Un palais au village : quand papa est devenu riche

Dans un hameau reculé en Chine du Sud, la petite Nannan grandit en compagnie de ses frères aînés Xing et Lang ainsi que de leur mère, qui travaille aux champs. La simplicité de leur vie, rythmée par les saisons et l’activité rurale, est bouleversée lors de l'une des visites bisannuelles du père qui travaille à la ville de Guangzhou. La nouvelle se répand rapidement parmi les dizaines d’habitants, le papa de Nannan est devenu riche et désire faire bâtir une nouvelle maison pour sa famille : un palais au village ! Le processus de construction, la gestion de la résidence luxueuse de six chambres et la nouveauté de son statut social s’avèreront de réels défis pour la maman qui devra revoir les codes sur lesquels elle a pu se reposer jusqu’à présent.

Nannan, l’alter-ego de l’autrice-illustratrice d’origine chinoise Minna Yu, détaille avec finesse les changements qui s’opèrent autour d’elle, accordant une attention toute particulière aux réactions de sa mère, point de repère essentiel de la vie de la fillette. Adoptant la candeur de son personnage, Minna Yu présente le courage de sa maman, « costaude comme une générale de guerre », l’aînée d’une fratrie nombreuse qui s’est rapidement vu attribuer de lourdes responsabilités. Sa vulnérabilité face à l’aisance financière qu’on imaginerait plutôt sécurisante, mais qui semble au contraire la déstabiliser, n’en est que plus touchante. Le frigo flambant neuf n’est branché que lors des visites du père de Nannan, car sa consommation gourmande en électricité inquiète la maman, qui finit par y ranger des aliments secs puis l’abandonner définitivement. Sa prudence économe la pousse notamment à stocker précieusement toutes sortes de sacs, beaucoup de sacs, rangés encore dans d’autres sacs ou à terminer coûte que coûte les restes que ses enfants laissent sur les assiettes.

Calqué sur le souffle du village, le récit se développe au gré des événements : une tombée de pluie soudaine, les péripéties du chantier, la pendaison de crémaillère. S’y intercalent des retours dans le passé qui apportent un éclairage sur l’enfance des parents, leur rencontre ainsi que la distanciation de leurs rapports. La plume de l’autrice traduit avec grâce les péripéties que traverse sa famille, la narration est empreinte de sa tendresse. Minna Yu démontre une belle aisance dans la mise en scène : la variation des cases réalisées au crayon gris et le trait naïf insufflent une légèreté aux contraintes de la bande-dessinée. Peut-être est-ce un reflet de la malice qu’on pense détecter de la jeune Nannan ?

Le Nouvel-An chinois laisse entrevoir une percée positive dans l’histoire familiale : la maman de Nannan apprend à conduire un scooter sur des airs de pop cantonaise, faisant naître des rêves d’ailleurs dans le cœur de la fillette. La suite serait-elle le sujet d’un deuxième album ? On ne peut que l’espérer, car cette première incursion dans la bande-dessinée est une petite merveille !