Excursion guidée en compagnie d'une «petite reine» de la littérature jeunesse
Un compte-rendu de l’ouvrage Écrire comme une abeille: la littérature jeunesse de la lecture à l’écriture, de Clémentine Beauvais, Paris: Gallimard Jeunesse, 2023.
Un compte-rendu de l’ouvrage Écrire comme une abeille: la littérature jeunesse de la lecture à l’écriture, de Clémentine Beauvais, Paris: Gallimard Jeunesse, 2023.
Enseignante-chercheuse à l’université de York, traductrice, mais aussi – et surtout – autrice de dizaines d’histoires et ouvrages destinés à la jeunesse, Clémentine Beauvais livre ici un véritable guide pratique à l’intention des autrices jeunesse en devenir. Aux auteurs également, bien entendu, mais le parti a été pris de rédiger ce livre exclusivement au féminin.
Aussi, de l’étincelle qui naît lorsqu’une petite idée d’album ou de roman jeunesse apparaît, à la promotion de l’ouvrage imprimé, la spécialiste nous détaille généreusement toutes les étapes. Elle nous aidera d’abord à être une bonne lectrice, puis mettra en lumière tous les éléments à intégrer à un (bon) livre jeunesse, jusqu’à finalement nous prodiguer ses conseils bien avisés sur les négociations avec les maisons d’édition. À la toute fin, un atelier pratique est proposé aux plus aventureuses.
Extrêmement complet, ce livre regorge d’exemples et de références et l’autrice captive admirablement son public, en mêlant savoirs théorique et expérientiel et sans jamais négliger le style.
Cet ouvrage de 447 pages est divisé en un avant-propos et 10 chapitres, et se termine par un exercice pratique.
- Avant-propos: Petit briefing avant de quitter la ruche
- Chapitre 1: Survol du champ
- Chapitre 2: Quelques caractéristiques du livre jeunesse
- Chapitre 3: En pot, sous serre ou en plate-bande: les formes du récit pour la jeunesse
- Chapitre 4: De l’idée à l’intrigue: construire son histoire
- Chapitre 5: Système, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie
- Chapitre 6: Petites personnes et grands personnages en littérature jeunesse
- Chapitre 7: Trop stylé: la littérature jeunesse et le style
- Chapitre 8: Commencer, continuer et finir son texte
- Chapitre 9: Le livre jeunesse et ses identités
- Chapitre 10: Dégoter une apicultrice: le grand envol de votre manuscrit
- Retour à la ruche! Atelier d’écriture
➽ Pour découvrir le sommaire détaillé, c'est par ici!
Mieux vaut ne pas faire l’impasse sur l’avant-propos, qui mentionne l’importance de lire, et de lire de la bonne manière, lorsque l’on souhaite écrire de la littérature jeunesse. L’autrice conseille avant tout de butiner les ouvrages d’autres, afin d’avoir de quoi nourrir son travail. Elle énumère quelques bonnes questions à se poser lorsque l’on lit et que l’on souhaite se lancer dans la rédaction. Par exemple, «Quand suis-je complètement transportée, et comment ça se fait?» (p. 25).
Le premier chapitre replace la littérature jeunesse dans ses contextes théorique et pratique. Qu’est-ce qui définit la littérature jeunesse, et à qui s’adresse-t-elle? Pas toujours suffisamment valorisée, elle est un canal d’une importance capitale et un terrain où se jouent des questions complexes. L’autrice livre quelques bases théoriques qui donnent du sens aux projets d’écriture, et ainsi balisent avec sérieux les démarches des écrivaines en herbe.
Dans le deuxième chapitre, nous nous mettons à la place du lectorat. Lorsqu’on est jeune ou tout petit, les lectures sont des expériences sensorielles et didactiques fondamentales. Elles s’inscrivent dans le processus de développement. Aussi, l’autrice écrit très justement: «La bonne littérature jeunesse est simple et elle est complexe; simplicité n’est pas simplisme, et complexité n’est pas complication» (p. 51). L’expérience de la nouveauté est entre autres omniprésente, tout comme la futurité. Ces dernières reflètent bien les grands enjeux des jeunes années.
Le troisième chapitre aborde les différentes formes du livre jeunesse. Aussi, tant sur le plan visuel que textuel, les ouvrages se créent en fonction du lectorat. En tant qu’autrice, il est par exemple nécessaire de prendre en compte les différentes phases du développement cognitif et émotionnel des lectrices et lecteurs. Si des parallèles sont néanmoins possibles avec la littérature pour adultes, les codes diffèrent. Typiquement, l’humour cracra fonctionne bien pour les petits, mais les adolescents seront eux plus sensibles à la politique, par exemple…
L’histoire est au cœur du quatrième chapitre. Comment imaginer une intrigue qui captera l’attention du lectorat? L’autrice parle ici d’intrigues de quête ou de fuite, ou encore secondaires. Elle énumère les ingrédients qui permettront de créer une histoire que les petites lectrices et petits lecteurs auront envie de vivre jusqu’au bout. Nous apprenons notamment à maintenir un ordre et un rythme, ou à intégrer une causalité entre les événements.
Pour y faire suite, le cinquième chapitre dit l’importance de créer un système complet et cohérent. Umberto Eco parlait de «l’affaire cosmologique» du récit. La volonté d’une autrice est que le lectorat adhère à son univers et accepte d’y croire. Aussi, chronotopes ou partis pris formels sont autant d’éléments à soigner. La voix du narrateur emporte – ou pas – le lectorat; il est donc primordial qu’elle soit fiable!
Au sixième chapitre, l’autrice donne de précieuses informations quant aux personnages. Nous découvrons qu’ils doivent s’inscrire dans leur système et non dans la réalité telle que nous la vivons, ou encore que les antagonistes doivent être pensés avec justesse, tant physiquement que psychologiquement. Les évolutions des protagonistes peuvent aussi être de types différents, tout comme l’identification du lectorat, qui peut être de reconnaissance ou aspiratoire.
Le septième chapitre place le projecteur sur le style. Si l’on retrouve en littérature jeunesse davantage de simplicité qu’en littérature pour adultes, il n’en est pas moins travaillé. Clémentine Beauvais nous parle d’effets sonores, d’euphémismes et de métaphores. Elle décrit notamment que «l’intensité éhontée des effets sonores fait partie de l’identité de la littérature jeunesse» (p. 230). Pour la spécialiste, le style et l’histoire sont intimement liés et ne fonctionnent pas l’un sans l’autre.
L’acte d’écriture, au sens pratico-pratique, est au centre du chapitre 8. L’autrice commence par le début en nous guidant vers l’écriture d’incipits qui fonctionnent, et nous éclaire sur les formes de résistance que l’on peut rencontrer pendant la rédaction, donnant des outils pour les surmonter. Le fameux «Il était une fois» y apparaît aussi sous l’acronyme «IEUF» et nous apprenons pourquoi il continue de fonctionner et de faire rêver!
Dans le chapitre neuf, nous entrons dans des considérations un peu plus sensibles. L’autrice demande notamment si «l’enfant est censé être apolitique». Les questionnements idéologiques et éducatifs font partie intégrante de la littérature jeunesse et, encore plus qu’ailleurs, il est primordial de les traiter avec tact et éthique. L’autrice évoque aussi l’empathie, un thème privilégié en littérature jeunesse. Elle donne en exemple Le garçon qui croyait qu’on ne l’aimait plus, d’Hervé Giraud. On y découvre aussi la philosophie des «own voices», ou «voix propres».
Le dixième chapitre aborde l’après-rédaction. Le monde de l’édition peut paraître opaque pour les novices et l’autrice répertorie les diverses méthodes d’envoi du manuscrit à une maison d’édition, ou encore les manières de négocier un contrat avec cette dernière. Nous découvrons même de quelle manière donner de la visibilité à un ouvrage. Les rencontres avec le public, chères à Clémentine Beauvais, sont aussi tendrement mentionnées.
Pour terminer, l’autrice nous emmène dans un atelier d’écriture en 16 étapes… d’une vague petite idée, vous pourriez bien parvenir à l’écriture votre premier livre!
Forte de très solides connaissances théoriques et d’une expérience significative en tant qu’autrice jeunesse, Clémentine Beauvais emmène ses lectrices et lecteurs jusqu’au bout de son histoire. La lecture de cet ouvrage important est toujours agréable, tant sur le plan stylistique, que sur celui des informations incontournables lorsque l’on veut devenir autrice ou auteur jeunesse. Ce guide pratique et théorique, tout en humour, foisonne de passages tirés de divers livres, classiques ou moins classiques, qui donnent un éclairage instantané sur les enseignements que souhaite transmettre l’autrice. Comme elle l’écrit, «on néglige de penser au nombre colossal d’heures que le génie a passé à mettre en scène, dans son imagination, dix mille histoires, personnages, situations, phrases, métaphores [...]» (p. 19). En décryptant le processus dans son entier, Clémentine Beauvais nous fait un vrai cadeau; merci!