Depuis
80 ans, elle a initié des millions d'enfants au plaisir de la lecture. En
Grande-Bretagne, c'est quasiment une institution .... Portrait d'une maison
historique : Ladybird Books.
En 1906 à Loughborough, au coeur du
Leicestershire, Harry Wills et William Hepworth, tous deux imprimeurs, décident de
s'associer. Depuis quelques années déjà, ils souhaitent publier des livres pour enfants
"pure and healthy" ... C'est donc sous l'égide - vigilante - de la
Society for Promoting Christian Knowledge qu'ils font leurs premières armes. Avec
succès. La littérature de jeunesse anglaise explose en ce début de siècle et le duo
Wills/Hepworth en est convaincu : les jeunes lecteurs sont avides de nouveautés.
Forts
de cette conviction, ils sortent le premier livre d'un longue série animalière : Bunnykin's
Picnic Party fortement inspiré d'un certain Peter Rabbit né en 1897 sous la plume de
leur compatriote Beatrix Potter. Un canard, Downy
Duckling et des chatons, The Five Little Kittensne tarderont pas à le
rejoindre.
L'innovation est ailleurs. Dans le format et le prix. Ils ont
imaginé de petits livres de poche, contes traditionnels ou histoires originales,
vendus dans toutes les librairies et les épiceries du pays au prix irrésistible de
£1.50. Prix qui restera inchangé pendant trente ans ! Le secret : un format standardisé,
115 x 175 mm, de 56 pages couleur composé sur une seule feuille de 75 x
100 cm; le tout relié sous une couverture assez fine.
Le succès est immédiat.
Si bien que dès les années 40', Ladybird commence à
s'intéresser au livre éducatif. Son ambition : concevoir les premières collections
encyclopédiques sur la nature, l'histoire, la religion ou encore la musique. Avec un mot
d'ordre; les auteurs et les illustrateurs doivent être spécialistes du domaine traité.
Sur les présentoirs des librairies, on peut lire : "you are never too young to
start learning about the strange, new and wonderful world around you. And, just as
importantly, you are never too young to have fun!".
Apparemment le message passe et les collections The Learnabout, How it
Works deviennent LA référence.
Pour la petite histoire, le premier manuel How it Works consacré à
l'ordinateur fut commandé - discrètement, sous couverture unie - à 200
exemplaires par le Ministère de la Défense Britannique pour "initier" son
personnel à l'informatique ...
Une reconnaissance qui dépasse largement les frontières. Dans les années 50', un
premier volume Child of the Temple était traduit en suédois. Aujourd'hui, ces
manuels sont disponibles dans 60 langues et se vendent à 30 millions d'exemplaires chaque
année.
Autre
cheval de bataille : comment apprendre à lire. Dès les années 30', la maison
s'est fait une spécialité des abécédaires et suit avec attention les évolution
pégagogiques en matière d'apprentissage de la lecture. En 1964, William Murray dévoile
une étude selon laquelle "12 words make up 25% of all the words we speak". Sur
ce principe, toujours en vigueur, Ladybird lance le Key Words Reading Scheme. Les
textes contiennent peu de mots différents (de 16 à 200 environ)
pour donner l'impression aux enfants de lire plus qu'ils ne le faisaient réellement. Un
parti pris audacieux qui va positionner cette maison d'édition comme le spécialiste
du livre de 0 à 8 ans.
En 1971, Wills & Hepworth change de nom pour devenir
officiellement Ladybird Books. Un an plus tard, ils sont rachetés par The Pearson Group.
Les années 70'-80' seront celles des grands partenariats avec des studios de cinéma
(Disney notamment) ou des fabricants de jouets.
La qualité de leurs mini-encyclopédies et livres
d'activités reste exceptionnelle. Elle est récompensée en 1996 de deux awards
: The Times Educational Supplement Schoolbook Award pour "Discovery:
Dinosaurs", et The Best Pre-school Storybook Award décerné par Parents Magazine.
A l'inverse, la fiction souffre d'immobilisme. Ladybird
exploite encore les classiques type contes de fées ou comptines, capitalise sur les
dérivés de dessins animés mais investit peu dans la création. Peter et Jane, éternels
héros, restent désespérement les petits enfants blancs de la classe moyenne, réfugiés
au coeur d'une banlieue paisible bien des loin problèmes sociaux.
Les mots de diversité culturelle, divorce, violence, mort sont des incongruités
qui n'apparaissent jamais dans ce monde figé; comme si le temps s'était arrêté aux
années 50. D'ailleurs, tous les ouvrages Ladybird sont de véritables collectors, objets
de nostalgie, furieusement recherchés comme les jouets Meccano. Autre icône d'un certain
âge d'or.
Et parce que les habitudes de lecture ont changées, Ladybird
intègre en 1999, le groupe éditorial Penguin Group; le site d'imprimerie
historique de Loughborough ferme. Et c'est une grande bouffée de nostalgie pour tous les
britanniques entre 25 et 50 ans ...
Malgré les assurances de Penguin Group (les branches livres
pour bébé, méthodes de lecture et livres d'activités continuent), on sent bien que le
charme sans âge, presque provincial de cette maison ne survivra pas à son intégration
dans une structure de cette dimension. La page est tournée.
© Sandrine
Sénéchal, novembre 2001