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Techniques d'illustration surprenantes: 18 ouvrages qui vont vous étonner!

Illustration[s]: la création d'images à travers différentes techniques 1

Illustration[s] image vignette
Ricochet
5 juillet 2024

Pour le premier numéro de son dossier thématique 2024, Ricochet a fait le pari de vous surprendre en vous proposant une sélection d'ouvrages réalisés avec des techniques d'illustration qui sortent de l'ordinaire: art du fil, détournement d'objets, exploitations diverses du papier, outils insolites et même créations éphémères: l'imagination des créateurs ne manquera pas de vous ébahir!  


Des univers visuels insolites

Pour ce dossier thématique 2024, Ricochet a décidé de porter son regard sur les illustrations, si centrales en littérature jeunesse. Les techniques fleurissent, grâce aux nouvelles technologies, mais encore davantage grâce aux idées novatrices des créateur·ice·s. Porté·e·s par des formations solides et une imagination toujours féconde, certain·e·s n’hésitent pas à sortir des sentiers battus, afin de concevoir les histoires d’aujourd’hui et de demain. 

En marge des classiques aquarelles ou dessins aux crayons, l’équipe de Ricochet a repéré des ouvrages jeunesse réalisés grâce à des techniques d’illustration étonnantes, voire insolites. Aussi, tricots, découpages, ouvrage réalisé entièrement au stylo bille, photographies, détournement d’objets usuels et autres techniques mixtes ont capté notre attention.

Par des procédés rares et originaux, les illustrateur·ice·s invitent les lecteur⋅ice⋅s, petit⋅e⋅s et grand⋅e⋅s, dans des univers nouveaux et magiques. Que diriez-vous, par exemple, d’un Petit Chaperon rouge parcourant une vraie forêt?... De fabuleuses histoires prennent vie grâce à l’inventivité d’artistes prêt·e·s à explorer des techniques inhabituelles, et nous nous réjouissons de vous faire découvrir ces entraînantes perles de créativité.

Elinda Halili

 
Au bout du fil: tissus et tricot

1. Le grand méchant loup et le Petit Chaperon rouge, Kimiko et Margaux Duroux, L’École des loisirs, 2013
Conte, dès 3 ans 

Le Petit Chaperon rouge est certainement le conte le plus classique de tous les classiques. Raconté aux enfants depuis le XIVe siècle par les paysans français, il est ici narré dans sa version adaptée aux plus jeunes. Les ingrédients sont immuables: la petite fille, le loup, la grand-mère… Pourtant, avec Le grand méchant loup et le Petit Chaperon rouge, Kimiko, illustratrice, et Margaux Duroux, autrice, viennent nourrir les imaginaires de manière inédite.

Margaux Duroux, dans son écriture, va à l’essentiel, sans tenter de réécrire l’histoire. Le choix des mots n’en est pas moins excellent, ouvrant les petits, toujours curieux, à un vocabulaire riche. L’ouvrage cartonné comporte un peu plus d’une quinzaine de scènes, chacune portée par une illustration photographique. Kimiko allie décors naturels et personnages en feutrine, photographies de forêt et décors en bois, pour plonger les lecteur·rice·s dans un univers aussi onirique qu’hyperréaliste.

Avec une lumière et des jeux d’ombres toujours bien étudiés, les personnages prennent vie et ce sont eux qui narrent l’histoire. Les figurines en feutrine, qui donnent une impression de «flou artistique», signifient au lectorat qu’il est bel et bien dans un conte. Mais elles sont mises en scène dans de véritables paysages et l’illustratrice nous fait passer d’un champ de pâquerettes à un sous-bois inquiétant. La vie, parfois crue, se joue sur une scène dont les lois ne dépendent pas toujours de notre esprit.

Le chaperon, à la pointe démesurément longue et qui recouvre le Petit Chaperon rouge presque intégralement, révèle à la fois force de vie et dangers incontournables. Nul état ne surpasse, en valeur, l’innocence mêlée à la vivacité d’une enfant. Toutefois, cela peut coûter bien cher… 

Les décors intérieurs sont eux aussi pensés et réalisés avec soin. La maison de la grand-mère, où se joue le huis clos de toutes nos craintes d’enfant depuis des générations, est rassurante, avec ses rideaux à petites fleurs, confectionnés en tissus. Mais le rouge, celui des chaussons ou encore de la couverture tricotée, disséminé dans la pièce, et les ombres impressionnantes de la gueule du loup – produite par la figurine – sur la tapisserie, maintiennent le lecteur en alerte. Comme souvent, hélas, le mal n’est pas visible au premier plan, mais se devine sur les murs, dans les recoins, presque imperceptible… L’immense canidé a effectivement encore une place pour le dessert!

Une fois la paix revenue dans la chaumière, grâce au bûcheron, l’on retrouvera la quiétude d’un gazon verdoyant, d’un rayon de soleil passant à travers la fenêtre ouverte de la petite maquette en bois, où se tient la fillette, et la grand-mère sur le point de tirer la légendaire chevillette que Kimiko a particulièrement bien réalisée avec une chaîne de métal enchevêtrée dans un mécanisme qui paraît bien complexe… Elle est plus impressionnante, mais bien moins efficace que le garde-forestier.

L’œuvre artistique et plus précisément visuelle de Kimiko et Margaux Duroux, originale et aboutie, est à la fois une invitation à admirer ce qui est et à imaginer ce qui pourrait être. Les ambiances, les décors et les couleurs sont toujours soigneusement réfléchis et permettent à l’enfant de relier à l’histoire les subtilités de la création visuelle. Les deux artistes ont également collaboré sur Hansel le gourmand et Gretel la courageuse, ou encore Le grand méchant loup et les trois petits cochons. Une manière tout en finesse de (re)découvrir ces contes monumentaux et un voyage pour les pupilles. (EH)

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Couverture et image intérieure de «Le grand méchant loup et le Petit Chaperon rouge» (© L’École des loisirs)

2. Les toutous ça compte, Ewa Kozyra-Pawlak, Format, 2017
Album, dès 5 ans

«Adopte un chien,
Peut-être deux
Mais pas plus,
Mon logis
Est tout petit.
Rendez-vous à midi
Aujourd'hui,
Au 10, rue Mistigri.»

C’est par cette petite annonce sous forme de poème que débute cette histoire. Découvrant le message, un chien seul au monde décide de se rendre à l’adresse indiquée. En chemin, il rencontre un nouveau compère, et c’est à deux qu’ils poursuivent leur chemin. Bien vite, ils seront rejoints par huit autres toutous, tous désireux de tenter leur chance. Comment le vieux monsieur qui a affiché cette annonce arrivera-t-il à faire un choix?

En voilà un joli album pour la jeunesse! S’adressant directement aux jeunes lecteurs, Ewa Kozyra-Pawlak les embarque dans la folle aventure des toutous et, l’air de rien, les invite à compter nos amis à quatre pattes grâce à des doubles pages savamment construites: à gauche, un plan de la ville, vue de haut, permet aux enfants de suivre la progression des chiens vers le point de rendez-vous; à droite, ils peuvent voir plus en détail les toutous dont il est question. Le récit, joliment rimé, donne envie de raconter l’histoire à voix haute. Le travail de traduction de Lydia Waleryszak y est pour beaucoup: elle a su trouver les rimes qui restituent l’humour et l’émotion du texte, mais également les jeux de mots, clins d’œil aux lecteurs plus âgés: ainsi, le charmant village où se situe l’intrigue porte le nom de Saint-Truffez, et ses rues se nomment Audrey Toutou, Catherine Terre-Neuve ou encore Milou Jovovich. 

Mais ce qui fait surtout l’originalité de cet album est la technique d’illustration utilisée par l’autrice-illustratrice. En effet, personnages et décors ont été réalisés à partir de morceaux de tissus découpés, collés et assemblés. Le tout a ensuite été photographié pour former les différentes planches de cet ouvrage. Un travail minutieux de la part de la créatrice, qui a utilisé des tissus variés, tant au niveau de la texture, des motifs que des couleurs, pour rendre les différentes ambiances de son histoire. Un soin tout particulier a été mis dans les expressions des chiens, souriants et mutins, et dans les décors qui fourmillent de détails: les boulons qui assemblent les différentes planches du banc, les feuilles des arbres, les tuiles des toits des maisons ou encore les rideaux aux fenêtres. 

Un ouvrage magnifique, à la fois ludique et original, pour tous les amoureux des toutous. (CF)

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Couverture et image intérieure de «Les toutous ça compte» (© Format)

3. Au fil de…, Alice Brière-Haquet et Michela Eccli, Frimousse, 2023 
Album, dès 5 ans

L’histoire met en scène une famille de petites souris qui doivent quitter précipitamment leur maison. Elles vont accomplir un long voyage et affronter de terribles dangers avant de pouvoir à nouveau s’installer quelque part et reconstruire un foyer. Le texte est bref, les phrases sont courtes, une ou deux par page, pas plus. Alice Brière-Haquet a choisi soigneusement les mots de son récit qu’elle a voulu rimé, et elle file la métaphore du fil, précisément, et du tricot tout au long de l’histoire: «Maille à l’endroit, maille à l’envers, et puis parfois, maille de travers; le fil se perd.», «Il faut filer droit», ou encore «De fil en aiguille». L’autrice joue aussi avec les mots, à travers des expressions comme «me tricoter une vie qui m’aille» ou encore «un toit où être moi». L’histoire est narrée à la première personne du singulier, mais du point de vue de quelle souris? Un enfant? Un parent? Rien n’indique précisément qui est le narrateur et donc le ressenti peut être celui de n’importe qui, enfant ou adulte. 

Les visuels qui accompagnent le texte sont surprenants: il s’agit d’un mélange d’éléments tricotés formant le décor, mis en scène avec des personnages dessinés, le tout ayant ensuite été photographié pour former les différentes illustrations. Ce choix illustratif n’est évidemment pas anodin et traduit avec pertinence le texte de l’autrice: la métaphore du tricot évoquée par celle-ci est ainsi littéralement illustrée par Michela Eccli. Au fil du récit et des pérégrinations des souris, la maison se détricote de plus en plus et il reste de moins en moins de fil rouge. Ce dernier est d’ailleurs ténu et se déchire, mais les personnages s’y raccrochent de toutes leurs forces car il symbolise leur vie passée et leurs souvenirs. L’album se termine heureusement de manière très positive pour la famille souris, avec la réédification de leur maison, tricotée à partir du dernier petit bout de fil rouge qu’il leur reste et avec de nouveaux fils de différentes couleurs que d’autres animaux leur amènent. Ces derniers vont également les aider dans leur reconstruction, symbolisant ainsi l’entraide et de nouvelles amitiés. Le choix des couleurs est aussi très symbolique: le rouge du début, monochrome, vif, joyeux, mais pouvant également avoir une connotation plus sombre suivant son interprétation, laisse place à la fin du récit à des couleurs pastel plus douces (du violet, du vert, avec la touche vive et colorée du orange), signe sans doute d’un quotidien plus apaisé. 

Un magnifique album, très symbolique, pour aborder avec les enfants le thème difficile de la migration et qui, par la poésie de son texte, se prête également très bien à une lecture à voix haute. (CF)

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Couverture et image intérieure de «Au fil de...» (© Frimousse)

4. Tonton Couture: une histoire au bord du fleuve Sāo Francisco, Eymard Toledo, Anacaona, 2017
Album, dès 8 ans

Tenir dans ses mains cet album crée immédiatement le sentiment de découvrir un accord parfait entre le titre, Tonton Couture, et le style d’illustration avec ses collages de tissus découpés! Ce travail d’orfèvre, tout en nuances, en découpages précis, en expressivité subtile autant que poignante est une œuvre d’art aussi rare que précieuse. En effet, elle nous délivre, en délicatesse, des messages forts, vrais, essentiels. Les reliefs qu’apportent les ombres faites par les plis du tissu donnent l’aspect du mouvement, comme si les scènes, touchantes d’authenticité, se déroulaient devant nos yeux. Ici, tout sonne juste, avec ce «ton» propre aux personnes qui disent vrai en racontant leur vécu. Les messages ainsi délivrés sont nombreux et divers, mais le lien tissé entre eux est le fil conducteur qui forme le tissu de cette histoire dans la grande Histoire du Brésil contemporain. Les liens affectifs qui unissent un oncle à son neveu, jusqu’à donner à ce dernier l’envie d’apprendre lui aussi le métier de couturier; les liens créés au sein du village et cette solidarité qui seule sauve de tant d’injustices; les liens indéfectibles qui unissent les hommes à leur fleuve; les liens indissociables, même si menacés, qui soudent la vie animale, végétale, minérale à l’humaine; les liens forts qui permettent de lutter pour la sauvegarde du patrimoine culturel comme du patrimoine écologique; les liens qui garantissent la transmission transgénérationnelle des connaissances et de la sagesse héritée des Anciens… Une matière, simple, pour une vie quotidienne banale et pourtant combien riche de cette toile colorée qui tisse, entre chaque être, un réseau que le temps a formé. Ici, les tissus choisis pour représenter la vie de cette communauté brésilienne paraissent laisser passer la lumière, refléter le soleil des bords du fleuve; ou alors, d’autres textiles deviennent opaques, impénétrables, ombres de la pollution qui s’installe. Ce jeu d’alternance entre les couleurs des tissus est remarquable, oscillant entre éblouissement et pénombre, extérieur et intérieur, doute et espoir, comme les états d’âme de Tonton Couture. Un chef-d’œuvre à tout point de vue. (SR)

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«Tonton Couture: une histoire au bord du fleuve Sāo Francisco» (© Anacaona)

Merveilles de papier

1. Bonogong!, Moog et Dwiggy, Helvetiq, 2022
Album, dès 3 ans

Bonogong! est le fruit de la collaboration d’un duo de créateurs suisses, Emy alias Moog et Sandrine alias Dwiggy. qui aiment jouer avec les mots, les sonorités et les images, ce qui se ressent dans cet album. Dans une forêt lointaine, deux tatous vivaient au rythme de leurs instruments: Ta-tou, tou-ta, ta-tou, tou-ta. Un jour arriva un chat avec un son étrange et inconnu: Cha-cha-cha. Les tatous le chassèrent: pas de ce tintamarre chez nous! D’autres animaux se succédèrent: mouette, dugong, bonobo: tous furent renvoyés. Les tatous se remirent à jouer, mais ils entendirent alors un son gai et mélodieux: suivant la provenance de la musique, ils s’enfoncèrent toujours plus loin dans la forêt, jusqu’à découvrir les quatre compères qu’ils avaient bannis et qui avaient formé un quatuor à la mélodie des plus harmonieuses malgré leurs différences. Les tatous firent amende honorable et s’unirent à eux. D’autres animaux les rejoignirent également pour former un grand et joyeux orchestre dans la forêt. 

Ce qui retient tout de suite l’attention concernant cet ouvrage de petit format, presque à l’italienne, c’est sa conception et son graphisme: en effet, chaque élément, animaux, forêt ou encore instruments de musique, a été réalisé en papier découpé. Les différentes parties ont ensuite été mises en scène et photographiées pour constituer les différentes planches de l’album. Les créateurs jouent également avec les couleurs: on a en effet une transition très intéressante depuis le gris du début, qui colore uniformément les arbres et les tatous, vers la couleur, avec à chaque fois un nouvel animal qui fait son apparition dans une nouvelle teinte gaie et colorée, jusqu’à la découverte du cœur de la forêt, avec les arbres qui ont petit à petit repris leurs couleurs. L’usage d’un coloris différent pour chaque animal permet non seulement aux jeunes lecteurs une identification plus facile, mais illustre également les thématiques abordées dans ce conte, qui sont celles de diversité, de l’ouverture à l’autre, de la tolérance et du vivre ensemble. En outre, ce livre a un côté didactique car il permet aussi aux enfants diverses découvertes: au niveau de la langue, de nombreux synonymes de bruit sont utilisés ainsi que des adjectifs qualifiant les sons entendus; on note aussi les différents instruments de musique ainsi que des animaux moins connus, comme le tatou, le dugong ou encore le bonobo. Les créateurs s’amusent également avec les sons: chaque animal produit ainsi une mélodie composée par les différentes syllabes qui forment son nom, dans l’ordre ou mélangées: ta-tou, tou-ta, bo-no-bo, etc. Dans le concerto final, ce jeu atteint son apogée car les syllabes des différents animaux sont mélangées pour former de nouveaux sons: Chat-du-gong-ouèèèèt, Bo-no-cha-mou-gong, etc. L’observateur attentif remarquera également que ces différentes sonorités sont notées en majuscule dans le texte, invitant le lecteur à une joyeuse lecture à voix haute. 

L’ouvrage aurait pu se terminer sur ce joyeux concert, mais les créateurs ont plus d’un tour sans leur sac et proposent un véritable album «à chute»: à la toute fin de l’histoire, un couple d’humains reprend la position du début adoptée par les tatous: réticente au bruit, la femme exhorte son époux à mettre fin à ce vacarme. Que va-t-il se passer? A vous de le découvrir en lisant cet ouvrage! (CF)

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«Bonogong!» (© Helvetiq)

2. La visite, Antje Damm, Astrid Franchet, 2018
Album, dès 4 ans

Elise, une dame esseulée, vit cloîtrée chez elle par peur du monde extérieur. Mais un jour, un élément perturbateur, sous la forme innocente d’un avion en papier, se glisse chez elle par la fenêtre entrouverte. Le lendemain, quelqu’un toque à sa porte. Un petit garçon cherche son avion. Hésitante, Elise le laisse entrer…

La visite est l’histoire d’un cœur qui s’ouvre à la vie grâce à la spontanéité d’un enfant. 

Signe de notre époque individualiste génératrice de solitude ou thème universel? Sûrement un peu des deux. Toujours est-il que l’amitié, qu’elle soit enfantine ou, ici, intergénérationnelle, demeure une belle source d’inspiration, transmettrice de solidarité et de partage. 

Sélectionné parmi les meilleurs livres illustrés jeunesse par le New York Times en 2018, l’album d’Antje Damm reflète ces valeurs avec simplicité. Grâce à sa mise en scène confectionnée dans une boîte en carton et parsemée d’éléments en papier (voir image ci-dessous), l’autrice-illustratrice apporte sa touche originale et donne une certaine matérialité à ses images. Petit théâtre minutieusement créé, le décor dans lequel évoluent ses deux protagonistes de papier apporte une profondeur visuelle réussie qui entre en écho avec la profondeur du propos. Peu à peu, les tons gris des premières pages se parent de couleurs pétantes à mesure qu’Elise se laisse gagner par la curiosité du petit garçon. 

Une fin en arc-en-ciel pour cette belle histoire porteuse d’espoir! 

Parmi les autres artistes virtuoses des compositions en papier, citions également Patrick Pasques et ses impressionnants paper toys en trois dimensions.

Chronique de Nicole Tharin, adaptée par la rédaction de Ricochet pour cette bibliographie.

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Couverture et image intérieure de «La visite» (© Astrid Franchet)

3. Le Chat botté, Charles Perrault et Sara, Le Genévrier, 2023
Conte, dès 6 ans

Vous connaissez sûrement le célèbre chat botté de Charles Perrault! Plus rusé que les autres, le félin chaussé de bottes manigance et entourloupe à tout va pour aider son maître, le prétendu marquis de Carabas, à gravir les rangs de la société. Ce dernier, qui se plaignait d’avoir hérité d’un pauvre matou, obtient finalement amour et richesse auprès d’une princesse grâce aux tricheries de son dévoué chat botté (qui devient, il est vraiment futé, lui-même seigneur!).

Cet album est le dernier de l’autrice-illustratrice Sara et a été publié à titre posthume par les éditions Le Genévrier en octobre 2023. L’artiste a marqué la littérature jeunesse avec un procédé très particulier: le collage de papier déchiré. Tout en finesse, elle donne forme aux papiers colorés, les décompose et recompose pour former personnages et décors avec une habilité impressionnante. Grâce à cette méthode, elle réinvestit ce conte traditionnel, tout comme elle l’avait fait précédemment avec La Barbe bleue de Perrault. 

De la couverture à la dernière page, les couleurs vives attirent le regard: du papier jaune éclatant pour le blé et l’ogre, pourpre et rouge pour le château, blanc pour le pelage du chat et doré pour ses bottes, le carrosse et le trône du roi. Des couleurs qui reflètent la richesse et l’abondance que le chat promet à son maître et apportent de l’intensité à l’histoire. Il est aussi fascinant de voir comment des combinaisons de couleurs et la superposition de morceaux de papiers donnent de la profondeur à l’image. Sur une page par exemple, un papier bordeaux dessine la silhouette du carrosse grimpant sur la colline où est perché le château, le tout sur fond blanc, donnant l’impression de voir une scène lointaine à contre-jour. Sara s’amuse avec les grandeurs de ses bouts de papiers et ainsi avec les plans: tantôt le chat semble minuscule aux pieds de l’immense ogre (si grand que sa tête n’apparaît pas dans le champ de la page!), tantôt la tête du chat, une souris (l’ogre transformé) entre les crocs, occupe la page entière. Le lecteur ou la lectrice se trouve captivé·e par ces proportions changeantes et le mouvement qu’elles produisent visuellement. 

Le Chat botté est certes un classique, nous sommes nombreux et nombreuses à l’avoir entendu. Pourtant, lire une histoire sous une forme différente offre l’opportunité d’un coup d’œil neuf sur l’œuvre. Le chat botté malicieux avec la griffe de Sara, tout de papier vêtu, est une belle et poétique redécouverte de ce conte! (MD)

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Couverture et image intérieure de «Le Chat botté» (© Le Genévrier)

Objets détournés

1. Petit mouton dans la maison, Roxane Turcotte et Jacinthe Chevalier, Éditions de l’Isatis, 2022
Documentaire, dès 2 ans

La «poésie du quotidien», lisons-nous dans les pages de garde de ce livre. D'emblée, donc, on comprend le regard que les deux autrices canadiennes portent sur le monde, sur les petites choses de ce monde. Des choses apparemment insignifiantes, négligeables, certainement pas à exhiber avec fierté. Voire laides, ou agaçantes, comme la poussière, les boules de poussière qui se forment inévitablement, chaque jour, dans nos maisons. La protagoniste de cette histoire est justement la poussière. Mais le regard de Roxanne Turcotte et Jacinthe Chevalier la transforme en quelque chose d'autre, en un objet d'émerveillement poétique. La boule de poussière devient un mouton grâce à l'interprétation de l'illustratrice, qui lui ajoute des yeux, un nez et des pattes. Les techniques artistiques utilisées sont mixtes: l’agglomérat de poussière est photographié, ce qui donne la sensation de réalité, mais de nouvelles possibilités de sens et d'imagination se greffent sur cette réalité, grâce au collage et à la peinture. Les images prennent ensuite vie, à travers l’écriture, dans un texte évocateur, plein d'assonances et de rimes, en commençant par le titre. Cette poésie du quotidien, qui jette une lumière nouvelle sur le banal, le transforme et le renouvelle de manière inattendue, est précisément celle du regard des enfants, de leur jouons à faire semblant, de leur force créatrice, capable d'entrevoir la magie qui habite toute chose. 

Mais ce livre a aussi une dimension scientifique puisqu'il s’aventure – avec grâce et rigueur – dans les mystères de la poussière: «Si tu me regardais au microscope, tu verrais que moi, la poussière, je cache bien des mystères». Les agglomérats de poussière portent en eux de minuscules particules d'origines diverses, la poussière est issue de tout, tout la produit. Des fragments minuscules donc s'agglutinent, voyagent, volent, jusqu'à ce qu'ils tombent sur le sol. Ces dépôts secs forment la poussière. Et dans la poussière il peut y avoir des choses inattendues: «Je camoufle parfois du caca de pingouins de l’Antarctique. J’abrite des débris de plumes d’oiseaux, de végétaux, de poils d’animaux». Et encore des morceaux d’insectes, de peaux, de vêtements, et même «d’autres beaux trésors comme de la poudre d’os de dinosaure», jusqu’à «la poussière d’étoiles». Les informations sont tirées du livre La vie secrète de la poussière de la journaliste scientifique Hannah Holmes. Intéressantes et offertes avec simplicité aux enfants, ces informations scientifiques deviennent poétiques, grâce à la métaphore de l'accueil: le petit mouton de poussière, qu’on «balaie, on vadrouille, on chasse comme une fripouille», et qui doit s’enfuir et se cacher, est en réalité un petit mouton très hospitalier, qui donne abri à de minuscules merveilles. 

Un livre avec plusieurs lectures possibles, à plusieurs niveaux, à différents âges. (LB) 

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«Petit mouton dans la maison» (© Éditions de l'Isatis)

2. Trésors surprises, Gilbert Legrand, Sarbacane, 2016
Album, dès 2 ans

Prendre cet objet-livre dans les mains interpelle immédiatement: cartonné épais de forme carrée aux angles arrondis, petit format, tranche multicolore laissant deviner des rabats, chacun d’une couleur différente, son poids, assez lourd, c’est l’ensemble qui nous surprend! En effet, tout semblerait indiquer qu’il s’agit d’un livre pour bébé… mais c’est sans compter sur l’expression qui nous prévient: «les apparences sont trompeuses»! La régularité de la présentation – où la page de gauche montre une photo d’objets banals, le rabat replié à droite, qui pose une question en nommant simplement ces objets photographiés suivis d’un point d’interrogation – pourrait nous faire penser à un imagier servant donc aux tout petits à acquérir du vocabulaire quotidien… Il y a également le «texte», minimaliste, composé principalement de substantifs et d’énoncés sans verbes, contenant rimes et assonances, qui conviendrait aussi aux débuts de l’apprentissage du langage; il y a encore la couleur de fond du rabat qui se retrouve dans la police d’écriture colorée de ses courtes légendes, facilitant l’accès au sens car fonctionnant comme un rappel du «caché-trouvé»… Cependant, voilà: soulever le rabat non seulement provoque l’effet surprise attendu avec ce genre de pliage, mais révèle tout le génie créatif de l’auteur! C’est un monde foisonnant d’imagination qui dévoile alors les incroyables métamorphoses opérées sur ces simples objets quotidiens! Du coup, le livre pour bébé se métamorphose lui aussi en livre d’artiste, élargissant exponentiellement le potentiel lectorat à toute personne désirant se prêter au jeu de la découverte de cette extraordinaire galerie de banalités sublimées! Soulever le rabat, s’étonner, sourire, s’émerveiller du talent de l’artiste, jusqu’à croire qu’on aurait aussi pu le faire… mais reconnaître qu’il fallait y penser… puis songer qu’on pourrait tenter d’en faire autant avec d’autres objets… c’est un peu revivre les émotions de notre enfance qui jouait à cache-cache, ce doux mélange de sensation de solitude, de peur, de plaisir ou encore, plus tard, celle qui transformait les objets pour servir ses jeux symboliques inventés dans le dynamisme et la joie propres à l’enfance, pour vivre des aventures dans des cartons, avec des bouts de bois, des pierres et des couvertures…

Cet album épuré, mélangeant habilement, sur fond blanc, objets photographiés, coups de crayon à l’encre de chine et quelques rares touches de crayon gras, révèle l’enfant enfoui en chacun.e, en nous redonnant le pouvoir d’observer les choses par le prisme de l’imagination débordante et celui de transformer la banalité en source de gaité spontanée… pour que les trombones-pingouins défilent, que des coquillages-cônes-et-chapeaux-ronds abritent boules de glace ou coiffures, que des clés deviennent des bassets et une chaîne à vélo un canard déchaîné! Un chef-d’œuvre original, créatif et épuré: plaisir assuré! (SR)

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Couverture et image intérieure de «Trésors surprises» (© Sarbacane)

3. Un troupeau de moutons, Jean Da Ros, La Partie, 2024
Album, dès 3 ans

Un livre à compter, un imagier, un répertoire d’expressions, un poème…: le premier livre pour les petits de Jean Da Ros est tout cela à la fois, condensé dans un carré de 15 cm de côté! 

On dit un essaim d’abeilles, un troupeau de moutons, un banc de poissons. Ces expressions associées à un matériau inattendu en illustration, de petits éléments de plastique de couleur, ronds, de même taille, assemblés et collés, puis disposés de façon évocatrice, voilà une idée originale pour créer de drôles de petits tableaux animés. L’artiste propose une interprétation figurative d’un motif abstrait sous la forme d’une expression et laisse libre cours à son imagination pour en créer de nouvelles, moins attendues et plus fantasques. 

Toutes font référence au monde animal, une base dans les albums pour tout-petits. Les pastilles répondent à un code couleur associé aux espèces citées. Sur le fond uni de la page cartonnée, l’enfant découvrira, suivra du doigt les représentations reconnaissables de canards, d’éléphants ou de girafes, avant de s’aventurer vers d’autres assemblages moins banals: «un murmure d’étourneaux», comme un premier glissement du sens propre au figuré, «une flamboyance de flamants roses», plus visuel, «une obstination de buffles» ou encore «une gorgée de cormorans», carrément métaphoriques. L’imagination fertile d’un artiste qui s’amuse et entraîne le spectateur dans cette double hélice poétique. D’une «laisse de renards» au «pandémonium de perroquets», vite, découvrons la magie de cette initiation à l’art qui ne dit pas son nom, transmise sans en avoir l’air à quiconque se laissera charmer par cet auteur à découvrir. (VC)

4. Heu-reux!, Christian Voltz, Rouergue, 2016
Album, dès 5 ans

La place incontournable de Christian Voltz et son génie créateur dans le monde des auteurs-illustrateurs ne sont plus à présenter. Ses illustrations sont composées d’une foultitude d’objets, très souvent, d’ailleurs, de parties d’objets seulement, aux textures hétéroclites. Chaque composition est ainsi constituée d’un adroit mélange d’éléments naturels et fabriqués et la plupart du temps également «retouchés». Pliés, martelés, aplatis, ondulés, froissés, démantelés, ces objets sont beaucoup moins reconnaissables pour un jeune enfant, car l’effet global de la composition en fait oublier l’origine. Rondelles crantées, clous-agrafes, manches de pioche ou de marteaux, anneaux en cuivre, roues dentées, ressorts, boutons pression mâles ou femelles, chaînettes à boules, fermoirs, boutons, paille de fer, bouts de chaînes à vélo vont ici se métamorphoser en cornes ou colliers, yeux, museaux ou queues, alors que laine, cuir, tissus, paille, cordes et ficelles, branches et papiers texturés finiront de former les personnages animaux et humains, tout comme les paysages de ville ou de campagne, de forêt ou de jardin. Ce foisonnement d’éléments accompagne brillamment les péripéties des événements narrés avec humour et pleins de rebondissements. 

Le texte est complexe, avec de nombreux adjectifs et verbes spécifiques, jouant sur l’ambiguïté des double-sens, les expressions prises au pied de la lettre ou, au contraire, métaphoriquement, entrant parfois même en opposition avec les illustrations. 

La thématique de l’homosexualité est ici abordée avec un doigté extraordinaire, délivrant un message sensible autant que positif d’accueil à l’autre dans toutes ses spécificités, un message profond soutenu par un art subtil et drôle, facilitant l’accès au(x) sens pour de jeunes lecteurs et lectrices.

Ainsi, l’artiste crée une œuvre originale, osmose exquise entre les narrations textuelle et visuelle. Et tout le génie artistique de Christian Voltz réside dans cette conception parfaitement cohérente… pourtant générée à partir de cet incroyable bric-à-brac de matériaux! (SR)

5. Pourvu que l’on danse comme un jour de chance, Natali Fortier, Rouergue, 2022
Album, dès 6 ans

Un comédien nommé Omar répète son rôle, le génie d’Aladin, sur un terrain vague. Pour parfaire son élocution, il prononce une phrase encore et encore: «Toi, pour te remercier de m’avoir libéré, je t’offre ma gratitude éternelle et un vœu à exaucer». Puis il s’en va. Omar ignore alors totalement que sous ses pieds, un parterre de cailloux écoutait sa prestation avec beaucoup d’attention. Son histoire de vœux, ils l’ont très bien entendue. Eux, des vœux, ils ont en une montagne! Paplo rêve de coiffer des stars, Albertine d’enseigner la danse, Pierrot d’emmener Carmen au cirque, une voix de l’assemblé voudrait se transformer en araignée pour effrayer les humains qui les piétinent, tandis qu’une bonne partie du gravier désirerait voler comme les oiseaux… Ainsi de suite, les petites pierres s’expriment sur leurs grands rêves de gloire, de romance, de vengeance, d’ailleurs… De bouger d’ici, en somme! Jusqu’à ce que l’orage gronde. Là, la pierraille, émerveillée par ce spectacle céleste, s’accorde sur un même vœu…

Pour raconter cette histoire qui se passe sous nos pieds, Natali Fortier ramasse des cailloux et peint finement au pinceau des têtes aux traits humains et animaux. Ensuite, à l’aide du dessin, elle leur procure des corps. Les têtes pierreuses sont posées sur le papier et complétées par des bras, jambes ou pattes, parées de chapeaux, robes, moustaches, et coiffures folles. Les teintes minérales de gris et de marron s’associent aux couleurs joyeuses (au pastel ou crayon, difficile à distinguer...) qui viennent habiller les cailloux. L’ensemble est ensuite photographié, laissant apparaître les ombres des pierres sur la feuille, et offrant du relief à l’image. Mis en scène ainsi, nos galets prennent vie. L’autrice leur donne aussi de la voix avec un texte, entre humour et poésie, qui s’exclame, et nous laisse imaginer cette crise existentielle collective.

Détourner de la matière première pour en faire un récit rappelle la capacité qu’ont les enfants à s’inventer des histoires à partir de simples objets. Avec ses créations, Natali Fortier met à l’honneur la force de l’imaginaire de l’enfant et invite les plus grand·e·s à renouer avec lui. Elle y parvient à merveille, et nous avons très envie de croire à cette bande de cailloux. Peut-être même que nous marcherons un chouia plus délicatement sur le gravier, afin que les cailloux puissent continuer à rêver tranquillement. (MD)

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«Un troupeau de moutons» (© La Partie), «Heu-reux!» (© Rouergue) et «Pourvu que l'on danse comme un jour de chance» (© Rouergue)

6. Mimi princesse rebelle, Pierre-Jacques Ober et Jules Ober, Seuil Jeunesse, 2023
Album, dès 13 ans

Avec Mimi princesse rebelle, du producteur et réalisateur Pierre-Jacques Ober et de la photographe Jules Ober, les lecteurs et lectrices sont catapultés en plein XVIIIe siècle. Le livre retrace la vie d’un personnage historique relativement méconnu: Marie-Christine Jeanne Josèphe Antoinette d'Autriche – Mimi pour les intimes – sœur ainée de Marie-Antoinette, la dernière reine de France.

Méfiez-vous du rose bonbon utilisé dès la première de couverture: la princesse Mimi n’a rien d’une personne douce et mielleuse, bien au contraire. Jeune fille, elle préfère les études aux divertissements de la Cour. Dotée d’un esprit vif et d'un caractère affirmé, elle questionne sans cesse les conventions et les règles établies, au grand dam de ses précepteurs.

Plus tard, elle se rapproche de sa belle-sœur, la princesse Isabelle de Bourbon-Parme, avec qui elle entretient une relation fusionnelle. Toutes deux partagent les mêmes idées progressistes sur la place des femmes et le rôle des princesses, ce qui ne plaît pas à tout le monde.

Opposée au mariage arrangé, Mimi parviendra – fait assez exceptionnel pour l’époque – à épouser un homme dont elle est réellement amoureuse et de condition plus modeste que la sienne. Ce dernier lui fera le plus beau des cadeaux en la nommant colonel et en la plaçant à la tête d’un régiment de cuirassiers. Une responsabilité qu’elle prendra très à cœur, au péril de sa vie…

Même si Pierre-Jacques Ober avoue avoir pris quelques libertés quant à la réalité historique (qu’il appelle des «licences poétiques»), il nous offre ici un beau récit de «princesse rebelle», bien loin des stéréotypes féminins habituels. 

Détail original, il confie la narration à un personnage inattendu: la Grande Faucheuse en personne que Mimi doit affronter après une grave chute de cheval et qui va dérouler le fil de son existence dans un récit en «tu» agrémenté de dialogues.

Mais la vraie singularité de cet ouvrage réside dans la technique d’illustration employée. Il s’agit de figurines de plomb, peintes à la main et mises en scène dans des décors miniatures. Les scènes ainsi créées sont ensuite photographiées et retouchées à l’ordinateur. Entre l’album, la bande dessinée et le reportage photographique, l’objet livre a de quoi intriguer!

Pour en arriver au rendu final, minutie et patience sont de mise: malgré la très riche collection de figurines (constituée sur de longues années) dont dispose l’auteur, il n’est pas rare qu’il passe de longues heures à chercher des personnages manquants sur Internet ou dans des magasins de jouet. Et c’est sans parler de l’assemblage des décors et de la réalisation de la scénographie.

Mais le jeu en vaut la chandelle: le rendu est vraiment époustouflant, d’autant qu’un soin particulier est apporté au traitement de la lumière, des ombres, des flous, des perspectives et à la représentation des mouvements.

Un travail de passionné·e·s qui rend l’exploration de l’Histoire passionnante!

À découvrir aussi, dans la même veine et par les mêmes auteurs, Petit soldat et Jacqueline. (DT)

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Couverture et image intérieure de «Mimi princesse rebelle» (© Seuil Jeunesse)

Tableaux éphémères

1. Va-t’en!, d’Olivier Douzou et Natali Fortier, Rouergue, 2000
Album, dès 2 ans
Et
Reviens!, d’Olivier Douzou et Natali Fortier, Rouergue, 2013
Album, dès 2 ans

Lorsque deux grands noms de la littérature jeunesse – à savoir l’audacieux Olivier Douzou et la talentueuse Natali Fortier – se rencontrent, c’est la promesse de belles étincelles créatives. Et encore plus s’il s’agit d’évoquer les thématiques du cauchemar et de la peur du noir, comme c’est le cas dans Va-t’en! et Reviens! édités au Rouergue. 

Ces deux albums, parus à plus de 10 ans d’intervalle, peuvent se concevoir comme une sorte de diptyque et fonctionnent selon un même principe. Des créatures nocturnes, plus inquiétantes les unes que les autres (un ogre, un fantôme, une sorcière, etc.), surgissent page après page. Pour les terrasser, une seule solution: crier «va-t’en!» et leur asséner un grand coup de marteau. «Bing!», en même temps que les sculptures en terre cuite de Natali Fortier, les terreurs enfantines volent en éclat et laissent la place à une nuit douce et paisible. 

La technique d’illustration sert particulièrement bien le propos des ouvrages! Dans un premier temps, les sculptures, à l’allure délicieusement terrifiante, sont mises en scène et photographiées sur le coin d’un meuble. L’éclairage a été pensé de telle manière à ce qu’une ombre menaçante soit projetée sur le mur. Ensuite, Natali Fortier détruit ses créations et prend le résultat en photo. 

Dans le livre, la «brisure» survient toujours en tournant la page; une manière d’impliquer activement les enfants dans la lecture et de leur montrer qu’ils et elles peuvent agir sur leurs peurs. La dimension éphémère des personnages de Natali Fortier a aussi de quoi rassurer: une fois détruits, les vilains monstres ne risquent plus de venir hanter les plus jeunes. Bien pensé! (DT)

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Couverture et image intérieure de «Va-t'en!» (© Rouergue)

2. Mur-mures, de Thomas Scotto, Lucie Albon et Matthieu Perret, Le Diplodocus, 2023
Album, dès 5 ans

«Écrire une histoire qui s’illustrerait directement sur les murs d’une ville»: voici le pari un peu fou qu’ont fait l’auteur Thomas Scotto, l’illustratrice Lucie Albon et le photographe Matthieu Perret. Ensemble, ils ont donnée vie à l’album Mur-mures publié par Le Diplodocus.

Au niveau du processus de création, il est intéressant de relever que les images ont précédé le texte (chose qui n’est pas si courante): en effet, Lucie Albon a d’abord réalisé de grands collages sur les murs du quatrième arrondissement de la ville Lyon dans le cadre du programme «culture hors les murs». Elle y a mis en scène la jeune fille curieuse et espiègle de la première de couverture dans sa quête d’identité et de liberté. Des œuvres de street-art qui auraient été éphémères (les fresques ont rapidement été dégradées par les intempéries, taguées, effacées…) si Matthieu Perret ne les avait pas immortalisées à travers ses photographies. Les clichés ont ensuite été confiés à Thomas Scotto pour la mise en mots: à chaque scène correspond une courte phrase, qui va à l’essentiel tout en jouant avec les doubles sens, les métaphores, les oxymores, les répétitions, mais aussi en faisant des clins d’œil avec des éléments de l’illustration et du décor citadin. Textes et images entrent ainsi en résonnance pour créer ces Mur-mures délicieusement poétiques qui, paradoxalement, se savourent aussi très bien à voix haute et laissent une impression durable. Bravo! (DT)

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Couverture et image intérieure de «Mur-mures» (© Le Diplodocus)

3. La patience du héron, d’Erik L’Homme et Lorène Bihorel, Gallimard Jeunesse, 2017
Album, dès 7 ans

Mizuki habite un village situé dans un pays lointain. Depuis la mort de ses parents, Shinzo est devenu son unique et meilleur ami. Au jeune garçon, Mizuki avait pris l’habitude de confier ses joies et ses peines. Or, depuis qu’il est parti à la ville afin d’apprendre le métier du sabre, la jeune fille s’embourbe dans la solitude et la tristesse. Aussi décide-t-elle un jour de partir vers le nord à la recherche de Shinzo. Le périple de Mizuki pour retrouver celui qui lui a fait la promesse de l’épouser sera ponctué de rencontres diverses et semé d’embûches qui ne feront que renforcer la ténacité de la jeune fille et façonneront à jamais sa personnalité. Page après page, l’orpheline solitaire et timorée se métamorphose en effet en une jeune femme, certes toujours aussi sensible, amoureuse et décidée, mais également ingénieuse et audacieuse, prête à tout pour parvenir à vivre avec l’homme qu’elle aime. 

Les illustrations de Lorène Bihorel scandent d’ailleurs très subtilement chaque étape clef de cette transformation. Elles permettent aux jeunes lecteurs de cet album d’imaginer les différents protagonistes de ce récit d’apprentissage, de leur donner «épaisseur» et vie. L’aspect éphémère de ces illustrations – il s’agit de photos de figures et de décors réalisés avec du sable déposé sur une table de verre lumineuse – soulignent à merveille l’intemporalité de la fable racontée ainsi que la beauté du lien ténu qui unit Mizuki à Shinzo.

C’est un très bel album, du point de vue esthétique et narratif, que signent ici conjointement Erik L’Homme et Lorène Bihorel, dont la complicité et l’admiration réciproque rejaillissent sur cette histoire empreinte d’amour, d’espoir et de poésie. (HD)

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 «La patience du héron» (© Gallimard Jeunesse)

Drôles d’outils

1. Qui suis-je?, Tony Durand, Motus, 2021
Album, dès 6 ans

L’album Qui suis-je? de Tony Durand met en scène un personnage dont le visage est une empreinte digitale, animé par deux petits points en guise d’yeux. Ce petit bonhomme est habillé d’un pull rayé jaune et noir, et d’un pantalon bleu. Avec originalité et fort de sa formation en graphisme, l’auteur livre ici l’histoire d’un personnage unique et attachant, qui traverse des interrogations existentielles.

À chaque page, le bonhomme-empreinte se pose une grande ou une petite question. Le lecteur le suit et est ainsi amené à explorer ses propres doutes et questionnements. La lecture de cet album d’une petite vingtaine de pages délivrera certainement autant de réponses qu’il y aura de lecteurs et lectrices. Le style graphique particulier du bonhomme-empreinte prend alors tout son sens! 

Dans différents décors, il se demande s’il est un animal, s’il a beaucoup de temps ou encore s’il aimera un jour le chou-fleur… et surtout, qui il est. Cette petite tête, bien sûr singulière puisqu’il est impossible de partager les mêmes empreintes digitales, même avec un jumeau, se décroche d’un fond couleur sable où il se retrouve tantôt face à un miroir, à un zèbre ou dans un autobus, avec d’autres bonshommes-empreinte. Les circonvolutions toutes particulières et subtiles de ce visage sympathique, trace d’un pouce ou d’un index qui appartient probablement à l’auteur, contrastent avec le trait noir et net utilisé pour mettre en scène les autres éléments. Si une réalité objective est souvent manifeste, l’individualité subjective est plus complexe à définir!

Notre bonhomme-empreinte croisera quelques-uns de ses semblables, s’il en est, que l’on différencie notamment par des différences de niveaux de pression à l’impression de l’empreinte. Aussi, l’auteur a tamponné notre petit héros plus nettement que sa camarade, croisée à la fin de l’histoire. Le soi est un sujet plus aisé à explorer que l’autre et nous sommes le personnage principal de notre histoire personnelle.

L’album est une jolie invitation à apprendre à mieux se connaître, à s’interroger sur la vie, ainsi qu’à faire de ce qui nous est propre une ressource, porteuse de philosophie et invitant à l’aventure. «Qui suis-je?» est une question profonde, à se poser impérativement… D’ailleurs, y trouvons-nous un jour une réponse définitive, ou continuons-nous d’évoluer, même au-delà de l’âge où nous avons fini par apprécier le goût du chou-fleur? (EH) 

2. Au pays des lignes, Victor Hussenot, La Joie de Lire, 2014
Album, dès 8 ans

Au pays des lignes est un roman graphique très singulier, puisqu’il a été intégralement dessiné au stylo bille. Sans aucun dialogue, Victor Hussenot nous emmène à l’aventure et parvient à capter l’attention et à éveiller la curiosité du lectorat grâce à des dessins minutieux et sensibles. Aussi, à travers les images, nous avons le loisir de faire nous-mêmes dialoguer les personnages.

Nous avons tous griffonné sur un bout de papier pendant un téléphone, et le graphisme de Victor Hussenot rappelle un peu le procédé. Mais ne vous y trompez pas, l’auteur en fait un art. En rouge et bleu, principalement, nous sommes entraînés tantôt dans des paysages évoquant les prés, tantôt dans des arbres majestueux, au bord de falaises, ou faisons escale en ville. La nature est omniprésente. La patte du dessinateur, avec ses traits souvent courts et vifs, permet un jeu de perspectives amusant et captivant.

Dans un décor en bichromie, un petit garçon bleu rencontre une petite fille rouge… Une première histoire d’amour, sans doute. C’est la fusion de deux univers où le petit garçon bleu arpentera le chemin rouge de la fillette et vice-versa, grâce à un code chromique élémentaire et poétique.

Les deux couleurs entremêlées créent un espace visuel à la fois dense et d’une jolie simplicité, mais surtout très romantique. En avançant dans l’histoire, un troisième personnage jaune s’intègre, contre lequel le petit garçon bleu défendra sa belle… l’issue sera surprenante et la troisième couleur primaire s’imposera à son tour dans le décor! 

Cette bande dessinée muette ne manque pas de mouvement. Les protagonistes sont dessinés plusieurs fois dans le même décor, à plusieurs endroits de leurs parcours ou vivant différents états d’âme. Les plans sont toujours larges et si travaillés qu’ils appellent parfois plusieurs coups d’œil. Les traits fins et serrés donnent parfois une impression labyrinthique, mais il est stimulant de pouvoir s’attarder tant sur le rendu global que sur les détails.

Au pays des lignes est un périple sensoriel et moral, dont le médium et les ingrédients sont fondamentaux et éveillent une créativité essentielle. Chacun·e d’entre nous tombera amoureux·se et aura envie de griffonner le nom de l’élu·e de son cœur au Bic, sur un coin de cahier, n’est-ce pas? (EH)

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 «Qui suis-je?» (© Motus) et «Au pays des lignes» (© La Joie de Lire)

Les chroniqueurs: Letizia Bolzani (LB), Marie David (MD), Hélène Dargagnon (HD), Christine Fontana (CF), Elinda Halili (EH), Véronique Cavallasca (VC), Sylviane Rigolet (SR), Nicole Tharin (NT), Damien Tornincasa (DT)


Image de vignette: illustration intérieure de Au fil de... (© Frimousse)