Les savates de l'homme heureux

Quelle que soit la latitude ou la situation, la naissance d’un premier enfant amène à reconsidérer nos valeurs et notre mode de vie, de par les bouleversements qu’elle engendre. C’est ce que vit Pito « lorsqu’il découvrit son premier bébé ». Texte et image confirment ce sentiment. Le père heureux, le tout-petit dans les bras, se sent appelé par le soleil, une nuée d’oiseaux vini l’environne, la végétation exubérante et colorée l’enveloppe, à l’image de sa joie. Le texte exprime ce bouleversement profond et appelle des images d’eau qui ruisselle, de souffle qui emporte ; une dimension poétique ou mystique d’éveil au monde.

Cette ouverture lance le questionnement de Pito « de quoi Bébé avait-il besoin pour être heureux, heureux vraiment ? » et structure le récit sous la forme d’un conte de quête. Pito va voir « Celui-qui-sait-tout » et celui-ci l’envoie chercher les savates de l’homme heureux, titre de l’album. Chaque épisode est prétexte à dessiner un personnage typique que l’on croit heureux en raison de sa richesse : un propriétaire de ferme perlière, un homme puissant, une séduisante vahiné. Aucun d’eux, en dépit de son importance sociale, n’est « heureux » parce que chacun craint la perte de ce pouvoir. Argent ou beauté, tout est périssable et le désir de richesse, de beauté, de puissance est insatiable, contrairement au sentiment de plénitude qui habite celui qui sait vivre en accord avec lui-même et avec la nature.

Dans le décor luxuriant d’une Polynésie rêvée, Annelise Heurtier construit un conte de sagesse qui enchante le lecteur par sa tendresse, et Marion Cabassa dessine la plénitude de la nature, l’émerveillement qui nous saisit quand on regarde les tortues nager, ou les hibiscus s’ouvrir. Eloge de la sobriété, de la modestie, cette histoire a tout pour convaincre le lecteur que le bonheur est à portée de main dans un accord de nos désirs à l’ordre du monde, si beau.