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Les éditions du Muscadier: une petite maison aux grandes convictions

Les éditions du Muscadier, une petite maison aux idées fortes basée en Charente, ont vu le jour en 2010. Du roman noir pour adultes au roman social pour ados, en passant par les docufictions, Le Muscadier a pour vocation d’humaniser ce qui ne l’est pas suffisamment, à travers une belle diversité littéraire. Bruno Courtet, son créateur et directeur éditorial, nous a raconté de quoi sont faites les fondations de cette maison, qui cherche avant tout à nous relier les uns aux autres, abordant des sujets complexes ou tabous. Homme d’action, l’éditeur prépare d’ailleurs avec son équipe le 1er prix du Muscadier: un projet fédérateur avec pour ambition de rassembler la jeunesse à travers la littérature.

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Elinda Halili
18 septembre 2024

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Bruno Courtet est à la tête des éditions Le Muscadier (© Patrice Normand / La fringale culturelle)

En se rendant sur le site Internet du Muscadier, on tombe sur cette accroche, à la fois engageante et percutante: «L’éditeur qui cultive le bon sens». Et pour Bruno Courtet, c’est une question de logique, d’ouverture: en discussion avec l’auteur d’un livre de recettes ayant mis au point une méthode pour accorder les vins et les mets en suivant ses propres goûts, ce dernier lance à son éditeur: «C’est juste une question de bon sens!». Ça sonne comme une évidence. Si l’on veut se mettre au diapason, se comprendre, il y a nécessité de s’ouvrir aux goûts et aux différences, de trouver la bonne fréquence. Le besoin également de connaître finement ce qui nous relie au sein du tissu multicolore qui façonne notre société. «L’un des plus gros succès du cinéma français de cette année, c’est Un p’tit truc en plus d’Artus. C’est imparable, il existe des gens différents, on vit avec eux et on les intègre! Il faut composer avec la diversité, c’est comme ça qu’on apprend», soutient Bruno Courtet. La littérature est le médium par excellence pour s’ouvrir à la pluralité, et pour éduquer les jeunes générations. Le Muscadier est une maison de sensibilité forte et de chemins de vie singuliers, qui s’inscrivent dans notre époque. Mais également un liant fort pour la jeunesse de francophonie.

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Deux romans qui n'hésitent pas à briser les tabous de la violence conjugale (© Le Muscadier)

Des sciences à la société

Issu du milieu de l’édition scientifique, Bruno Courtet, qui a commencé sa carrière aux éditions Dunod, ressent en 2010 le besoin de sortir du sillon des publications universitaires pour frayer un chemin à une littérature qui se fait le porte-voix de celles et ceux que l’on entend moins, ou dont on entend parler à travers des messages biaisés. L’éditeur ambitionne de contribuer à acérer les réflexions, à développer la capacité d’analyse, à briser les tabous. Exit les précis manuels de médecine, il souhaite se consacrer aux questions sociétales. Comment, en lisant, peut-on apprendre à mieux vivre ensemble?

Ici, pas de censure, pas d’interdits, mais rigueur et qualité dans le travail littéraire. L’éditeur souhaite coupler le sens aux talents. Aussi, les autrices et auteurs sont soigneusement sélectionnés parmi celles et ceux qui savent raconter les gens d’aujourd’hui et traiter intelligemment des questions et des sujets qui font l’actualité.

Parmi les six collections de la maison, deux s’adressent aux adolescents et aux jeunes adultes: Rester vivant et Saison psy. La première «aborde sans détour» les sujets les plus brûlants, tandis que la seconde se consacre aux questionnements psychologiques et existentiels des nouvelles générations. Grâce à ces ouvrages, la jeunesse prend un recul plus que nécessaire, se forgeant des opinions et trouvant des réponses loin du tout-cuit des médias et du trop-plein d’informations du Net.

Sur le catalogue du Muscadier, la phrase de La Boétie: «Soyez résolus de ne servir plus, et vous serez libres», comme une invitation à l’indépendance et à la lucidité. «À partir du moment où on refuse d’être soumis au pouvoir, notamment de l’argent, on est plus libre», récapitule Bruno Courtet. En marge des publications des grosses maisons, les ouvrages du Muscadier sont engagés, parfois crus, à l’instar du roman jeunesse Père à terre d’Érik Poulet-Reney qui traite des violences conjugales envers les hommes, ou de L’ivresse des profondeurs de Ghislaine Roman relatant aussi une situation de violence conjugale, mais au sein d’un couple d’adolescents. Il s’agit de baliser un chemin vers des états d’esprit avisés et empreints de compassion, d’éclaircir ce qui est trop vaguement visible.

Des ouvrages incitant à l’action

La montée des extrêmes, la violence, la misère, le cloisonnement sont autant de raisons pour Le Muscadier de publier des ouvrages qui racontent haut et fort que les différences, les inégalités ou les accidents de parcours n’arrivent pas qu’aux autres. Que l’existence de toutes les situations que l’on préférerait ne pas avoir à affronter n’est pas un argument pour s’accrocher à nos privilèges et pour redoubler d’égoïsme. Habitant une petite ville de province, le directeur du Muscadier y trouve régulièrement de nouvelles raisons de donner une voix à celles et ceux dont les échos se perdent dans les affres d’une société souvent intolérante et individualiste. «La plupart des gens ne regardent même pas les sans domicile fixe lorsqu’ils les croisent. Au contraire, je tente d’établir un dialogue, d’aller à leur rencontre», raconte l’éditeur. Les livres du Muscadier sont aussi là pour fertiliser les liens entre les uns et les autres, même et surtout lorsqu’ils sont a priori voués à ne pas se rencontrer. Pour le fondateur du Muscadier, engagé dès le début avec une première publication intitulée Altergouvernementvivre dans la peur de l’autre est un poison, trop souvent distillé par les médias. «Si on véhiculait des images positives, on aurait sans doute moins peur d’aller vers l’autre», dit-il.

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Des publications socialement engagées qui font la marque de fabrique du Muscadier (© Le Muscadier)

Ardent opposant à l’homophobie depuis toujours, ce papa de quatre enfants – dont un fils transgenre – assiste avec tristesse à des scènes de rejet de la part de parents de personnes LGBTQIA+. L’éditeur parle de «caricatures» contre lesquelles la littérature peut jouer un rôle important. Un ouvrage tel que Tu seras un homme, mon fils de Jérémy Bouquin, qui traite du sujet, tend à faire espérer que les idéologies nauséabondes et les fake news qui circulent un peu partout, et qui se dressent comme des barrières entre les gens, se brisent et laissent enfin place à l’ouverture. Encore une question de bon sens… et une bonne raison de se mettre ou de se remettre à lire.

Inscrire la littérature dans la réalité, dans la concrétude de l’époque, c’est aussi donner des pistes viables pour la rendre meilleure.

Le 1er prix du Muscadier

Dans la sélection du 1er prix du Muscadier, on retrouve notamment le roman Survivante de Stéphanie Abadie, un ouvrage d’anticipation mêlant écologie, suspense et action, dont le message de fond exhorte les jeunes à réfléchir avec acuité à la société dans laquelle ils souhaitent vivre demain. «Il est primordial que les jeunes soient en mesure d’analyser les messages des pouvoirs publics et des puissants avec discernement. Certains parmi ces derniers n’ont pas intérêt à faire changer les choses», livre l’éditeur.

En début d’année, Bruno Courtet et son équipe ont décidé de se lancer le défi de mettre sur pied ce prix littéraire ouvert à l’ensemble de la France métropolitaine, aux DROM, à la Belgique et à la Suisse. «Ce que l’on veut essayer de faire, c’est d’inciter à la lecture. On a fait une sélection qui va vraiment parler aux jeunes de choses qu’ils connaissent», explique Bruno Courtet. Pour lui, lire est un acte d’indépendance d’esprit, plus que jamais nécessaire… en plus d’être un plaisir à cultiver. Pour rassembler des participantes et participants autour de ces missions, l’éditeur n’hésite pas à parler d’«émancipation des réseaux sociaux» en évoquant le 1er prix du Muscadier, auquel les classes peuvent s’inscrire jusqu’au 18 octobre.

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Les inscriptions au 1er prix du Muscadier sont ouvertes jusqu'au 18 octobre. Cliquez sur l'image pour télécharger le Flyer.

«C’est en discutant avec des professeurs documentalistes que l’idée a germé», raconte le directeur du Muscadier. La sélection s’est décidée avec ces professionnels de l’éducation, qui ont une bonne idée de ce qui plaît aux élèves. Avec des textes humoristiques, d’autres plus sombres mais stimulant la réflexion, d’autres encore abordant la question des jeux vidéo, l’équipe de Bruno Courtet vise à rallier écoliers, collégiens, lycéens et professeurs à une aventure à la fois intellectuelle et connectée au quotidien. Parmi les ouvrages en lice, on retrouve par exemple Comment j’ai réparé le sourire de Nina de Nicolas Michel. Un ouvrage drôle et profond par cet auteur pour adultes, qui est également une incroyable plume jeunesse.

Le prix est divisé en deux sélections: d’un côté les 9-12 ans, pour lesquels des dossiers pédagogiques à l’intention des enseignants sont proposés, et de l’autre les 13 ans et +.

Pour l’anecdote, ce projet ambitieux est né d’une simple photo: «Une professeure documentaliste de la Réunion m’a envoyé la photo d’une de ses élèves de terminale devant un mur complet de livres du Muscadier: elle avait tout lu!», s’enthousiasme Bruno Courtet. De quoi être optimiste quant au succès de ce prix littéraire auprès des ados – un prix qui permettra aussi de relancer ces petites éditions, qui vivent une période délicate.

Actualiser la littérature jeunesse

Malheureusement, les échos du milieu enseignant sont souvent les mêmes: c’est compliqué de faire lire les jeunes. Le Muscadier n’en démord pas, c’est aux éditeurs de proposer des textes qui sachent capter leur attention. «La littérature classique, c’est très bien… mais si éloigné du quotidien des jeunes, du monde virtuel qui occupe tant d’espace, de leurs préoccupations», analyse Bruno Courtet. Aussi, il s’efforce de répondre à une demande qui a énormément évolué.

L’éditeur confesse: «Petit, je n’étais pas un grand lecteur. J’ai découvert la littérature un peu sur le tard, vers 13-14 ans… Ce fut une révélation cruciale: rien de pareil pour ouvrir l’esprit». Fort de cette certitude, il est conscient que la jeunesse a plus que jamais besoin de récits qui soient à la fois à sa portée, à son goût et riches en apprentissages. De lectures qui aiguisent le sens critique. Les intelligences artificielles permettent de gruger en masse, et lire rectifie potentiellement le tir. «Être capable d’analyser les choses, les situations, la société, de manière sereine, c’est essentiel», affirme Bruno Courtet.

Mais pour y arriver, il est indispensable d’adopter le bon ton. «Les styles d’écriture du Muscadier sont multiples, même parfois très disparates», confie l’éditeur. La maison recherche avant tout une fluidité et une richesse dans le langage, mais pas de formatage. On saute allègrement du subjonctif imparfait au franc-parler des banlieues. Ainsi, dans le roman Plus rien à perdre de Jean-Luc Luciani, qui relate la vie d’une bande de jeunes des quartiers nord de Marseille, l’écriture est tranchante, pêchue. «Ils m’ont chopé quand je suis rentré à la maison. Ma daronne avait préparé des alouettes sans tête pour midi», y écrit par exemple Luciani. Pas de fausses notes: l’auteur, que Bruno Courtet apprécie tout particulièrement, connaît son sujet et mêle une syntaxe impeccable à un parler caractéristique des cités.

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«Plus rien à perdre» s'adresse aux jeunes dans un langage franc et populaire (© Le Muscadier)

Cela fonctionne. Le directeur du Muscadier raconte: «Je suis allé récemment dans une classe de 3e métier (classe professionnalisante des lycées français). Au début de mon intervention, ils rigolaient entre eux. Puis, j’ai commencé à leur lire un extrait de Plus rien à perdre et ils ont tout de suite accroché, parce que c’est un langage qui leur parle.»

Le Muscadier n’hésite pas à éditer des ouvrages sombres, relatant une réalité. «On fait aussi du sombre, car la vie est parfois sombre. Mais nous en parlons parce qu’il y a des choses à réaliser et à faire», explique Bruno Courtet. Le directeur de collection, Christophe Léon, joue quant à lui un rôle crucial en présélectionnant les meilleurs textes, puis en aiguillant les autrices et les auteurs. L’équipe est soudée autour d’une mission éducationnelle primordiale, qu’elle a à cœur de maintenir actuelle.

L’apprentissage est le propre de la jeunesse

Pour Bruno Courtet, ce qui rend les jeunes années si importantes, c’est qu’elles sont indissociables d’un apprentissage quasiment constant. On découvre, on expérimente, et tout cela façonne la suite de nos vies sans qu’on en soit toujours conscient. La vie, l’école, et bien sûr les lectures nous enseignent des savoirs qui nous serviront, ou qui nous desserviront pour le reste de nos jours.

Le cœur comblé par son rôle de père, le directeur du Muscadier s’est plu à voir grandir, évoluer et apprendre chacun de ses enfants de manière différente. Il est conscient qu’au milieu de toute cette diversité, les nouvelles générations rencontrent des défis globaux de taille. Il s’en émeut mais souhaite aussi et surtout les encourager à y faire face et à se battre pour faire valoir ou préserver ce qui leur est cher. «Aujourd’hui, être jeune est synonyme de se demander ce que la planète va devenir… c’est un tout autre défi – et une tout autre pression sociale et psychologique – que les questions que se posaient la plupart des ados de ma génération!», confie-t-il. Un titre de la collection Saison psy sur l’éco-anxiété sortira d’ailleurs en librairie au mois de novembre prochain, répondant aux attentes d’un public de plus en plus large.

Proche du milieu des professionnels de l’éducation, Le Muscadier est en lien direct avec l’actualité des programmes scolaires des élèves, permettant d’instituer un dialogue entre ses publications et les thèmes abordés dans les classes. «On ne fait pas nos livres en fonction du programme scolaire, mais il y a une bonne concordance entre ce que l’on publie et ce que les élèves apprennent», dit à ce propos Bruno Courtet.

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Des romans brûlant d'actualité (© Le Muscadier)

Poing levé de Yaël Hassan, qui met en parallèle l’histoire de l’athlète américain Tommie Smith qui a lutté pour la cause des Noirs américains, et le quotidien d’un ado d’aujourd’hui confronté au racisme durant la période du Covid, illustre de quelle manière le vécu des jeunes actuels peut trouver des appuis dans l’histoire. Le roman Noor: envoyée spéciale de Patricia Vigier, quant à lui, suit le combat d’une jeune Syrienne pour que l’information l’emporte sur les fake news. Deux exemples d’identités qui appartiennent à une société, à une époque, indissociables du milieu dans lequel elles évoluent et donc des autres.

Le Muscadier offre des personnages complexes dans le contexte tout aussi complexe de leurs environnements. C’est une littérature sociale, engagée et combative prenant racine dans les réalités compliquées, que Bruno Courtet a à cœur de diffuser.