Que faut-il voir derrière ce nom des Éditions Illador, fondées en 2009 par Claire et Marc Garnier ? Peut-être la « lumière d'étain de la baie de Formentor » qu'évoque Semprun dans ses souvenirs d'enfance ; ou bien le fameux et mystérieux « vent des îles Baléares » qui anime l'ultime journée du chef d'oeuvre claudélien ; ou encore les esprits bienveillants de l'emblématique Raymond Lulle, puis de Frédéric Chopin, Georges Sand, Ruben Darío, Jorge Luis Borges, Robert Graves, et Joan Miró, qui flottent sur la beauté impitoyable, au sens flaubertien du terme, de la nature majorquine. Car Illador n'est autre que « l'île d'or » : Majorque, terre d'art et de littérature, source éternelle d'ardeurs créatrices. C'est à partir de ce port méditerranéen fascinant que les Éditions Illador souhaitent s'élancer vers d'autres rivages, proches ou lointains. Qu'il s'agisse de la collection Roman, Poésie, ou Histoire, la ligne éditoriale se construit donc peu à peu dans le sillage d'un voyage poétique et historique à travers toute l'Europe.
Le guide de ce voyage est représenté par le bronze de Nicolo Roccatagliata, ce petit ange joufflu et joyeux qui chante l'amour et la poésie à travers la douce mélodie jouée par son instrument. Mais qu'on ne s'y trompe pas : s'il nous rappelle sans cesse que l'esprit créateur doit être un enfant pour s'affirmer dans l'innocence de la nouveauté, son oeuvre est le fruit d'un long travail qui a su exploiter son talent.
La mission que se sont donc imposées les Éditions Illador est résolument cosmopolite et européenne : au fil des ans éclosent des oeuvres françaises, anglaises, irlandaises, espagnoles, et le voyage ne finit jamais. Car si l'un des plus grands plaisirs d'un éditeur est de parvenir à faire découvrir un auteur talentueux, il en existe un autre tout aussi exquis : celui de rendre accessible au public de sa langue de grands poètes étrangers. La clé réside dans une traduction inédite, solide, mais suffisamment ample - « comme l'aurore » dirait Queneau - pour contenir la complexité du sens des propos de l'auteur. Les Éditions Illador sont par exemple fières d'avoir pu faire connaître Betjeman, Poète Lauréat du Royaume-Uni, au même titre que Wordsworth ou Tennyson. Afin de se fondre dans la langue originale, les oeuvres étrangères sont toujours publiées sous la forme d'éditions bilingues. Le lecteur peut ainsi plonger à son rythme dans les méandres de la langue et du sens poétiques.
Quel que soit le genre littéraire du livre publié, la poésie demeure le maître-mot des Éditions Illador. Si la poésie sous forme versifiée est sans nul doute une « hésitation prolongée entre le son et le sens » (Valéry), à rapprocher de la musique, le roman peut aussi bien être poème, à rapprocher de l'opéra. Le souci poétique des Éditions Illador se dégage donc dans l'ensemble de son catalogue, par le surgissement d'une atmosphère particulière, d'un inconnu, d'une réalité nouvelle dévoilée au lecteur et transcendée par les mots de l'auteur. Au-dessus de cet objectif flotte l'ange musicien bienveillant de Roccatagliata.
D'ailleurs, les Muses inspiratrices des poètes ne sont autres que les filles de Mnémosyne, c'est-à-dire du souvenir, et par extension de l'Histoire. Dans cette perspective européenne et poétique, les Éditions Illador souhaitent offrir à travers leurs publications un témoignage historique, un éclairage nouveau sur différentes époques, différents lieux. Ainsi le lecteur peut éprouver l'entre-deux-guerres en Europe, la campagne française des Trente Glorieuses, la guerre civile espagnole, la guerre d'Algérie, ou plus simplement la vie insulaire majorquine de jadis et naguère, et l'Angleterre profonde du XXème siècle.
Un dernier mot, enfin, sur l'aspect des livres publiés. Imprimés en France, ils sont constitués de papiers choisis avec soin, afin d'affirmer leur présence en tant qu'objets. Si les Éditions tiennent tant à cette dimension physique de la littérature, c'est que chaque livre porte en lui la trace de la propre histoire que le lecteur a entretenue avec lui : il correspond à un moment de sa vie, à des souvenirs, des rêveries, une attitude, et parfois même une personne. L'expression « bibliothèque virtuelle » est une contradiction dans les termes. Une vraie bibliothèque renvoie à l'amour personnel de la littérature qui, loin d'être uniquement spirituel, est aussi charnel.