Trois êtres étranges

On ne saura jamais finalement qui étaient ces trois êtres étranges « [s]emblables à trois créatures d’argile maladroitement modelées » qui arpentaient joyeusement la montagne : le grand, le gros, le gris. Dévalant les pentes, au milieu des herbes folles et des chardons, s’élançant sur les crêtes vertigineuses, tutoyant les oiseaux, ils n’auront laissé derrière eux aucune empreinte. Privilège du lecteur de les voir alors ainsi vagabonder, jouer avec les eaux de la rivière, s’endormir sous les arbres d’une forêt et rêver. « Jamais ils [n’étaient] descendus jusqu’au village. Sauf une fois. Pour ramener un chien abandonné, un vieux bûcheron fatigué, et une petite fille égarée en robe blanche » nous raconte l'auteur.

Mais tout cela était du passé, car un jour on ne les a plus vu. Ni le lendemain, ni les jours suivants. Alors, le chien abandonné, le vieux bûcheron fatigué et la petite fille égarée les ont cherchés. En vain, sous les étoiles, ils ont parcouru la vallée, escaladé les sommets jusqu’à devenir à leur tour... trois êtres étranges.

Dans cet album joliment écrit et plein de sensibilité, Guillaume Guéraud laisse ainsi planer le doute et invite le lecteur à accepter l’idée de ne pas avoir toutes les réponses. Qui étaient ces trois êtres étranges ? Et que sont-ils devenus ? Nul ne le sait. La nature doit garder ses mystères, au creux des montagnes où souffle un vent de liberté.

Les illustrations de Claire Cantais sont tout simplement sublimes. Sur les paysages bicolores, en aplats de verts et de tons terre, rehaussés de quelques touches orange fluo, les trois créatures, moitié golem moitié yéti, circulent avec une étonnante fluidité. 

Un album rare qui donne toute sa place à l’imaginaire des enfants, les éveille à l’idée de liberté et ouvre les yeux sur les espaces qui nous entourent.