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La littérature jeunesse de Belgique 3
La littérature jeunesse de Belgique 3
A l'occasion de l'événement Lisez-vous le belge?, une grande campagne de promotion célébrant la diversité du livre belge francophone qui a lieu du 1er au 30 novembre, nous avons sélectionné pour vous, parmi les parutions des cinq dernières années, nos albums coups de cœur de créateurs et créatrices belges ou vivant en Belgique.
1. Le plat du loup plat, Michel Van Zeveren, Pastel, 2021
Album, dès 3 ans
Dans un paysage enneigé, alors que trois petits cochons tout ronds se baladent, un loup apparaît soudainement! Malheureusement pour lui, il a passé tant de temps entre les pages des livres et il a si faim qu’il en est devenu tout plat. Après une première tentative pour dévorer les appétissants petits cochons, le loup se fait repérer par le plus petit membre du trio. Or, les deux aînés ne le croient pas et se moquent gentiment de lui. Le loup parvient ainsi à les suivre jusque dans leur maison…
Le plat du loup plat reprend les codes des contes et des fables classiques, Les Trois Petits Cochons mais également L'Enfant qui criait au loup, pour les renverser avec malice. Ainsi, le grand méchant loup n’est plus si menaçant depuis qu’il est épais comme une feuille de papier et le petit cochon qui avertit de sa présence le fait pour une bonne raison. Les scènes humoristiques se succèdent jusqu’à la fin de l’album, que l’on referme sur un éclat de rire. L’effet comique est également entretenu par les illustrations, avec des personnages très expressifs, ainsi que des éléments qui permettent aux petit·e·s lecteur·rice·s de repérer le loup avant que les petits cochons y parviennent. L’écriture rythmée et riche en rime rappelle aussi le format du conte et en fait une histoire parfaite pour la lecture à haute voix.
Le loup semble être l’animal fétiche de l’auteur et illustrateur belge Michel Van Zeveren qui lui consacre plusieurs albums, tels que J'habite ici, Je, tu, il m'embête ou encore C'est pas grave. (EP)
2. Pablo, de Rascal, Pastel, 2019
Album, dès 3 ans
Pablo? C’est en apparence une histoire toute simple, celle d’un poussin apeuré à la perspective de quitter le cocon bien rassurant de son œuf. Pablo, c’est aussi un petit qui mange au petit-déjeuner un croissant et un chocolat chaud car il va avoir besoin de forces pour sortir de sa coquille puisque le grand jour de l’éclosion est arrivé. Mais cette étape va se faire très progressivement car Pablo a un peu peur de ce qui l’attend. Heureusement, son envie de découvrir le monde va l’emporter sur son appréhension!
Page après page, nous accompagnons Pablo dans une prise de risque calculée: il fera un premier trou, puis un deuxième pour voir, puis un troisième pour entendre, etc. Tous ses sens sont mobilisés et le poussent à toujours plus d’initiatives. Puis vient l’envie de se déplacer, de s’envoler. Finie la peur, la curiosité a pris le dessus! Jusqu’à la dernière page, les illustrations en noir et blanc semblent très simples et très nettes mais à la dernière page, surprise: enfin, on découvre ce petit d’un beau jaune… poussin, forcément!
Cet album est un joli encouragement par l’exemple pour oser sortir de sa coquille et s’aventurer dans le vaste monde! (VL)
3. Montre-toi, montagne!, de David Wautier, Le Diplodocus, 2022
Album, dès 3 ans
Jana habite en ville avec ses parents et Billie, une gentille chienne au regard tendre. Pour les vacances, la petite famille décide de se rendre dans un chalet à la montagne. Une première pour Jana qui trépigne d’impatience à l’idée d’apercevoir les «rochers géants qui touchent le ciel». Il faut dire que la jeune citadine a découvert de magnifiques panoramas alpins dans un album illustré, ce qui a grandement aiguisé sa curiosité. Toutefois, la route est longue jusqu’à la destination tant attendue et, même une fois sur place, la montagne se dérobe aux yeux de Jana, dissimulée derrière un épais brouillard. Quelle frustration! La fillette va se coucher le cœur lourd, mais, à son réveil, une jolie surprise est au rendez-vous…
Malgré les traits «japonisants» de la petite héroïne (que l’on pourrait croire tout droit sortie d’un film d’animation de Miyazaki!), l’auteur et illustrateur de cet album, David Wautier, est bel et bien belge. À l’aise tant avec les décors urbains que naturels, il nous propose des illustrations aux tons doux qui transmettent avec justesse différentes sensations et atmosphères: le caractère oppressant et chaotique des embouteillages au péage autoroutier, la réconfortante rusticité du chalet, l’humide mélancolie des paysages embrumés et, enfin, la splendeur de la montagne. Rendant hommage aux «premières fois» qui font la magie de l’enfance, cette lecture dégage un je-ne-sais-quoi d’apaisant et parlera sans doute aux enfants comme aux adultes. (DT)
4. Des trucs comme ci des trucs comme ça, de Bernadette Gervais, Les Grandes Personnes, 2021
Album, dès 3 ans
Comme dans un inventaire à la Prévert, Bernadette Gervais recense des trucs mais avec une logique bien à elle. Ainsi regroupe-t-elle dans une même double-page un Monstera (c’est une plante), une passoire, un morceau de fromage, un taille-crayon, une écumoire, un arrosoir, le fruit d’un nénuphar, une chaussure et une salière. Leur point commun? Ce sont les «Trucs à trous». Il fallait y penser! De la même manière, on aura plaisir à découvrir les «Trucs qui puent», ceux «qui sautent», ceux «qui fondent» ou bien ceux «qui se ressemblent».
C’est assez jubilatoire de tourner les grandes pages pour découvrir la prochaine famille. «Trucs» est utilisé à dessein: ce terme est assez vague pour regrouper aussi bien des objets, des insectes, des animaux… Dans cet imagier, les couleurs sont primaires, le fond est soit noir, soit blanc, ce qui permet aux enfants de reconnaître rapidement les dessins. Le nom est écrit en légende sous l’image.
Et puis, au milieu de cette série bien rôdée, des doubles-pages entières viennent s’intercaler. Rompant avec le rythme bien installé des autres planches de l’album composées de cases avec un titre qui donne le ton, ces intermèdes apportent des surprises: il y a le truc extraordinaire, le truc encore plus extraordinaire et, enfin, une chute.
En prolongement de cette lecture, on pourra proposer aux enfants de se constituer leurs propres listes de trucs. On pourra aussi réfléchir à d’autres familles pour prolonger l’inventaire de Bernadette Gervais.
Un imagier qui sort de l’ordinaire avec ses illustrations et ses noms précis, pour observer et nommer le monde qui nous entoure. (VL)
5. Les larmes, de Sibylle Delacroix, Bayard Jeunesse, 2019
Album, dès 3 ans
«Pleure, les larmes sont les pétales du cœur». Ce vers de Paul Eluard résume l’album de Sibylle Delacroix, conçu comme un éloge des larmes à hauteur d’enfant.
Page après page, toutes les facettes des larmes sont explorées par l’autrice et illustratrice belge. Elle y démontre, non sans humour, que les larmes font partie de la vie et rythment le quotidien. Ainsi, l’album déconstruit les préjugés associés aux larmes et qui les réduisent à une expression de faiblesse, en montrant leur pouvoir libérateur. Avec une grande sensibilité, les illustrations rendent compte des petits et des grands drames de la vie. Les délicats dessins au crayon, associés à des ajouts de couleurs progressifs, illustrent avec finesse les émotions dans toutes leurs nuances.
Un ouvrage touchant qui parlera à tous, tant par l’universalité de son thème que par la justesse de son propos et par la délicatesse de ses illustrations. (CC)
6. En 4 temps, de Bernadette Gervais, Albin Michel Jeunesse, 2020
Album, dès 3 ans
On dirait des fenêtres: notre regard est attiré par des rectangles, toujours les mêmes, toujours sur la page de droite; à l’intérieur, les sujets varient d’une page à l’autre. A chaque fois qu’on tourne la page, c’est la même structure qui se répète: à gauche, comme une comptine, se trouve une proposition courte, décomposée en 4 temps bien distincts, écrits nettement en blanc sur fond noir. Chacun correspond à l’un des rectangles. Pour bien comprendre le principe, Bernadette Gervais, en préambule, donne le mode de lecture.
Tour à tour, sous nos yeux, un escargot passe, lentement, bien sûr. Puis, c’est au tour d’un nuage, puis d’un coquelicot dans les différentes étapes de sa floraison. Rien d’extraordinaire donc: il s’agit d’appuyer sur «pause» et de prendre le temps d’observer ce qui est dans l’ordre naturel des choses. Ce temps arrêté donne de l’importance à ces petits événements. On se surprend à sourire, devant cette sorte de catalogue qui nous permet de redécouvrir le monde, de le nommer, de regarder le temps qui passe à travers les changements et les mouvements.
Certains sujets reviennent à l’identique, comme ce lent escargot qui «aaarrive»… ou comme la maison sur laquelle il neige ou autour de laquelle on construit une ville. Rien d’original dans cet inventaire, et pourtant le texte sobre donne à voir et à comprendre. Ce rythme régulier, à quatre temps, scande à la manière d’une comptine et donne du sens aux images, tout aussi sobres.
Petite prouesse: Bernadette Gervais nous fait sourire grâce à son imagier. Un beau livre qui donne à voir aux tout-petits. (VL)
7. L’île aux deux crabes, de Sylvain Alzial et Loïc Gaume, Versant Sud jeunesse, 2021
Album, dès 4 ans
Un jour, sur une petite île, dame Bouba réunit tous les animaux. Elle sait qu’elle va bientôt mourir et souhaite offrir un cadeau à chacun d’entre eux. Tous se précipitent vers sa case et reçoivent de magnifiques parures. Tous? Non… Deux crustacés insouciants et effrontés, Petit Bernard et Grosse-Pince, trop occupés à jouer, manquent à l’appel. C’est pourquoi le bernard-l’ermite change sans cesse de coquille et que le crabe des cocotiers, un peu honteux, ne sort que la nuit pour se nourrir.
Adapté d’une histoire traditionnelle kanak, ce conte étiologique est narré avec humour et légèreté par Sylvain Alzial, qui devient, sous sa plume, un éloge de l’insouciance et de la liberté. Les illustrations de Loïc Gaume allient tradition et modernité, en mêlant aux aplats de couleurs des dessins tracés à l’encre de Chine, qui rappellent l’art traditionnel kanak. La cohérence graphique de l’album constitue un véritable tour de force. En effet, chaque vignette est construite autour de la même forme, continuellement réinterprétée: d’abord île, elle devient coquille ou encore coucher de soleil.
Fidèle à ses valeurs d’originalité et de qualité, la maison d’édition bruxelloise Versant Sud Jeunesse propose un récit traditionnel revisité avec intelligence, dont l’atmosphère de sérénité accompagnera les lecteurs, même une fois les pages refermées. (CC)
8. La cabane, de Sandra Edinger, Pastel, 2021
Album, dès 4 ans
A la manière d’un mode d’emploi, La cabane présente de façon simple et méthodique comment construire un abri avec les choses dénichées dans la forêt: «[…] il faut trouver le bon terrain. Pas trop mouillé. Avec des arbres». Mais il peut arriver que les avis divergent entre les deux bâtisseurs en herbe: l’un veut commencer par les murs tandis que l’autre veut attaquer les fondations. Pas de dispute pour autant: les deux enfants discutent, s’entraident et s’activent, sous le regard attentif des animaux de la forêt. Enfin, la cabane est terminée: «Ici, c’est chez nous! Personne ne viendra nous embêter… C’est notre maison», annoncent-ils fièrement. La nuit arrive, les enfants vont la passer, bien à l’abri…
Cette histoire toute simple aborde la collaboration, l’application mais aussi l’ingéniosité et la créativité. Elle nous apprend également à discuter plutôt que de nous quereller quand les avis divergent, grâce à l’exemple donné par les enfants. Les teintes douces des aquarelles complètent bien un récit simple. Il se dégage une harmonie agréable, tout semble facile, jusqu’à la chute. Il faudra vraiment aller jusqu’à l’illustration de la quatrième de couverture pour découvrir le clin d’œil final plein d’humour.
Les petits pourront s’amuser à repérer les animaux et les plantes croisés dans l’histoire: des doubles-pages les recensent dans des dessins épurés, leurs noms sont indiqués en légende. Une jolie histoire avec une chute amusante. (VL)
9. Tu t’appelleras Lapin, de Marine Schneider, Versant Sud jeunesse, 2020
Album, dès 4 ans
Belette est une petite fille indépendante qui vit seule, un peu isolée du village le plus proche. Un jour, elle découvre un mystérieux lapin géant au beau milieu de celui-ci. Les adultes, inquiets, s’escriment à le faire disparaître, mais rien n’y fait. Le lapin amorphe ne peut être ni menacé, ni déplacé, ni enterré! Alors, peu à peu, ils décident de l’ignorer et la vie du village reprend son cours tandis que les enfants, et surtout Belette, s’approprient cet être mystérieux. Ils en font leur terrain de jeux et leur ami, jusqu’au jour où il disparaît à nouveau…
Marine Schneider donne vie à un univers mystérieux et poétique, qui n’est pas sans rappeler celui des films de Miyazaki. Son récit, centré sur l’irruption soudaine de l’étrange dans un village paisible, illustre avec intelligence les dérives liées à la peur de l’inconnu, comme la violence ou le déni, tout en défendant au contraire l’inconnu comme un catalyseur de créativité et de liens sociaux. Ses illustrations, remarquables par leur dynamisme, nous donnent ainsi à voir un monde débordant de vitalité: les paysages peints à l’aquarelle sont chatoyants et les enfants débordent d’énergie.
Cet album réussit à traiter un thème complexe de manière légère et même ludique, tout en faisant rêver par ses magnifiques illustrations. Deuxième ouvrage écrit et illustré par Marine Schneider, il est l’affirmation d’un style narratif singulier et témoigne de la grande maîtrise graphique de l’artiste. (CC)
10. Et si ça existait?, de Marie Colot et Ian De Haes, Alice Jeunesse, 2022
Album, dès 4 ans
Voici un album à la fois doux et percutant, non seulement pour inviter l'enfant à imaginer son futur métier, celui qui lui ressemblera vraiment, mais pour permettre à l’adulte de voir le monde à travers les yeux d’un jeune garçon et de se rappeler les rêves que lui aussi avait imaginé pouvoir accomplir pour changer le monde!
Achille et Salomé, sa grande sœur, se baladent en rêvassant au métier qu'ils feront plus tard. Le garçonnet est encore petit et se projette avec difficulté dans cet avenir si lointain encore pour lui. Salomé, elle, lui a déjà formulé des projets plus clairs, démontrant ainsi une attitude plus mûre, empreinte de réalisme. D’abord quelque peu «coupante» avec son frère, elle finit par se laisser aller au jeu de l'imagination, plus fort que les limitations imposées par le quotidien.
Ensemble, ils explorent le champ infini des possibles, laissent libre cours à leurs envies ou, plus profondément, à leur espoir: celui de bâtir un monde où il ferait bon vivre, où les problèmes seraient résolus grâce aux liens d’amitié, de solidarité, d’empathie; un monde où les rêves seraient devenus réalité, une réalité empreinte de bienveillance et de toutes ces valeurs qui illuminent un quotidien trop souvent triste et décoloré. Au long de leur parcours – sur le chemin qui les ramène à la maison comme sur celui de leur cheminement intérieur, alors sans limite d’âge –, le frère et la sœur inventent des métiers encore inconnus mais tellement plus séduisants les uns que les autres: Guérisseur de peines, Partageurs de sous, Embellisseurs d’extérieur, Mécanicien de cerveaux, et bien d’autres qui sauraient si bien, eux, redonner au quotidien de la douceur et de la couleur, celle de la créativité et du partage.
Le message d’espoir de cet album est soutenu par une illustration d’une puissance saisissante. Les tons pastels, pourtant tout en douceur et délicatesse, sont encadrés par un trait ferme, comme le propos. Les personnages, hauts en couleurs, sont en mouvement, sujets actifs de leur cheminement. Les expressions de leurs visages assument clairement leur engagement, en accord avec leur être profond, leur détermination à changer, à apporter une solution radicalement nouvelle. Cette alliance subtile autant que percutante de rêve et d’énergie imprime un extraordinaire mélange de douceur et de force à toute l’œuvre, textuelle comme picturale.
Un chef d’œuvre à mettre entre toutes les mains, peut-être surtout celles des adultes! (SR)
11. Quand Hadda reviendra-t-elle? d’Anne Herbauts, Casterman, 2021
Album, dès 4 ans
Comment évoquer la perte douloureuse d’un être cher par une présence rassurante, chaleureuse et gaie? La réponse, magistrale, se trouve dans chacune des pages de l’album d’Anne Herbauts époustouflant de poésie et récemment récompensé par le Prix Libbylit.
A chaque page, cette question lancinante est posée: «Quand Hadda reviendra-t-elle?» et, à chaque fois, cette réponse rassurante est donnée: «Mais je suis là». Bien que désincarné, ce dialogue entre une grand-mère décédée et son petit-fils nimbe de sa simplicité et de sa tendresse les thèmes complexes du deuil et de la filiation. Chaque illustration nous immerge dans l’appartement et le quotidien coloré d’Hadda, qui semble seulement s’être envolée momentanément par une des fenêtres. Les objets dans la cuisine, les plantes sur le balcon, les lunettes posées nonchalamment se mêlent aux petites voitures et aux albums de l’enfant: tout est criant de vie et de tendresse. La minutie des illustrations rend hommage à la personnalité d’Hadda, que l’on devine par sa liste de courses, par les dessins qu’elle a accrochés ou par les imprimés de ses vêtements.
L’artiste belge livre une nouvelle fois une œuvre totale, universellement émouvante, qui illustre à la perfection ce que les japonais nomment «Natsukashii» et que l’on peut traduire par la nostalgie heureuse. (CC)
12. Cette nuit on part en vacances, de Charlotte Bellière et Ian De Haes, Alice Jeunesse, 2020
Album, dès 5 ans
«Cette nuit, on part en vacances!». C’est sur cette joyeuse exclamation que s’ouvre cet album tout en poésie signé Charlotte Bellière et Ian De Haes. Malgré un format «à l’italienne», il s’agit bien là d’un objet 100% belge, tant au niveau de sa création (l’autrice et l’illustrateur habitent le plat pays), que de son édition (par la maison bruxelloise Alice Jeunesse) et de son impression (réalisée localement). Cela n’empêche aucunement le livre d’avoir une portée universelle. En effet, à travers le récit «banal» d’un long trajet en voiture, le jeune narrateur décrit des situations et convoque des sensations qui parleront à de nombreuses familles: l’excitation fébrile qui précède le départ, les chamailleries entre enfants (à cause des jouets) ou parents (à cause de l’itinéraire), la pause-pipi à la station-service, le petit bonheur d’un casse-croûte avalé à la hâte sur un parking ou encore la joie de la découverte… Tout sonne extrêmement juste et on se délecte de chaque page, un sourire attendri au coin des lèvres.
Le texte, simple mais très évocateur, est accompagné d’images tout bonnement éblouissantes qui dépeignent tour à tour les aventures de la petite famille, les paysages traversés au fil des heures et les rêveries du narrateur. Déjà révélé par Superlumineuse (Alice Jeunesse, 2018), le talent unique de Ian De Haes pour la représentation picturale de la lumière et de ses multiples variations est ici confirmé. Les tableaux nocturnes, particulièrement réussis, nous ont rappelé les albums La nuit de la fête foraine de Gidéon Sterer et Mariachiara Di Giorgio (Les fourmis rouges, 2020) et Nous avons rendez-vous de Marie Dorléans (Seuil Jeunesse, 2018), que nous ne pouvons que vous recommander.
Cette nuit on part en vacances est une invitation à un voyage littéraire rempli de magie et d’onirisme! (DT)
13. La magicienne, de Myriam Dahman et Clément Lefèvre, Glénat Jeunesse, 2021
Album, dès 6 ans
La jeune Saskia vit dans un petit village entouré d’une forêt, au pied du volcan Oga. Sa rencontre avec une étrange créature, qui se révèle être l’esprit de la Forêt, va changer son destin. Seule membre de son village à avoir échappé à un terrible sort, elle va partir en quête d’une redoutable magicienne pour la persuader de rendre leur forme humaine aux villageois qu’elle a changés en porcs. Une fois parvenue à sa maison, Saskia lui propose un marché: si elle arrive à résoudre l’énigme posée par la magicienne, celle-ci devra libérer les villageois; si au contraire c’est l’enchanteresse qui arrive à résoudre la devinette de Saskia, elle pourra la transformer en ce qu’elle voudra.
Fruit de l’envie commune de Myriam Dahman et Clément Lefèvre de faire un album autour de la thématique des contes, ce livre est une vraie réussite. Truffé de références aux contes classiques comme Le Petit Poucet, Blanche-Neige ou encore Nain Tracassin des frères Grimm, il renvoie aussi à plusieurs personnages de la mythologie grecque, comme Circé la magicienne ou le sphynx d’Œdipe. Ces éléments sont disséminés habilement tout au long du récit, plongeant le lecteur dans une atmosphère merveilleuse et mystérieuse. Les thématiques de la nature et de sa préservation, ainsi que de la cohabitation entre l’homme et son environnement, sont également très présentes dans cet album. Les illustrations de Clément Lefèvre représentent d’ailleurs parfaitement les sujets abordés par l’autrice. Ce sont de grandes planches réalisées à la gouache qui se déploient tantôt sur une pleine page, tantôt sur une double-page, à l’instar de celles dépeignant la nature, qui envahissent la quasi-totalité de l’espace, laissant juste une petite place pour quelques lignes de texte. Les multiples cadrages et points de vue utilisés dans les illustrations permettent en outre de dynamiser le récit. Un soin particulier a également été apporté à traduire la variété des expressions et des émotions des deux figures féminines, qui changent à plusieurs reprises au fil de l’histoire.
Cet album propose un récit d’une grande richesse, tant au niveau de la narration, des thématiques abordées, des références littéraires que des illustrations. Il est également plus complexe qu’il n’y paraît, et le lecteur s’interroge sur l’issue de la confrontation entre ces deux héroïnes. L’une des deux l’emportera-t-elle, ou une troisième voie serait-elle possible? Au lecteur de le découvrir en lisant cet album. (CF)
14. Je veux un chien et peu importe lequel, de Kitty Crowther, Pastel, 2021
Album, dès 6 ans
«Miss Millie déteste: un les tôt le matin, deux: l'école. Ce qu'elle aime, ce sont les chiens. Elle en veut un, peu importe lequel! Jour après jour, elle demande à sa maman et, un matin, surprise! Sa maman répond un grand «OUI!!!». Arrivées au refuge, lequel choisir? Comment l'appeler? Ah si seulement les chiens pouvaient répondre!»
Voici le résumé que présente l’éditeur. Mais l’histoire se joue également bien au-delà des mots, grâce à la parfaite cohérence entre la maîtrise du trait, le choix des couleurs, la disposition des illustrations et leurs relatives proportions, l’entrelacement des caractères d’écriture avec ou sans gras, droits ou en italique. Cette œuvre est d’une richesse de sens incroyable qui en fait un chef-d’œuvre.
En effet, l’illustration, au trait reconnaissable entre mille, joue admirablement sur les couleurs du fond et de la forme! Dès les pages de garde, les lecteur·trice·s ne peuvent pas faire autrement que de remarquer un chien minuscule… mais couleur «orange-stabilo»… qui se distingue des autres – pourtant de race et imposants par leur stature et leur fière allure colorée! Par contre, sur les pages de frontispice, les lecteur·trice·s vont le perdre complètement de vue, cet insignifiant toutou: il n’y est plus, comme effacé, laissant la place à de nombreux autres chiens en noir et blanc, dont l’humanisation produit un effet comique assuré! Entre un chien orange-flashy et d’autres en veston-cravate, robe et cape de super-héros, faisant du skate ou du tricycle, le monde de la fantaisie ouvre grand ses portes… un monde vite rattrapé par un quotidien de routines que la jeune héroïne déteste, pas flashy du tout.
L’orange-fluo occupe toute la page pour présenter ce rêve incontournable de la fillette: avoir un chien comme animal de compagnie. Dès lors, chacune de ses propositions sera présentée sur une page entièrement colorée en orange: du jamais vu! Le jeu des couleurs se poursuit, mais dorénavant, l’orange prendra le «sens de la relation». Ainsi, le lien entre Millie et le chien minuscule du refuge naît alors spontanément, inexplicablement, comme tous les miracles d’amour. Alternant grand format et petits dessins juxtaposés, l’illustratrice conte, avec insistance ou petites touches humoristiques, les liens forts qui se tissent entre la fillette et Prince, son toutou. L’enchantement dure jusqu’au fameux jour de la rencontre avec les autres propriétaires de chiens du Club des Dogs. Seulement voilà: dans ce club de chiens racés et de fillettes ne règnent que l’apparence et les moqueries. Prince se retrouve à nouveau exclu, rejeté puis abandonné par «sa» Millie. Le temps se gâte, sonnant la rupture; l’orage éclate, le tonnerre gronde. Pour un petit «n» en moins, orange devient orage et tout se brouille dans la tête de la fillette. Comme sous l’effet d’un électrochoc, Millie fond, elle aussi, de tristesse et de remords. Dans le noir mouillé de la nuit de tempête, la fillette sort de chez elle, décidée à renouer avec son ami.
L’histoire pourrait fort bien s’arrêter après leurs retrouvailles, mais le génie de Kitty Crowther nous surprend encore: avec son gros et beau ruban orange dans les cheveux – un transfert d’amitié inconditionnelle? –, Millie rencontre un vieil homme, connaisseur canin. Il révèle alors à la fillette l’origine noble de son chien… pas Prince pour rien! Puis tous deux – l’enfant et le vieux chien – réussissent à «se parler», en se comprenant en profondeur, comme seuls des amis savent le faire, avec cette douce complicité qui rime si bien avec simplicité et félicité. (SR)
15. Ma musique de nuit / La danse des signes, de Marie Colot et Pauline Morel, Les éditions du Pourquoi Pas, 2020
Album, dès 7 ans
«Je vis dans le noir depuis ma naissance. C’est ma maison.»
Juliette a un rêve dans la vie: fonder un groupe de rock avec son ami Oscar! Or, ses parents trouvent bien trop compliqué qu’elle prenne des cours de batterie en raison de sa cécité…
« Je vis dans le silence depuis toujours. Un silence total. Tout le temps. Partout.»
Théo adore regarder Singin’ in the rain avec son amie Emma, elle-même claquettiste aguerrie. Mais comment danser lorsque l’on n’entend pas la musique?
Dans l’album Ma musique de nuit / La danse des signes, les récits de Juliette et de Théo sont présentés tête-bêche: leurs histoires sont parallèles, à la fois semblables et différentes. Juliette, jeune fille intrépide, se sent étouffée par l’angoisse constante de ses parents, tandis que Théo est retenu par ses propres peurs. Heureusement, les deux protagonistes sont entouré·e·s d’ami·e·s qui les accompagnent, les entraînent et leur permettent de se dépasser.
Les phrases courtes du texte se concentrent sur les perceptions des personnages, mais également sur leurs pensées. On découvre les techniques de Juliette pour trouver son chemin sans jamais trébucher et celles de Théo pour danser malgré l’absence de musique. Cette perspective permet aux lecteur·rice·s de se mettre à la place des personnages et de mieux comprendre leur réalité quotidienne. Le texte est accompagné d’illustrations vives et colorées. Dans Ma musique de nuit, les dessins représentent le bruit et les odeurs qui rythment les journées de Juliette, mais aussi ce qu’elle imagine et ce qu’elle ressent, notamment par rapport aux inquiétudes de ses parents. Les illustrations de La danse des signes se concentrent sur les mouvements de danse, le langage des signes et le regard de Théo.
La question du handicap est ainsi traitée avec empathie et bienveillance, sans paternalisme ni pathos. De plus, le changement de perspective permet de donner la parole à des personnes en situation de handicap. A la fin de chaque partie, des questions sur la cécité et la surdité permettent d’ouvrir la discussion avec les enfants. L’autrice, Marie Colot, est familière de cette problématique. Elle a en effet travaillé en tant que formatrice d’enseignant·e·s spécialisé·e·s et elle a une expérience de terrain.
Le livre fait partie de la collection Faire société de la maison d’édition du Pourquoi Pas, qui propose d’autres albums avec deux récits tête-bêche abordant différentes thématiques de société. (EP)
16. Odyssée, Peter Van den Ende, Sarbacane, 2020
Album, dès 9 ans
Un bateau en papier est plié par deux personnages mystérieux, puis posé sur l’eau: ainsi commence l’odyssée du petit vaisseau. Il vogue longuement et rencontre des oiseaux, des tortues, un hippocampe avec qui il voyage un temp et plein d’autres animaux. Les paysages défilent et font place à des créatures farfelues, fantastiques, à la fois drôles et inquiétantes. Le petit bateau semble faire le tour du monde, voguant de mers tropicales à des ambiances glaciales, peuplées d’icebergs et d’aurores boréales, en passant par des plateformes pétrolières mortifères. Il affronte une terrible tempête, coule et poursuit son périple sous l’eau. Il ressort finalement et achève son long voyage dans la rivière qui traverse une ville, rejoignant une petite maison…
L’album offre une grande liberté d’interprétation. En effet, l’absence de texte et le choix de présenter un personnage principal sans visage laissent entièrement la place à l’imagination et aux émotions des lecteur·rice·s. Enfants et adultes pourront ainsi décider si le petit bateau ressent de l’angoisse, de l’excitation ou une certaine solitude face à ce périple initiatique. La fin ouverte illustre parfaitement cette liberté.
Peter Van den Ende, guide naturaliste belge, a mis cinq ans à réaliser Odyssée et l’on comprend aisément pourquoi. L’album contient plus de 50 illustrations en noir et blanc, réalisées à l’encre et au stylo, d’une finesse et d’une richesse exceptionnelles. Chaque lecture révèle de nouveaux détails, des personnages et éléments que l’on n’avait pas encore aperçus. Dans une ambiance onirique et mystérieuse, les planches oscillent constamment entre ombre et lumière, paysage vide ou surpeuplé, réalisme et merveilleux, rappelant le mouvement incessant des vagues. Plus qu’un album, il s’agit d’une œuvre d’art. (EP)
Les rédacteurs: Cécile Cachelin (CC), Christine Fontana (CF), Valérie Liger (VL), Elise Prêtre (EP), Sylviane Rigolet (SR), Damien Tornincasa (DT)
Image de vignette: image intérieure de l'album Le plat du loup plat de Michel Van Zeveren (© Pastel)