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Jeanne Macaigne: «Le dessin est cette grande planète très accueillante sur laquelle plus vous embrassez de territoires différents, plus cela vous fait grandir.»

Rencontre avec Jeanne Macaigne, autrice-illustratrice qui s’engage «en amour, en amitié, pour ses idées», affirme «sa voix en texte et en dessin» et essaie de transmettre à ses lectrices et lecteurs «le goût de la liberté et de la rébellion».

Emmanuelle Pelot
27 avril 2023
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Jeanne Macaigne avec son dernier album en date devant la librairie/galerie Artarzart (© Carl Huguenin)

Emmanuelle Pelot: Dessinatrice de presse pour de multiples journaux, autrice-illustratrice de livres pour enfants, conceptrice de spectacles... comment arrivez-vous à jongler avec ces diverses activités?
Jeanne Macaigne: Le dessin est très vite arrivé dans ma vie comme un territoire infini où je pouvais tout réinventer. Ce langage m’offre une grande liberté de pensée, de mouvement, me permet de raconter des histoires, et s’impose en acolyte sûr et aussi un peu canaille. C’est un troisième poumon pour mieux respirer dans la vie, un endroit où tout devient étrangement calme, où tout renaît. Se lever chaque matin pour aller se balader dans son inconscience de manière consciente (ou presque) sur une feuille de dessin m’est très précieux.
Le dessin est cette grande planète très accueillante
sur laquelle plus vous embrassez de territoires différents, plus cela vous fait grandir.
Pour la presse,
j’apprécie de travailler pour des titres avec des pensées différentes, Alternatives économiques, Libération, les revues XXI ou 90°. Dans mon dessin de presse, la signification globale de l’article doit apparaître au premier regard, puis souvent j’installe d’autres portes en arrière-plan. J’aime utiliser les métaphores qui peuvent être de grands espaces de liberté. Ainsi, dessiner l’actualité en décalant mon propos vers la poésie me permet d’inscrire le réel dans un conte. Un œil est tourné vers l’imaginaire, l’autre, vigilant, vers la réalité.
Changer de territoire, comme aller du dessin de presse au spectacle vivant en passant par les contes illustrés et mon travail d’affichiste notamment, sont autant de possibilités, de cheminements qui me portent vers de multiples libertés.
Le dessin a une conscience de l’inconscient très forte, il nous entraîne parfois
vers des endroits étonnants que l’on ne soupçonnait pas receler en soi.

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Trois dessins de presse signés Jeanne Macaigne: à gauche, une représentation humoristique de l'Assemblée nationale pour «Libération»; à droite, en haut, une illustration pour «90°»; à droite, en bas, une image consacrée à Rupert Murdoch pour «Télérama» (© Jeanne Macaigne)

Seriez-vous un peu hyperactive?
Que nenni, j’avance tant bien que mal sur mon pied d’escargot, tout passe si vite! La vie est si courte mais… le dessin ou l’écriture ont ce pouvoir de la rallonger. Inventez des histoires et vous devenez un chevalier boulimique ou un esclave désespéré de votre intériorité. «Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de vous en priver» (En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut).

Quelles sont vos sources dinspiration?
Le quotidien. Mes lectures, la marche, la musique, la cuisine, les humoristes, le cinéma, mon entourage. Un chien qui ronfle dans un rayon de soleil, une mouche qui se polit les escarpins, la démarche chaloupée d’un passant, un huîtrier pie dénichant les meilleurs bulots, tous ces moments amènent des images. Les idées surgissent dans cet espace infime qui se crée entre mes images intérieures et celles que je découvre en parcourant les espaces de tous les jours.

La course à pied aussi est un bon moteur: ressentir cette impression de vitesse et tenter de faire le calme à l’intérieur pour installer son cœur dans un bon tempo. Cela réenclenche les idées. Courir, déployer ses jambes dans de grands espaces même urbains c’est se sentir vivante. Parfois, quand je marche, il m’arrive de m’inventer un ballet muet alors que je regarde les personnes dans la rue. Je suis très attentive aux mouvements des corps, à leurs croisements, leurs circulations dans l’espace, leur musicalité. Et dans un album, tout est une affaire de musique!

Quels sont les albums qui ont marqué votre jeunesse?
Grain d’aile de Paul Éluard, avec au dessin Jacqueline Duhême, une histoire sur la liberté d’être soi, de déployer ses ailes. Une petite fille souhaite voler et, un beau jour, son souhait est exaucé. Ce qui, très vite passée l’euphorie des hauteurs, la plongera dans la solitude en la coupant de ceux qu’elle aime. Elle redescendra sur terre « avec les autres, tous les autres, ceux qui sont légers et ceux qui le sont moins […] [et tous] pourront, en restant eux-mêmes, avoir des ailes et des bras, être à la fois sur la terre et au ciel.»

Le premier camping de Nahotchan d’Akiko Hayashi, l’histoire d’une petite fille qui part camper avec les plus grands. «Les petits ne peuvent pas marcher en portant un gros sac. Ils ne savent pas ramasser du bois pour faire cuire le riz. Ils pleurent pour un rien. Ils ont peur du noir.»
Heureusement, sa voisine Tomoko l’embarque dans ce voyage. Combattant ses peurs, Nahotchan va grandir tout au long du livre. Dans un style très délicat, aux lignes douces, aux couleurs minimalistes, cet album me faisait presque entendre les sonorités de la langue japonaise par le mouvement des personnages, leurs attitudes. C’est un chef-d’œuvre, que l’École des loisirs réédite toujours.

Borka de John Burningham. C’est une oie qui naît sans plumes, sa mère lui tricote un gilet pour qu’elle ne prenne pas froid. Mais un jour, toute sa famille s’envole vers les pays chauds, et la laisse seule, dans les marais glacés. Triste et désorientée, elle cherche un peu de chaleur, et s’engouffre dans la cale d’un bateau qui vient d’accoster. Le lendemain, la voilà qui se retrouve embarquée sur un navire au beau milieu de la mer. Le capitaine, en la découvrant, lui propose de se rendre utile pour payer son voyage. Avec son bec, elle tirera les cordages, raccommodera les filets et ainsi fera partie de l’équipage, elle grandira et reprendra confiance en elle.
Tous les albums du Père Castor m’ont accompagnée durant mon enfance et pour en citer quelques-uns: le Conte de la Marguerite de Béatrice Appia, une petite fleur qui dépasse l’horizon de son champ et part à la recherche d’un jeune mouton qui lui a mangé quelques feuilles. Marlaguette de Marie Colmont et Gerda Muller, une histoire d'amitié entre un loup et une petite fille qui exprime l’idée que l’on peut accepter beaucoup de choses par amour.

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«Mina» de Mattthew Forsythe (© Little Urban), «La soupe Lepron» de Giovanna Zoboli et Mariachiara Di Giorgio (Les fourmis rouges) et «Je veux un chien» de Kitty Crowther (© Pastel): trois albums récents plébiscités par Jeanne Macaigne.​​​​​​

Et ceux qui vous ont marquée plus récemment?
Mina de Matthew Forsythe. L’histoire d’une petite souris casanière dont le père, collectionneur loufoque, ramène un jour deux gros «écureuils» qui sont en réalité deux gros chats. Le rythme et les images sont une belle partition très drôle, tout en tension et subtilité.

La soupe Lepron de Giovanna Zoboli et Mariachiara Di Giorgio. M. Lepron, un lapin, invente la recette d’une merveilleuse soupe qui régalera, l’automne venu, les papilles des habitants autour de son terrier. La renommée de sa recette si délicieuse dépasse les frontières de sa maisonnée et sa soupe commence à se vendre à travers le monde à grande échelle. Mais un jour, M. Lepron n’a plus goût à rien. Il ferme son entreprise et reprend la patte sur sa vie, en profite à fond et passe de bons moments avec tous ceux qu’il aime. J’adore cette histoire, la beauté des animaux peints par Mariachiara Di Giorgio, la douceur des paysages, l’air facétieux des lièvres, et ce ton révolutionnaire distillé dans ce récit drôle, tendre, espiègle et plein de sagesse. Un album à l’apparence classique qui aborde un sujet actuel: le capitalisme et la mondialisation qui viennent nier la singularité et la liberté des individus.
Je veux un chien de Kitty Crowther. Un jour, dans un monde où chaque enfant a un chien et plutôt de race, une enfant demande un chien à sa mère qui l’emmène dans un refuge. L’enfant choisit un tout petit chien. Elle va subir alors les railleries de ses camarades, ce qui compliquera l’accueil dans sa vie de son nouveau compagnon. Cet album parle de la complexité de s’intégrer à un groupe lorsqu’on est différent et de l’amour comme rempart aux colonnes vertébrales trop molles.

Comment démarre votre processus créatif?
Au début, je recherche une émotion particulière que j’ai envie d’exprimer dans un livre. Me viennent à l’esprit des questions auxquelles je n’ai pas encore répondu. Cela peut prendre un certain temps, et plutôt que de faire du bowling en faisant rouler ma tête sur mon bureau – et comme je ne fais pas de strike non plus avec cette tête – je l’emmène dehors et lui fait prendre d’autres chemins, d’autres atmosphères jusqu’à lui faire oublier qu’il y a une histoire en jeu. Quand je reviens avec elle, que j’ai bouquiné, discuté avec des amis, couru ou marché si vite que je me suis perdue, tout à coup arrive l’histoire.

Et de quelle manière se déroule-t-il par la suite?
Dans un deuxième temps, je travaille mon texte en musique comme une sorte de chef d’orchestre. Chaque histoire a une musique particulière, le texte est le métronome des images qui twisteront autour de lui à la recherche de leur place dans le livre.

Vient ensuite le storyboard: je construis chaque page, en dispatchant mon texte et en créant les images, j’entre en symphonie. Cette étape est galvanisante, car tout y est possible. C’est un rêve éveillé, un moment de fête, où il faut tenir le cap. Enfin, je me lance à corps perdu dans les images, j’installe des détails qui me font rire, j’éprouve de la tendresse pour chaque personnage (sans tendresse, nous sommes perdus) et pour chaque double-page, je compose une nouvelle pièce. Chaque pièce fait partie d’une grande maison et cette maison devient un album. 

Vos illustrations foisonnent de détails savoureux, vos tables possèdent des pieds (au propre et au figuré), les maisons parlent (référence à Changer dair), une multitude de drôles de bêtes sinvitent sur vos planches, vos personnages semblent parfois sortis dune pièce de théâtre ou dun monde parallèle (référence aux Coiffeurs des étoiles)... En quoi vos albums reflètent-ils votre personnalité?
Mes albums sont comme des corps vivants. Je suis moi-même un corps vivant. Dans un corps, il y a toute une mécanique bien huilée qui le fait respirer et avancer en bipède. Pour le livre, c’est pareil, il faut l’équiper de tout un monde pour qu’il puisse avoir sa vie propre et dialoguer avec les lecteurs le plus longtemps et de la façon la plus riche possible. À chaque page, je me dis qu’un arbre va permettre d’imprimer mon livre, un arbre plus grand que moi, plus vieux que moi, plus sage, alors je prends le plus grand soin à chaque détail pour nourrir la page qui alimente l’histoire elle-même, et m’incline devant la puissance de la nature. Je pense que chaque chose que je dessine doit avoir une âme. Ces détails installent d’autres histoires parallèles qui enrichissent l’histoire principale et sont des clés poétiques pour percevoir la psychologie des personnages qui vivent dans mes livres.

J’aime raconter des histoires avec des personnages qui par leurs actions vont faire progresser le récit sur des chemins d’aventures.
Mon album L’hiver d’Isabelle raconte l’histoire du monde intérieur d’Isabelle, où tout paraît froid, vide et ennuyeux. Pour sortir de cet univers gelé, Isabelle se lance dans une aventure intérieure et entre en conversation avec son inconscient, symbolisé par différents paysages et personnages. Dans sa maison, elle tourne le dos à l’extérieur et ne voit pas que dehors la vie continue: des bonhommes de neige s’amusent follement à circuler en auto-tamponneuse. Isabelle est bloquée à l’intérieur d’elle-même dans sa maison. Grâce à l’irruption d’une fée volcanique, au fil de la lecture, ses souvenirs et ses rêves reviendront, les couleurs, le plein, le chaud et le vivant resurgiront.

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«L'hiver d'Isabelle» et «Les coiffeurs des étoiles»: deux albums aux personnages fort et atypiques (©MeMo)

Les coiffeurs des étoiles, lui, est un récit d’aventures rocambolesques, sur la solidarité entre les êtres, sur l’exil, sur les liens entre la terre, le ciel, la mer et les êtres vivants. Sur l’île vivent dans une bonne entente une famille de coiffeurs et de drôles d’êtres chevelus. La mer entoure l’île et ses habitants et les terrifie par ses mystères. Elle est la métaphore de terreurs indicibles partagées par tous, sauf par les enfants des coiffeurs qui, grâce à leur imagination et leur énergie, réussiront à apaiser les peurs, lever les barrières et recréer une harmonie.

De vos pinceaux naît un univers unique, que lon pourrait qualifier donirique. On a limpression que les mondes se mélangent et que tout devient possible. Jusqu’à repenser le monde actuel comme votre album Changer dair?
Souvent, j’essaie que mes albums soient comme des rêves éveillés, comme des révolutions drôles qui conduiraient le lecteur vers son cheminement intérieur. Les rêves nous renseignent sur notre réalité intérieure, ils apportent des réponses aux questionnements de la vie réelle. Le rêve est une forme engagée, c’est la liberté pure, l’espoir donné aux êtres de se dépasser, de s’élever, de construire un autre monde. Les enfants ont une grande liberté d’imagination, et de compréhension du réel, parfois même déroutante. J’aime que s’établisse une conversation secrète entre ma liberté et la leur à travers mes histoires. Un temps où ils peuvent s’échapper loin du regard des parents.

Dans mon album Changer d’air, un conte écologique qui raconte l’histoire entre une Maison et la famille qu’elle abrite, la Maison est une métaphore de la Terre, et ses habitants, une représentation de l’humanité, une de ses plus petites cellules. Ils vivent en harmonie dans leur quartier jusqu’à ce que cette famille se dispute et que leurs querelles deviennent si violentes qu’elles atteignent la Maison. Armée de courage et de ses briques, elle va traverser le monde pour leur offrir une autre vie et, au péril de la sienne, tenter de les amener dans un paradis. Mais sitôt l’Eden et le calme retrouvés, leurs instincts de prédateurs reviendront au triple galop. Il faudra qu’ils trouvent en eux beaucoup de ressources pour aider leur maison. C’est un manifeste pour sauver la beauté de notre planète.
De plus en plus, devant l’effritement de notre monde, j’éprouve une urgence à raconter sa richesse, la coexistence des êtres qui le peuplent, et la recherche vitale d’une certaine harmonie. À mon échelle, j’essaie d’apporter de la lumière, et aussi un peu d’humour. Faire des blagues, ça fait du bien, ça rend la vie légère. On peut être grave et léger: s’adresser à de jeunes yeux en devenir est une grosse responsabilité. L’album jeunesse est le territoire sur lequel on peut aborder la politique, l’amour, sans oublier l’humour: cette distance nécessaire est l’affaire d’une survie. Rambo est d’accord avec moi d’ailleurs.

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«Changer d'air», un album onirique aux accents écologiques (© Les fourmis rouges)

Si vous aviez trois vœux à réaliser pour changer le monde, quels seraient-ils?
Posséder le don d’ubiquité, la disparition des guerres, beaucoup d’amour. Ça fait un peu dalaï-lama mais l’amour résout bien des choses et emplit les c
œurs secs d’espoirs et de doux rêves.

Dans vos albums, animaux, insectes et humains sont traités sur un pied d’égalité. Vivre en symbiose, gommer les hiérarchies, cest ce à quoi vous aspirez?
Dans mes histoires, tout être vit et communique avec les autres. C’est un état dans lequel l’homme et la nature ne font qu’un, où la nature n’est plus un décor. Nous faisons partie du monde des vivants, dans lequel les différences se sont façonnées les unes vis-à-vis des autres et nous permettent de vivre. Les bactéries, les arbres, les pollinisateurs, les vers de terre, etc., assurent notre vitalité et notre survie sur terre. Penser la nature c’est penser le monde, se connecter aux autres. Nous appartenons à ce tissu de connexions sensibles dans cette nature d’une complexité infinie. Regardez les incroyables interactions entre les arbres par leurs connexions souterraines. Donc je les mets tous dans la même famille des vivants. Bon, parfois j’avoue que c’est compliqué de choisir tous ensemble un film à la TV quand tout le monde est réuni…

Vous considérez-vous comme une autrice-illustratrice engagée?
Je crois que dans tous les aspects de ma vie, je suis engagée pour les autres et pour moi. S’engager en amour, en amitié, pour des idées, c’est choisir la manière de se positionner dans le monde, de le réfléchir et d’affirmer sa voix en texte et en dessin.

Dans mes livres, j’aborde l’exil, la solitude, le partage, la différence, la peur, la joie de rigoler ensemble, le bonheur de respirer une fleur parfumée…
Rêver ensemble à l’avenir, réinventer une société, en imaginant, en créant. J’essaie de donner le goût de la liberté et de la rébellion en gardant quelques moments en barque sur des eaux tranquilles.
Pour l’enfant qui ne lit pas bien encore et auquel le parent a lu un livre, il peut s’en emparer grâce au dessin et gagner ainsi sa propre liberté. S’établissent alors des liens amicaux avec ses premiers livres comme avec de bons copains. Ils sont importants car c’est souvent le premier accès à la littérature.
Quand je travaille pour la presse, cela me permet d’aiguiser mon œil sur l’actualité, et sur ma position vis-à-vis du sujet à illustrer, pour enfin trouver la meilleure forme qui accompagnera l’article d’un journaliste.
Et lorsque je réalise des affiches pour des événements, je crée une porte grande ouverte à travers laquelle je projette ma vision de ce festival, de cette ville. Le dessin doit percuter la rétine du patineur qui passe à côté à vive allure.

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Les affiches réalisées par Jeanne Macaigne sont des portes grandes ouvertes! (© Jeanne Macaigne)

Votre dernier album Un drôle de lundi aborde une thématique (une fillette et une fourmi échangent leur vie le temps dune journée) plus lére que les précédentes. Êtes-vous plus apaisée quavant ou ciblez-vous un lectorat plus large?
La thématique n’est pas si légère! Une petite fille trouve drôle l’idée de prendre l’apparence d’une fourmi pour échapper à son quotidien, celui de reprendre l’école un lundi matin. En réalité, elle va se retrouver confrontée à la dureté du monde des insectes, avec un matricule au lieu de son prénom, avec l’impression de disparaître. La fourmi va, elle, connaître le confort matériel de la vie de la petite fille, mais désenchantera également quand elle subira les moqueries des élèves à cause de leurs différences d’appréhension du monde. La petite fille, voulant monter un grand spectacle, sèmera la zizanie dans la fourmilière et chamboulera l’ordre établi.
J’ai voulu faire un livre sur une inversion de mondes: celui des petits et celui des grands, celui des plus fragiles et celui des plus forts.
Au départ, je me suis posée toutes sortes de questions. La liberté d’être soi n’est-elle pas un sentiment mobile? Que signifie être à sa place et que représente cette place? Doit-on être en voyage vers son identité profonde pour exister? Fuir les jours de pluie passe-t-il par un renoncement à soi? Et bien au chaud dans ma doudoune, je me suis demandée où était le chez soi. Au-delà de ces questionnements philosophiques, j’ai voulu opposer deux univers. Se sont posées les questions de lorganisation, du collectif et, de ce fait, de la liberté individuelle.
La chance d’un être humain nest-elle pas de tenter de capter toutes les réalités de son environnement pour s’élever et grandir? Comment se positionner et réagir face à un monde complexe et instable?
La petite Nena et la fourmi, en changeant de peau, vont se heurter aux différences qui existent entre leurs deux mondes, apprendre leurs langages et leurs bonheurs, connaître des difficultés, s’adapter et en sortir grandies.

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«Un drôle de lundi» ou comment une petite fille et une fourmi échangent leur vie le temps d'une journée (© Seuil jeunesse)

Dans quelle peau souhaiteriez-vous vivre le temps dun lundi?
Changer de peau, qui n’en a pas rêvé. Devenir un bichon frisé et humer les embruns de la mer, rouler de tout poil, et lézarder au soleil, un cornet de frites dans la patte. S’extraire de soi-même pour renaître. Pour s’élever dans la vie, j’ai l’impression d’avancer à pas de fourmis, parfois comme si tout était à apprendre, comme si je vivais pour la première fois chaque matin, que tout était à connaître et à reconnaître. Le monde vous est familier et il suffit d’un petit bouleversement pour devoir se réadapter. Chaque lundi, chaque jour où l’on sort de chez soi, est un premier pas pour réinventer sa vie, le début d’une grande aventure.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment? Quels sont vos nouveaux projets?
En ce qui concerne les albums, je travaille sur deux histoires différentes qui parlent de fragilités du monde vivant, d’amitiés en tout genre, d’humains étranges. Un poème illustré pour tous les âges et une bande dessinée que j’espère rocambolesque!
Et courir aussi est un projet, je travaille sur mes petites foulées.

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