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La littérature de jeunesse belge, au carrefour du texte et de l’image, des langues et des cultures

La littérature jeunesse de Belgique 1

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Monique Malfait-Dohet
27 octobre 2022

Un rapide survol de l’histoire de la littérature belge de jeunesse imprégnée des liens étroits qui unissent texte et image depuis longtemps dans notre pays et du bain multiculturel dont sont issus nos auteurs et nos illustrateurs.


Un pays qui n’a pas encore 200 ans!

La Belgique a vu le jour en 1830, dans un contexte européen, créé de toute pièce par le traité de Vienne de 1815, au mépris de la volonté des peuples de disposer d’eux-mêmes. De nombreux mouvements révolutionnaires secoueront dès lors rapidement l’Europe. L’indépendance belge sera finalement reconnue lors de la conférence de Londres, le 20 décembre 1830. S’agit-il pour autant d’une Nation? Le nouvel État s’est construit surtout contre la domination des Pays-Bas qui imposaient aux provinces belges de lourds impôts, mais aussi le protestantisme et l’emploi du néerlandais à tous les niveaux, ce qui irritait toute sa population, même celle de Flandre où la bourgeoisie s’exprimait en français et où paysans et ouvriers parlaient des dialectes régionaux. La Belgique, catholique, choisit dès lors le français pour l’ensemble de ses institutions. «Le néerlandais à cette époque n’était pas encore vraiment standardisé, certainement pas dans les provinces flamandes, ce qui le rendait inapte à l’organisation d’un État moderne»[1]. Il faudra attendre le XXe siècle, à la fin de la Première Guerre mondiale, et plus encore après 1945, pour que les grands auteurs flamands écrivent majoritairement dans leur langue. Rien d’étonnant donc qu’en littérature de jeunesse, ce n’est que fort tard, vers les années 1990, qu’une production de qualité voie le jour[2]. Les lettres belges, d’abord écrites en français, étaient cependant ancrées dans la réalité flamande du pays, seule manière de se distinguer des voisins français. Plus tard, une littérature flamande et une littérature francophone se sont développées, sans jamais se côtoyer, les artistes n’ayant que peu de contacts et le public ignorant trop souvent les créations de l’autre Communauté. Le manque de traductions, surtout en jeunesse, a bien entendu joué un rôle dans ce double aveuglement. Pourtant, les choses ont commencé à bouger. La nomination du francophone Carl Norac[3] comme Poète national belge de 2020 à 2022 en est sans doute une des illustrations. Ce grand poète, qui a beaucoup écrit aussi pour la jeunesse, a été un excellent ambassadeur des deux Communautés, il a lui-même très souvent collaboré avec les meilleurs illustrateurs belges, francophones comme flamands. Il a été traduit en néerlandais, notamment par le romancier flamand Bart Moeyaert[4], prix Astrid Lindgren de 2019[5], lui-même traduit dans vingt pays différents[6]. Ces passerelles ont permis au public francophone de découvrir certains illustrateurs flamands de talent (notamment l’étonnante Gerda Dendooven qui a collaboré avec les deux écrivains). Certaines institutions aussi ont initié un rapprochement culturel entre les deux Communautés, notamment l’opération «Flirt flamand» de la Foire du livre de Bruxelles, depuis 2019, ou le partenariat entre La Monnaie, le KVS (théâtre royal flamand) et le Théâtre National Wallonie-Bruxelles «pour mettre en valeur l’identité multiple et plurilingue de la Belgique»[7]. De plus, dès 2004, à Bruxelles, fut créée la maison internationale des littératures, Passa Porta, qui organise tous les deux ans un festival avec des rencontres plurilingues d’écrivains et de traducteurs avec le public.

À la rencontre du texte et de l’image

Depuis que nos grands peintres ont collaboré avec de nombreux poètes belges (Félicien Rops illustre De Coster, Van Rysselberghe interprète Verhaeren, Spilliaert crée plus de 340 illustrations pour le théâtre de Maeterlinck), depuis que le mouvement Cobra[8] a joué des rapports entre les lettres et les traits, depuis aussi que la bande dessinée belge a connu un succès international, les liens entre texte et image ne cessent de se tisser dans notre culture. Les auteurs d’albums de jeunesse en Belgique continuent cette tradition, donnant à leur poésie toute la puissance visuelle du rythme de la langue.

Histoire de l’album de jeunesse en Belgique francophone

Comme dans d’autres pays européens, la littérature de jeunesse a connu une évolution en étapes. Les années 1930-1940, comme en France, seront celles de recherches esthétiques audacieuses, plastiques comme littéraires, qui reflètent l’évolution des arts visuels européens, du Bauhaus aux avant-gardes russes.

Les pionnières: Élisabeth Ivanovsky (1910-2006) et Albertine Deletaille (1902-2008)
Si c’est bien à Paris que se sont réfugiés des plasticiens comme Nathalie Parain ou Fiodor Rojankovsky, c’est à Bruxelles qu’Élisabeth Ivanovsky a parachevé ses études, à L’école nationale supérieure des arts visuels, La Cambre. C’est dans cette ville qu’elle va se faire éditer, dès 1933, et qu’elle va continuer à vivre et travailler, devenue belge par mariage. Ses mises en pages audacieuses, la vigueur de son trait et l’emploi de couleurs saturées la rapprochent des mouvements constructivistes. Elle développe aussi en parallèle un imaginaire visuel, plus ancré dans les traditions populaires russes, aux couleurs plus sombres et aux formes plus arrondies qui conviennent bien aux récits folkloriques. Elle aura ainsi, pendant les années 1930-1940, l’occasion de publier une soixantaine d’albums de jeunesse de grande qualité qui ne connaîtront pas toujours, malheureusement, la même audience que celle obtenue par les livres inscrits dans la collection du Père Castor. Les éditions MeMo, ces dernières années, ont réédité sept de ses plus beaux ouvrages (dont Cirkus, portfolio édité à Anvers en 1933), et ont complété ce travail par une monographie sur son œuvre, écrite par Georges Meurant, son fils cadet[9]. Elle continuera encore longtemps sa carrière d’illustratrice pour la jeunesse, mais sera brimée souvent par des contraintes purement commerciales.

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Élisabeth Ivanovsky, «Cirkus» (©MeMo, 2010)

Albertine Deletaille, née hollandaise, est devenue belge après l’armistice en 1920. Si ses albums les plus connus, comme Chat Lune (1954), ont été édités au Père Castor, auparavant, elle fut l’illustratrice de cinq livres pour enfants, écrits par Marie Gevers[10] et sortis aux Éditions des Artistes: La petite étoile en 1941 et, en 1943, Le soleil, La Noël du petit Joseph, Le petit chat Doucet et La maison de Jan Klaas. Ces petits albums oblongs montrent à quel point l’illustratrice manie avec aisance le trait et les couleurs chaudes et dorées ou le blanc lumineux pour rendre virevoltant le mouvement de ses personnages et une narration elle-même impétueuse.

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Marie Gevers et Albertine Deletaille, «La maison de Jan Klaas» (©Éditions des Artistes, 1943)

Les succès de librairie: les années 1950-1970
Ce fut une période fort différente de la précédente, tournée plutôt vers les séries. Les ventes explosent et les succès s’enchaînent, bien loin des recherches plastiques et narratives des années 1930-1940. C’est l’époque de la collection Farandole (avec souvent des textes de l’incontournable et très conservatrice Jeanne Cappe), chez Casterman, où sont édités notamment les ouvrages de Marcel Marlier et Gilbert Delahaye, créateurs des différentes aventures de Martine (60 titres quand même!), mais aussi des ouvrages illustrés par Simone Baudoin qui fut, par ailleurs, la première illustratrice du Club des cinq, en version française. Ces albums sont nettement plus conventionnels qu’auparavant, laissant la place à une vision fort datée de la «petite fille modèle». Les «jolis coloris chatoyants»[11] complètent cette mise en scène des valeurs traditionnelles familiales des années 1950, loin de tout bouleversement et de tout questionnement social.
À côté de cette littérature sérielle, une autre illustratrice belge fait son entrée dans le monde de l’album à cette période, en 1965: Marie Wabbes, qui commence sa carrière d’autrice-illustratrice à L’École des loisirs. Ses portraits d’ours en peluche auront un grand succès, national comme international.

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Marie Wabbes, «Je voudrais que tu m’aimes» (©Pastel (École des loisirs), 2007)

Le foisonnement créatif des années 1980-1990 
Cette fin du XXe siècle a vu naître en Belgique francophone une génération d’auteurs-illustrateurs particulièrement brillants, dans des registres fort différents. C’est l’époque où Gabrielle Vincent a donné à l’album de jeunesse belge une réelle portée internationale. Artiste peintre, Monique Martin, née en 1928, a conçu son premier album pour la jeunesse en 1981, Ernest et Célestine ont perdu Siméon, le signant d’un pseudonyme. C’est le début d’un succès mondial, dû autant à la force du trait, au rendu des ombres et à l’harmonie des couleurs qu’aux narrations pudiques, aux dialogues authentiques et aux personnages émouvants et vrais. Elle a également créé des albums fort différents, adressés à des enfants, des adolescents ou des adultes qui montrent à quel point elle dominait l’art du trait, l’ironie et même la critique séditieuse. Nous sommes nombreux à espérer des rééditions de livres comme L’œuf, Désordre au paradis ou Le petit ange à Bruxelles qui permettraient aux jeunes générations de découvrir une part importante de son travail d’illustratrice.

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Monique Martin, «Le petit ange à Bruxelles», Blanchart et Cie, 1970 (©Ernest et Célestine, Fondation Monique Martin)

D’autres artistes de grande qualité, à la même époque, ont commencé une œuvre qui a marqué les jeunes lecteurs, comme les adultes d’ailleurs. Nous pensons, par exemple, au regretté Mario Ramos dont les albums sont plus que jamais d’actualité. Il a édité ses premiers livres dès le début des années 1990. Avec humour et élégance, il pouvait dénoncer les abus et les lâchetés de ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir, il offrait ainsi à chaque enfant qui ouvrait ses livres l’impression qu’il existait quelque part quelqu’un qui le comprenait et l’aidait à grandir. Sa virtuosité graphique lui permettait, en quelques pages, de transmettre aussi bien des émotions que des réflexions ou des convictions. Nombreux sont ceux qui connaissent sa fameuse «trilogie du loup»: C’est moi le plus fort, C’est moi le plus beau et Le plus malin! Ce qui ne doit surtout pas faire oublier ses autres livres, parfois plus douloureux, comme Quand j’étais petit, Un monde de cochons ou son dernier, Le petit Guili (œuvre éditée peu de temps après son décès).

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Mario Ramos, «Le petit Guili» (©Pastel (École des loisirs), 2013)

En même temps que ces deux plasticiens, décédés trop tôt, un ensemble de nouveaux talents, originaux, éclot dans un jaillissement de créativité qui ne connaît pas de frontières de style. Benoît Jacques, concepteur génial de livres à la fois drôles et uniques, s’est retiré du circuit traditionnel, en créant une microédition à son échelle, où toute la filière du livre se retrouve dans ses seules mains. Il n’en a pas moins reçu le prix Baobab de l’album à Montreuil en 2008 pour La nuit du visiteur. Anne Brouillard a su construire un monde pictural bien à elle (il suffit de se replonger dans des albums comme L’orage, Le chemin bleu ou Les aventuriers du soir pour en être convaincus), se passant parfois totalement du texte (Trois chats, La vieille dame et les souris, Voyage d’hiver) ou, au contraire, jouant de sa plume poétique (comme dans Le pays du rêve, Le chemin bleu ou Le rêve du poisson); elle plonge le lecteur dans un monde où l’espace et le temps cessent de structurer la pensée et où la lumière se réverbère sans fin. Elle aussi fut récompensée, à Bologne comme à Bratislava, pour son ouvrage Le sourire du loup.

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Anne Brouillard, «Voyage d’hiver» (©Esperluète, 2013)

Kitty Crowther, couronnée en 2010 du prix Astrid Lindgren, crée un univers singulier, mystérieux, plein de fantaisie où chaque personnage semble poser des questions qui restent parfois sans réponse et où les évidences s’effondrent. Ses albums ne ressemblent à aucun autre, car elle ne cesse d’innover dans des créations qui n’hésitent pas à aborder des thèmes difficiles, comme dans Moi et rien, La visite de la petite mort, Le petit homme et Dieu ou Jan Toorop : le chant du temps.

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Kitty Crowther, «Moi et rien» (©Pastel (École des loisirs), 2000)

Anne Herbauts (Prix Baobab de Montreuil en 2003) conduit à sa manière le lecteur vers un ailleurs, proche ou lointain, minuscule ou immense, entre deux territoires, toujours à la limite d’un chemin, à la lisière du livre et de la vie. Ses ouvrages se renouvellent sans cesse au niveau du format, de la narration, comme des mises en pages et des couleurs. Elle interroge les mots, comme les objets et les sensations. Son univers littéraire et plastique se décline là aussi sous diverses formes, n’hésitant pas à parcourir des territoires nouveaux qui font de chacune de ses créations une œuvre unique. Que l’on pense à son album Lundi qui joue majestueusement avec la matière même du livre, à ses ouvrages accordéons comme Les koalas ne lisent pas de livres / Les grizzlis ne dorment qu'en hiver, ou à son évocation délicate de la disparition d’une grand-mère avec Quand Hadda reviendra-telle? Elle connaît aussi bien l’efficacité du trait que la puissance de la parole: «comme l’aube d’un mot articulé pour la première fois» (L’histoire du géant).

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Anne Herbauts, «L’histoire du géant» (©Esperluète, 2015)

D’autres artistes encore ont, à cette époque, créé des œuvres très personnelles, seuls ou en duo: c’est le cas de Louis Joos avec ses nombreux voyages imaginaires, de Rascal au graphisme percutant, de Bernadette Gervais[12] et ses imagiers plus originaux les uns que les autres, de Geneviève Casterman à l’écoute des émotions quotidiennes, de Jeanne Ashbé et de Claude K. Dubois qui offrent des albums de qualité aux tout-petits. La liste est bien loin d’être exhaustive, il faudrait au moins un livre entier pour épuiser le sujet!

Cette richesse culturelle, née en Belgique, puise ses sources aussi dans d’autres cultures proches ou lointaines. Elisabeth Ivanovsky fut russe, puis roumaine, avant de devenir belge par mariage comme Albertine Deletaille, née aux Pays-Bas. Mario Ramos avait un père portugais, la mère d’Anne Brouillard était suédoise, le père et la mère de Kitty Crowther sont nés l’un en Angleterre, l’autre en Suède! La Belgique est aussi riche de tous ces voyageurs venus d’ailleurs.

Les nouvelles générations du début du XXIe siècle 
Ces artistes, reconnus et applaudis aussi bien en Belgique qu’à l’étranger, n’ont en rien étouffé la créativité de ceux qui les ont suivis. En Communauté française de Belgique[13], l’enseignement supérieur artistique est varié et de qualité, de multiples maisons d’édition indépendantes ont complété le paysage éditorial du livre de jeunesse, et de nombreux plasticiens sont venus s’installer chez nous pour suivre un cursus académique, mais parfois aussi pour y vivre. Si Mélanie Rutten, Françoise Rogier ou Marine Schneider sont bien belges de naissance, ce n’est point le cas, pour n'en citer que quelques-unes, de Mathilde Brosset, Sara Gréselle, Valentine Laffitte, Amélie Carpentier, françaises, attirées par ce «vivier belge», signalé dans le journal Le Monde, dès janvier 2001, qui parlait d’une véritable «école belge»[14]. La production actuelle se renouvelle sans cesse, grâce à l’enthousiasme de nouveaux venus et à la puissance plastique de leurs aînés.  

Du côté des créations flamandes

Nous l’avons déjà souligné, pour des raisons historiques et culturelles, la littérature de jeunesse flamande de Belgique n’a réellement pris son essor qu’à partir, grosso modo, des années 1990. Là aussi, la présence d’écoles d’art performantes et la ténacité de quelques maisons d’édition ont joué un rôle essentiel. Un des grands défis de cette production reste sans doute encore d’être traduite, pour élargir le nombre des lecteurs et être reconnue sur la scène internationale, en dehors des liens étroits avec les Pays-Bas, plus spécialement avec Amsterdam. Les traductions sont nombreuses en allemand, pour des raisons linguistiques évidentes (les deux langues sont proches); aujourd’hui d’autres cultures s’ouvrent à ces livres de qualité, c’est le cas notamment de la Grande-Bretagne et même du Japon[15]. Les personnalités et les styles de ces différents artistes sont extrêmement variés, offrant une riche panoplie de créations originales: certains sont aujourd’hui reconnus sur la scène internationale et leurs albums consacrés par différents prix. Ils sont nombreux et à nouveau, il est désolant de n’en citer que quelques-uns, mais le cadre de cette présentation ne permet pas d’être exhaustif[16]. Carll Cneut développe un travail minutieux sur les couleurs, à la manière des vieux maîtres flamands: il crée ainsi un univers fascinant entre merveilles troublantes et observations minutieuses de la nature.

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Toon Tellegen et Carll Cneut, «La luciole et autres histoires d’animaux» (©Pastel (École des loisirs), 2022; texte français de C. Peeters)

Gerda Dendooven enrichit ses illustrations de son sens de l’humour absurde qui donne au texte une dimension loufoque qui ne l’empêche pas pourtant d’interroger le lecteur sur les fondements de la vie. Goele Dewanckel, elle, ancrée dans une démarche picturale, avec ses contours noirs et épais qui rappellent les débuts de l’expressionnisme allemand, déroute celui qui découvre son travail, avant de l’envoûter. Ingrid Godon est capable de réaliser des projets très différents, accessibles parfois aux plus petits, tout en jouant avec audace du trait juste qui va à l’essentiel dans ses portraits surprenants qui captent l’intérêt des plus grands. Il ne faut pourtant pas oublier non plus Tom Schamp et ses délires colorés, ou Isabelle Vandenabeele et son sens prodigieux de la gravure.

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Baert Moeyaert et Gerda Dendooven, «Wie klopt daar?» (©De Eenhoorn, 2012) et Toon Tellegen et Ingrid Godon, «J’aimerais» (©La Joie de Lire, 2007; traduction de Maurice Lomré)

Conclusion

Les traditions littéraires belges sont multiples, imprégnées du brassage de nos diversités culturelles. Elles ont pourtant en commun un attachement profond à une poésie visuelle, façonnée par les liens étroits que nous cultivons entre les arts plastiques et la littérature. L’album de jeunesse en Belgique s’est ainsi créé un espace de liberté qui offre à ses lecteurs des audaces qui traversent les frontières, certes linguistiques, mais aussi celles qui tentent de séparer les générations. Déjà, Hergé voulait toucher un public âgé de 7 à 77 ans, nos illustrateurs et nos auteurs dépassent aussi ces limites que certains prescripteurs voudraient tellement imposer. Bart Moeyaert, Carl Norac ou Thomas Lavachery écrivent aussi bien pour les enfants, les adolescents que les adultes; Elisabeth Ivanovsky ou Gabrielle Vincent, en leur temps, ont fait de même. Kitty Crowther ou Anne Herbauts n’hésitent pas à aborder des styles ou des thématiques qui touchent notre humanité, bien au-delà des tranches d’âge proposées par certaines collections. Carll Cneut a créé un univers fascinant pour tous, le minimalisme d’Ingrid Godon touche intimement ses lecteurs, quel que soit leur âge. Nous pourrions encore citer de nombreux artistes belges qui ont adopté le credo de l’éditeur François Ruy-Vidal: «il n’y a pas de littérature pour enfants, il y a la littérature»[17].  


Monique Malfait-Dohet est présidente et conseillère scientifique du Fonds de l’image et du texte pour la jeunesse (Fondation Battieuw-Schmidt).


Liste des albums cités dans l’article avec leur couverture, selon l’ordre alphabétique des noms des illustrateurs

  1. Brouillard, Anne, Voyage d’hiver, Esperluète, 2013. 
  2. Cneut, Carll, La luciole et autres histoires d’animaux, texte de Toon Tellegen, texte français de Charline Peeters, Pastel (École des Loisirs), 2022.
  3. Crowther, Kitty, Moi et rien, Pastel (École des Loisirs), 2000.
  4. Deletaille, Albertine, La maison de Jan Klaas, texte de Marie Gevers, Éditions des Artistes, 1943.
  5. Dendooven, Gerda, Wie klopt daar? Texte Baert Moeyaert, De Eenhoorn, 2012.
  6. Godon, Ingrid, J’aimerais, texte de Toon Tellegen, traduction Maurice Lomré, La Joie de Lire, 2007.
  7. Herbauts, Anne, L’histoire du géant, Esperluète, 2015.
  8. Ivanovsky, Elisabeth, Cirkus, MeMo, 2010.
  9. Ramos, Mario, Le petit Guili, Pastel (École des Loisirs), 2013.
  10. Vincent, Gabrielle (livre édité sous le nom de Monique Martin), Le petit ange à Bruxelles, Blanchart et Cie, 1970.
  11. Wabbes, Marie, Je voudrais que tu m’aimes, Pastel (École des Loisirs), 2007.

Liste des autres artistes belges pour la jeunesse cités dans l’article

  1. Jeanne Ashbé
  2. Simone Baudouin
  3. Geneviève Casterman
  4. Gilbert Delahaye
  5. Goele Dewanckel
  6. Claude K. Dubois
  7. Bernadette Gervais/article sur Ricochet
  8. Benoît Jacques
  9. Louis Joos
  10. Thomas Lavachery
  11. Marcel Marlier
  12. Bart Moeyaert
  13. Carl Norac
  14. Rascal
  15. Françoise Rogier/article sur Ricochet 
  16. Mélanie Rutten/article sur Ricochet
  17. Tom Schamp
  18. Marine Schneider/article sur Ricochet
  19. Isabelle Vandenabeele

[1] Voir Vic Nachtergael, «D’une littérature deux autres», Revue de littérature comparée, 2001/3, n°299, pp. 363-377.
[2] Voir l’article de Vanessa Joosen, «La littérature flamande pour enfants», dans la Revue des livres pour enfants, n° 209, février 2003, pp. 94-100 et celui de Jan van Coillie, «Een cruciaal decennium voor de Vlaamse kinder- en jeugdliteratuur ?», Vlaanderen, Jaargang 31, 3 (2002) deel, 291, pp. 138-140.
[3] Fils de Pierre Coran.
[4] Notamment Le cœur de papier illustré par Carll Cneut en 2004 édité chez Pastel, devenu en néerlandais Het hart van Tom, édité la même année chez De Eenhooren. Bart Moeyaert a aussi traduit en néerlandais des livres de Kitty Crowther et Gabrielle Vincent.
[5] Obtenu en 2010 par la belge francophone Kitty Crowther.
[6] Il a aussi collaboré avec une illustratrice francophone, Kitty Crowther, pour son livre Gtote Oma’s, paru à Amsterdam chez Querido, en 1999, et jamais traduit en français !
[7] Voir le site du Théâtre National, https://www.theatrenational.be/fr/pages/2699-troika
[8] Avec, notamment, les artistes belges Christian Dotremont et Pierre Alechinsky.
[9] Georges Meurant, Elisabeth Ivanovsky: sur la page blanche, tout est possible, Éditions MeMo, 2017.
[10] Romancière belge d’expression française, mais flamande d’origine (province d’Anvers), née en 1883 et décédée en 1975.
[11] Selon l’expression de Hugues Dayer, La Libre du 9 juin 2003, «lettre ouverte à Marcel Marlier».
[12] Qui contrairement à ce que certains croient vit toujours bien à Bruxelles, même si elle fait des séjours réguliers à Paris.
[13] Appelée Fédération Wallonie-Bruxelles.
[14] Florence Noiville, «Le vivier belge» Le monde des livres, 26 janvier 2001.
[15] Voir l’interview d’Elise Vanoosthuyse du Literatuur Vlaanderen par Lisa Kruise du 28 mars 2022 sur la plateforme Karoo : «Connaissez-vous la littérature flamande ?» à l’adresse suivante : https://karoo.me/livres/connaissez-vous-la-litterature-flamande-entretien-avec-elise-vanoosthuyse-de-literatuur-vlaanderen
[16] Suivant en cela, notamment, le point de vue donné par La revue des livres pour enfants dans son dossier sur la littérature de jeunesse flamande (209, 2003) et partiellement celui donné par Marita Vermeulen (des éditions De Eenhoorn) dans la même revue (287, 2016).
[17] François Ruy-Vidal, «Le point de vue d’un éditeur», dans Bulletin d’analyses de livres pour enfants, 38, juin-juillet 1974, p. 13.


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