20 ans que Pomelo se prélasse sous son pissenlit

Personne n’aurait parié sur le succès persistant de cet éléphant nain de jardin. Au-delà d’une génération, Pomelo continue à se poser les vraies questions.

Par

Dominique Petre

Mis en ligne le 29 juin 2022

Littérature de jeunesse,

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Pomelo est bien sous son pissenlit. Cet objet non identifiable apparaît dans les rayons jeunesse des librairies il y a exactement 20 ans, au début du mois de juin 2002. L’album est signé conjointement par Ramona Bădescu – dont c’est le premier livre – et Benjamin Chaud. Le drôle d’éléphant rose, si petit qu’il peut se réfugier sous les aigrettes d’un pissenlit, n’a d’immense que sa trompe. Ce qui ne l’empêche nullement d’avoir l’air satisfait. Mais dès le premier album, lectrices et lecteurs découvrent que la vie de Pomelo n’est pas aussi rose que sa peau. Il lui arrive d’avoir peur, par exemple «des poireaux, la nuit» ou «que sa trompe continue toujours de grandir» ou encore «de s’être trompé d’histoire».

20 ans et 14 albums plus tard (ils sont 15 en tout), et alors qu’à priori personne n’y croyait vraiment, Pomelo est devenu sinon un classique, du moins un héros à la carrière aussi longue que la trompe.
Retour sur deux décennies qui ont ému et fait sourire bien des enfants et des adultes, avec les «parents» de Pomelo: le «papa» Benjamin Chaud croisé à la dernière Biennale des illustrateurs de Moulins, et la «maman» Ramona Bădescu, rencontrée au dernier salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil.

Un nain de jardin né au café
Pomelo vit dans un jardin mais il est né dans un café: «Là je ne paie pas de loyer, je n’ai pas le sentiment de devoir être rentable, je suis plus libre et je me sens moins seul», explique Benjamin Chaud. «Ramona Bădescu – qui est une amie – avait rêvé de Pomelo. Quand elle m’en a parlé, j’ai pensé qu’il pourrait faire un beau personnage». L’illustrateur le voyait rose, l’autrice absolument pas. «Mais j’ai réussi à imposer la couleur», poursuit Benjamin Chaud en souriant. C’est ainsi qu’un éléphant rose, métaphore habituellement réservée aux hallucinations causées par l’excès d’alcool, est devenu un irrésistible personnage de livres pour enfants. Baptisé au jus de pamplemousse (son nom était inscrit sur l’étiquette de la boisson commandée au café par Ramona Bădescu) Pomelo naît et va devenir un succès. Mais pas instantanément: «Notre éditrice Sophie Giraud chez Albin Michel s’était heurtée à des réticences, le projet avait été jugé trop bizarre», commente Benjamin Chaud lors de la rencontre organisée en septembre dernier à Moulins. «Un jour, parce qu’il lui restait encore un peu de budget, elle a ressorti Pomelo de son tiroir et elle a dit “on essaie”».

Un succès que l’on n’attendait pas
Surprise: l’éléphant rose reçoit un accueil chaleureux des critiques, mais aussi des libraires et du public. «Je crois que petits et grands s’y retrouvent», commente le «papa» de Pomelo.

Pour Ramona Bădescu c’est un premier livre jeunesse qui se retrouve dans la sélection Baobab. Au salon de Montreuil, elle débarque avec son jeune bébé et s’étonne que, malgré l’énorme concurrence, des gens soient venus pour une dédicace de la «maman» de Pomelo.
De son côté, l’illustrateur Benjamin Chaud a fait les Arts décoratifs à Strasbourg et déjà publié quelques livres. C’est lui qui introduit Ramona Bădescu dans le monde de la littérature jeunesse (elle vient du théâtre) et on ne peut que s’en réjouir au vu des textes qu’elle a publiés depuis et le rôle qu’elle occupe aujourd’hui – elle est la présidente du Salon du livre et de la presse de jeunesse de Montreuil.
Le succès est international, Pomelo philosophe en une quinzaine de langues: «C’est le seul de mes livres traduit au Japon», raconte Benjamin Chaud. «Même les Américains qui nous avaient traités de fous ont fini par sortir plusieurs des albums de Pomelo, dont un qui a reçu deux prix, le “New York Times Book Review Editors' Choice” et le “Notable Book of the Year”».

3 histoires, 75 carottes et 122 poireaux
La première des quatrièmes de couverture donne le ton: «3 histoires, 75 carottes, 83 navets, 122 poireaux et 1 éléphant de jardin». Pomelo est bien sous son pissenlit n’est pas vraiment une histoire mais des bribes de vie intitulées «Quelle trompe!» ou encore «Les jours amusants». Le livre conte les aventures de l’éléphant nain qui apprécie «faire la course avec les limaces», «compter les nuages» et qui aime «par-dessus tout qu’on le laisse tranquille».
En 2003, Pomelo est amoureux. Mais de qui? Peut-être tout simplement de la vie. Un an plus tard il rêve, puis il se demande. En 2008, il ne se sent plus bien et s’en va de l’autre côté du jardin, peut-être l’herbe y est-elle plus fraîche, peut-être quelqu’un l’attend? Après l’autre côté du jardin, il voyage, il grandit, se préoccupe des contraires et des couleurs avant de s’embarquer dans une grande aventure.

Suivent les formes, un incroyable trésor et les souvenirs. En 2018, Pomelo découvre est un hommage à la curiosité. La vie de la forêt est passionnante, tout devient digne d’être observé en compagnie de l’éléphant rose philosophe, qui se pose toujours de grandes questions existentielles.
À 18 ans, Pomelo imagine... comment ça serait d’être papa ou que quelque part, il y a peut-être quelqu’un d’autre qui est en train de faire la même chose que lui. Il réalise que dans i-ma-gi-ne il y a le mot image et un peu de magie aussi. Pomelo imagine tout ce qu’il y avait ici avant lui, le goût de fruits qu’il n’a jamais goûtés et ce que serait sa vie dans un autre livre.

Un duo qui fonctionne admirablement
Du premier au 15^e album, le duo Ramona Bădescu et Benjamin Chaud fonctionne admirablement. Plusieurs titres de Pomelo font d’ailleurs partie de la sélection de la «Bibliothèque jeunesse idéale» du Centre national de la littérature pour la jeunesse de la BnF (Bibliothèque nationale de France).
«On réfléchit ensemble à des thèmes», explique Benjamin Chaud. «Moi je dessine beaucoup, Ramona c’est tout le contraire, elle est comme un panda, parfois elle ne dit rien pendant une demi-heure», sourit l’illustrateur avant de préciser: «mais on se complète très bien».
Si on tire une révérence devant le ton innovant de l’autrice, on s’incline également devant les illustrations expressives du dessinateur, comme lorsque la tortue Gantok se déguise en chef indien ou que l’éléphant nain rêve qu’il danse le cha-cha-cha.
On peut lire Pomelo comme un album drôle et léger, mais on peut également s’en inspirer pour un atelier philo avec des enfants. Jamais un éléphant rose nain n’aura été aussi humain, travers et angoisses y compris. Ce qui est formidable chez Pomelo, c’est que les soucis de la vie n’arrivent pas à perturber sa vision fondamentalement optimiste des choses. Dans un de ses premiers albums, Pomelo rêve, le texte explique: «Comme aujourd’hui est un jour comme d’habitude, Pomelo a une idée». Dans son dernier, Pomelo imagine, l’éléphant rose assure qu’»être ici maintenant et comme cela c’est drôlement bien».

A-t-il soufflé ses 20 bougies à l’aide son immense trompe?
On ne veut pas savoir comment Pomelo a caché son immense trompe sous un masque pendant la covid et on préfère se demander si elle lui a permis de souffler ses 20 bougies le 2 juin dernier.
Après 20 ans, on ne compte plus les carottes, les navets et les poireaux mais une chose est sûre: jamais un éléphant nain ne sera plus grand que Pomelo. Pour citer sa talentueuse autrice: «il occupe une petite place dans l’univers que personne ne pourrait occuper exactement comme lui».

Les 15 titres de la série Pomelo écrits par Ramona Bădescu, illustrés par Benjamin Chaud et édités par Albin Michel Jeunesse: