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Les secrets de Patrick Bard

En Allemagne, des lycéennes et lycéens qui apprennent le français ont plébiscité son roman Le secret de MonaLécrivain est venu échanger avec elles et eux. 

Patrick Bard
Dominique Petre
15 octobre 2024

Après Une fille de de Jo Witek (lire notre article ici) et Aigre-doux de Wilfried N’Sonde (lire notre article ici), Le secret de Mona de Patrick Bard a remporté le «Prix des lycéens allemands» ou «PDLA», qui devrait plutôt s’appeler Prix allemand des lycéennes et lycéens. Le lauréat de ce prix est choisi par des jeunes qui connaissent le français, mais dont ce n’est pas la langue maternelle. Organisé tous les deux ans par l’Institut français d’Allemagne, la maison d’édition Ernst Klett Sprachen et la Fédération allemande des professeur·e·s de français, ce prix est doté d’une enveloppe de 5000 € et garantit la publication du texte en français dans une édition scolaire allemande. 

250 jeunes rencontrés en Allemagne
Patrick Bard a officiellement reçu le «PDLA» lors d’une cérémonie à la Foire du livre de Leipzig en mars 2023. Une année plus tard, il est revenu effectuer une mini-tournée dans sept villes allemandes et a ainsi rencontré quelque 250 lycéennes et lycéens. Dominique Petre a eu la chance de pouvoir assister à son intervention à la Ziehenschule à Francfort-sur-le-Main[1].

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Mars 2023: Patrick Bard à Leipzig; avril 2024: Patrick Bard à Francfort (© Institut français d’Allemagne, © Dominique Petre)

Lors de cette rencontre, l’écrivain a décrit son amour précoce pour les histoires: «Je refusais de manger si ma mère ne m’en racontait pas une. Plus tard, elle se plaignait que je lisais les livres plus vite qu’elle n’arrivait à les acheter». Dès qu’il peut écrire, Patrick Bard écrit: «des nouvelles au collège et lycée, ensuite des articles comme journaliste». Quand, à Francfort, un élève lui demande de se définir en trois mots, Patrick Bard répond sans hésiter «auteur, photographe et journaliste», avant de préciser: «ce ne sont pas seulement mes métiers, c’est qui je suis».

 Une frontière fait de lui un écrivain
Comme journaliste, il est venu photographier la chute du mur entre les deux Allemagne en 1989. Quelques années plus tard, il assiste, sidéré, à la construction d’un autre mur, censé rendre la frontière entre le Mexique et les États-Unis infranchissable. «Cette frontière, je l’ai côtoyée pendant cinq années», explique Patrick Bard, «et c’est elle qui a fait de moi un écrivain». Elle lui inspire en effet son premier roman, intitulé simplement La frontière (Points) et publié en 2002. Que le texte ait ensuite été traduit et publié au Mexique lui a fait très plaisir. D’autant que, plus tard, «il a été réédité dans le cadre d’un salon du livre mexicain et distribué gratuitement», raconte-t-il.

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Rencontres scolaires en Allemagne, à Wörth et à Francfort (© Dominique Petre, © Europa Gymnasium Wörth, © Dominique Petre)

Un grand voyageur et un Mexicain de cœur
Grand voyageur, Patrick Bard a sillonné le monde et ses périples se retrouvent tout naturellement dans ses romans: «C’est ma façon de réagir à ce que j’ai pu observer». Un exemple concret? Au Guatemala, il tombe par hasard, devant l’ambassade américaine, sur une femme qui fait la grève de la faim. «Elle désirait retrouver sa fille, adoptée par un couple aux États-Unis», raconte Patrick Bard, avant de poursuivre: «Elle n’avait pas abandonné son enfant, il avait été kidnappé». Après cette rencontre, l’auteur va écrire un roman sur la mafia de l’adoption: Orphelins de sang (Seuil), déjà récompensé par un Prix de lycéens (Sang d’encre, réservé aux polars) lors de sa parution en 2010. 

«Mon pays d’adoption, c’est le Mexique», explique l’écrivain français en tournée en Allemagne. Patrick Bard ne possède pas de passeport mexicain mais il est persuadé que la mort en a un. Et il sait de quoi il parle puisqu’il a travaillé trois ans sur Calaveras: Mexique, la mort joyeuse (Librisphaera, 2020), un livre alliant textes et photos. «Au Mexique, la fête des morts prend d’autres proportions que chez nous, elle dure deux semaines et est très joyeuse», explique-t-il. «Cela reflète un rapport différent avec la mort. Le double héritage aztèque et espagnol veut que l’on se moque de la mort jusqu’à ce qu’elle se moque de nous».

Patrick Bard profite de la vie et estime qu’elle est sa source d’inspiration numéro un: «Elle a plus d’imagination que n’importe quel être humain». «Quand vous avez un auteur en face de vous, vous avez un vampire en face de vous», prévient-il les élèves: «C’est en regardant la réalité que je construis mes personnages».

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«Calaveras», un livre dont il signe textes et photos, un maquillage mexicain et un gâteau allemand (© Librisphaera, © Marie-Berthe Ferrer, © Institut français d’Allemagne)

Le secret de Mona inspiré par un fait divers
Le secret de Mona, le roman jeunesse dont il est venu parler en Allemagne, tire son origine dans la vie réelle. Il y a plus de vingt ans, Patrick Bard était tombé sur un fait divers qui l’avait marqué: «Un enfant dont la maman, un matin, n’était pas sortie de son lit, avait cohabité pendant un moment avec le cadavre avant que son entourage ne se rende compte du décès», explique-t-il aux élèves. 

Avec son mandat de conseiller municipal dans le petit village de la Perche où il habite, Patrick Bard a découvert la grande précarité de certaines familles. «À la campagne, cela peut être pire qu’en ville car tout est loin et chaque trajet, pour aller passer un entretien d’embauche ou aller chercher un recommandé, nécessite temps et argent», explique-t-il. Pendant le mouvement des gilets jaunes, l’auteur a beaucoup discuté sur les ronds-points. Tout cela lui a donné envie «d’écrire le portrait d’une fille très courageuse et d’aborder les liens entre précarité et santé mentale».

Si des lycéennes et lycéens d’Allemagne lui ont décerné leur prix, c’est peut-être parce que Le secret de Mona est construit comme un polar plein de rebondissements. Francophone ou pas, c’est un livre que l’on ne lâche pas facilement avant la dernière page.

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Les deux éditions de «Le secret de Mona» et Patrick Bard à la Ziehenschule de Francfort (© Syros, © Dominique Petre, © Ernst Klett Sprachen)

Ses héros sont souvent des héroïnes
Pourquoi ses héros sont-ils souvent des héroïnes? «On m’a déjà posé la question», répond Patrick Bard, «et cela m’a forcé à y réfléchir». Son premier roman, La frontière se déroulait dans une ville mexicaine devenue tristement célèbre, Ciudad Juárez. «C’est à cet endroit que le terme féminicide est né», raconte-t-il, «la chasse aux femmes était devenue un loisir pour les hommes, plus de 1500 avaient été tuées, les coupables restaient majoritairement impunis. Ce sont ces femmes qui m’ont donné envie d’écrire».

Son premier roman jeunesse, Et mes yeux se sont fermés (Syros, 2016), raconte l’histoire de Maëlle, une jeune fille qui part en Syrie faire le djihad.

Mais les protagonistes de ses autres romans étiquetés jeunesse sont masculins: dans POV (comprenez «point of view»), Lucas est un ado accro aux films pornos. Un livre traduit en allemand, mais également en anglais: «L’éditeur a vendu le texte aux USA avant même la parution en France», précise Patrick Bard, «cela ne lui était jamais arrivé». On retrouve les ingrédients typiquement «bardiens»: le thème sensible et l’écriture captivante. Idem pour son dernier en littérature jeunesse, Dopamine, du nom de l’hormone du plaisir immédiat. Également inspiré d’un fait divers, le roman tente d’expliquer comment deux adolescents en arrivent à assassiner une jeune fille.

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L’auteur entre deux de ses romans jeunesse (© Syros, © Bobinha, © Syros)

Pourquoi écrire pour la jeunesse?
Lui qui écrit à la fois pour les jeunes et pour les moins jeunes ne sait pas trop ce qui fait la spécificité des catégories: «Un extrait d’un de mes romans “adulte”, La frontière, s’est retrouvé dans les annales du brevet», raconte Patrick Bard, «et un de mes romans “jeunesse”, Le secret de Mona, a été sélectionné pour le prix “adulte” Michel Tournier». Même si les frontières sont devenues perméables, il reste une différence: «De manière générale les héros ont l’âge des lecteurs, cela facilite l’identification».   

Et pourquoi a-t-il décidé de s’adresser aux jeunes? «En 2015 j’ai subi un double traumatisme», répond Patrick Bard. «Un ami à moi, Michel Renaud, se trouvait par hasard dans les locaux de Charlie Hebdo au moment de la tuerie. Une actualité mondiale s’est transformée en deuil personnel». Mais ce n’est pas tout: une semaine plus tard, le fils d’une de ses amies disparaît. «Les recherches ont montré qu’il s’était converti et qu’il était parti en Syrie, où il est probablement décédé», reprend l’auteur, qui a pour ainsi dire perdu des êtres «des deux côtés». Il décide alors de rédiger Et mes yeux se sont fermés: «Pour la première fois, j’ai voulu adresser un message aux jeunes. Je voulais toucher des gens à l’âge où ils se font recruter».


[1] La rencontre avec des élèves de la Ziehenschule de Francfort et de la Georg-Büchner-Schule de Darmstadt a eu lieu le 25 avril 2024 à la Ziehenschule.

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Illustration d'auteur

Patrick Bard

française