tiré d’une affiche de Tomi Ungerer, mais aussi de l’un de ses recueils de dessins: «Expect the unexpected»!
Pour aller plus loin
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