Prix suisse du livre jeunesse: la diversité fait l’unanimité
En 2021, le Prix suisse du livre jeunesse[1] sera décerné pour la deuxième fois. Le jury a présélectionné cinq livres. Tous convainquent en tant qu’œuvres globales et offrent une large diversité. Le lauréat sera désigné le 15 mai lors des Journées Littéraires de Soleure.
En 2021, le Prix suisse du livre jeunesse[1] sera décerné pour la deuxième fois. Le jury a présélectionné cinq livres. Tous convainquent en tant qu’œuvres globales et offrent une large diversité. Le lauréat sera désigné le 15 mai lors des Journées Littéraires de Soleure.
Cet article a initialement été publié en allemand dans la revue suisse Buch&Maus (1/2021). Nous reproduisons ici le texte de l'article avec l'aimable autorisation de la directrice de publication de la revue. Pour en savoir plus sur Buch&Maus, lire l’article dédié sur Ricochet.
Une sélection en vue d’un prix littéraire peut et doit inciter à de vives discussions. On peut critiquer la décision, mais on ne peut pas la contester. Une telle sélection est toujours personnelle, mais jamais effectuée au hasard ni sans réflexion. Elle n’est pas fondée sur les chiffres de vente, ni sur les sondages ou les préférences du public cible. Avant de nommer leurs favoris, les membres du jury argumentent, négocient et pèsent le pour et le contre. Parfois, le courage à l’origine d’une histoire est convaincant, mais pas sa réalisation. D’autres fois, la construction est impressionnante, mais il manque un petit quelque chose de spécial.
De l’enfant marginal à l’appareil dentaire, tout peut être matière à raconter une bonne histoire. Mais, au final, le prix ne vient pas récompenser uniquement un sujet sensible ou un solide savoir-faire artisanal. L’ouvrage primé doit convaincre en tant que tout. Et c’est le cas des nominés au Prix suisse du livre jeunesse de cette année.
Cabinet de curiosités animalier
Le Bestiaire helvétique[2] de Marcel Barelli offre un catalogue fantasque d’espèces animales vivant en Suisse, parfois menacées ou déjà éteintes. Le premier ouvrage de ce dessinateur et auteur de films d’animation se veut un plaidoyer pour la préservation des espaces de vie et de la biodiversité. L’imposante imagerie se termine ainsi par la représentation d’un crâne humain, rappelant que celui qui a survolé l’évolution est responsable de la disparition de nombreuses espèces et écosystèmes.
En même temps, il est surprenant de constater avec quelle légèreté, quelle créativité enjouée et quel humour en arrière-plan l’auteur présente son bestiaire et épuise la palette de moyens stylistiques, de la bande dessinée aux références à l’histoire de l’art. Les illustrations en noir et blanc, parfois emblématiques, parfois énigmatiques, sont complétées sur chaque page par de brefs textes informatifs et anecdotiques. Ce cabinet de curiosités caricatural au grand format carré incite à la découverte, au sourire et à la réflexion. Par exemple, avec l’alignement des silhouettes des exemplaires pratiquement disparus de la perdrix rouge, au milieu duquel il reste une surface blanche en forme de carte de la Suisse. Ou lorsque la représentation d’un orvet fragile est accompagnée du commentaire «Ceci n’est pas un serpent» ou que la fenêtre d’un navigateur annonce: «404 Error. Fish not found.»
Deux victimes de harcèlement se rebellent
Le ton est radicalement différent mais tout aussi audacieux dans le roman graphique bourré d’action de Martin Panchaud, Die Farbe der Dinge[3]. Son héros, nommé Simon Hope, est un garçon en surpois de 14 ans qui vit une situation familiale difficile. Des jeunes de son âge l’exploitent, le harcèlent et l’incitent à faire des bêtises. L’adolescent malaimé réussit un grand coup lorsque, sur les conseils d’une voyante, il mise sur un cheval gagnant de l’argent mis de côté par son père, mais peine à récupérer son gain sans la signature d’un parent. Là, tout le monde s’acharne encore davantage contre lui.
Ce roman itinérant trépidant renverse radicalement les habitudes de lecture car Panchaud raconte son histoire de passage à l’âge adulte à la façon d’un jeu vidéo, comme vu par un drone, et déroule l’action absurde sous forme de pictogrammes, de perspectives stylisées et d’infographies disséminées. Cela fonctionne et embarque totalement les lecteurs, notamment grâce aux dialogues dignes de films et à la traduction virtuose vers l’allemand de Christoph Schuler. Une chevauchée puissante, vertigineuse et touchante.
Il y a moins de légèreté en revanche dans la bande dessinée Élise[4], de Fabian Menor, racontée tout en nuances de gris sombre. L’histoire ramène à un temps – pas si lointain – où les enfants étaient entièrement livrés aux caprices de nombreux adultes. Le personnage principal, Élise, se retrouve sans cesse dans le viseur de son enseignante colérique qui en fait son bouc émissaire, la ridiculise devant sa classe et va jusqu’à la frapper. Élise souffre de cauchemars pesants et reste livrée à elle-même. Elle trouve un peu de réconfort en parlant à son chien adoré et à une chèvre. Lorsque d’autres élèves de sa classe sont à leur tour victimes de violences à l’école et de traitements injustes, cette fillette sensible et volontaire commence à se rebeller et sera récompensée de son courage.
Entraînement à la survie et folie familiale
Le roman pour enfants Lila Perk[5], d’Eva Roth, traite de nouveaux départs, d’amitié et d’un timide premier amour. Avec une franchise impressionnante, un sens de la réalité affuté et un humour subtil, l’auteure fait parler son héroïne âgée de 12 ans. Après la mort de sa mère, Lila a été longtemps seule avec sa tristesse. Ce n’est qu’une fois que son père sort progressivement de sa torpeur émotionnelle et de son mutisme en prévoyant avec Lila un voyage aventureux dans une région sauvage que la situation commence à changer. Le rapprochement entre le père et la fille n’est pas tout simple, car tandis que Lila se lie d’amitié avec un garçon qui pose apparemment des problèmes à l’école, sa sévère enseignante semble avoir tapé dans l’œil de son père. Lila Perk nous embarque, par son langage simple et percutant, dans un voyage extérieur qui mène vers l’intérieur et résonne longtemps en nous.
C’est aussi de cela qu’il s’agit dans Lulu in der Mitte[6]: trouver sa place dans la famille et, plus tard, dans la vie. L’auteure Micha Friemel et l’illustratrice Jacky Gleich démontrent dans cet album illustré, de façon enjouée et par des scènes gaies, comment normalité et individualité vont de pair. Au centre de l’histoire, qui traite du quotidien animé d’une famille, on trouve Lulu. Elle est l’enfant du milieu, elle n’est plus petite, mais pas encore grande. Pour que Lulu ne se perde pas dans cette constellation, elle a besoin d’une saine dose de confiance en soi et que son entourage valide affectueusement qui elle est. Quand, après une longue journée chaotique, elle pleure tellement qu’elle n’arrive pas à s’endormir, elle reçoit précisément ce cadeau sous forme d’une formulation affectueuse: «Toi, tu es notre juste milieu.»
[1] Le Prix suisse du livre jeunesse est organisé par l'Association suisse des libraires et éditeurs (SBVV), les Journées Littéraires de Soleure et l’Institut suisse Jeunesse et Médias (ISJM) (NDR).
[2] Bestiaire helvétique, de Marcel Barelli, Lausanne: EPFL Press, 2020, 432 p.
[3] Die Farbe der Dinge, de Martin Panchaud, traduit du français par Christoph Schuler, Zurich: Edition Moderne, 2020, 224 p. Traduction littérale du titre: La couleur des choses (NDR).
[4] Élise, de Fabian Menor, Genève: La Joie de Lire, 2020, 96 p.
[5] Lila Perk, d’Eva Roth, Vienne: Jungbrunnen, 2020, 160 p.
[6] Lulu in der Mitte, de Micha Friemel et Jacky Gleich, Munich: Hanser, 2020, 32 p. Traduction littérale du titre: Lulu au milieu (NDR).
Daniel Ammann est spécialiste de la littérature et enseignant à la Haute École pédagogique de Zurich. Cette année, il préside le jury du Prix suisse du livre jeunesse.
Traduction depuis l’allemand: Catherine Rossier
Image de vignette: image intérieure du Bestiaire helvétique (© EPFL Press)
Infos
Le Prix suisse du livre jeunesse récompense chaque année une œuvre exceptionnelle parmi les albums illustrés, romans, documentaires et bandes dessinées à destination des enfants ou des jeunes. Ce prix national est porté par l’Association suisse des libraires et éditeurs (SBVV), les Journées Littéraires de Soleure et l’Institut suisse Jeunesse et Médias (ISJM).
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