À la recherche du petit sommeil perdu

Beaucoup d’humour, de malice, dans ce joli conte moderne qui aidera sans nul doute les petits enfants à s’endormir paisiblement.

C’est la nuit au potager. Un petit bonhomme bleu outremer à chapeau mou arpente d’un pas vif les allées plongées dans un vert émeraude profond et doux.

Que fait donc ce drôle d’enquêteur, passablement agité ? Il cherche le sommeil, pas n’importe lequel : le petit sommeil ! Sa silhouette dégingandée et ses gestes saccadés font sourire : Julia Chausson les dessine, et les grave dans le bois avant de les presser, pour créer toute une collection d’expressions corporelles réalistes et loufoques à la fois, comme pour un pantin agi par des ficelles invisibles. Le contour blanc irrégulier les met en relief comme dans un collage de Matisse. À lui tout seul, il rabat les ombres inquiétantes, et les pages s’éclairent, éloignant la peur.

Petit poucet à peine plus grand qu’une coccinelle, notre héros s’entête à chercher parmi les légumes du potager qui s’offrent en pleine page, de la citrouille au petit pois, affichant leurs couleurs franches et appétissantes, le cœur ouvert, pour mieux se laisser visiter par le lecteur en même temps que l’enquêteur. La chair des légumes contraste avec la couleur du fond de page : endive jaune sur violet, couronne de brocoli sur jaune vif…

Un hérisson qui passe par là darde ses piquants tout blancs comme éclairés par la lune, un escargot vert anis s’enfuit comme une ombre, en glissant sur une betterave pourpre. La gravure donne de la chair à l’image, de la densité, avec des irrégularités, des motifs plus ou moins encrés, et tous ces minuscules points blancs nés de la rencontre entre l’encre et le papier, la font respirer. Ainsi la lecture de cet album devient une expérience sensorielle.

Mais où est donc ce petit sommeil enfin ? Le texte se déroule comme une bande son, ponctuant chaque étape d’un commentaire suggestif. À cheval sur une carotte, le bonhomme se frotte les yeux : « Comme c’est étrange ! On a jeté du sable. », et la page suivante, allongé sur un épi de maïs : « Petit sommeil, faut-il fermer les yeux pour te trouver ? »

Il faudra encore quelques déconvenues avant que, harassé, notre enquêteur trouve le sommeil, dans un lit à sa mesure. Mais, en effet, ne pourrait-on pas énumérer tous les légumes du potager pour s’endormir le soir en paix ? Et qui sait, le délicieux souvenir de cette première histoire de recherche sera peut-être une ouverture propice pour la découverte d’une autre quête littéraire, quand le temps viendra ?