Adam et Thomas

« Ils marchaient main dans la main, rapidement. Ils arrivèrent à la lisière de la forêt avec le lever du jour.
- Mon petit Adam, dit la mère, nous sommes arrivés, n’aie crainte. Tu connais parfaitement notre forêt et tout ce qu’elle contient. Je vais faire mon possible pour revenir ce soir[…].
Elle se détacha de lui et se mit en route. »

Mais la mère d’Adam ne revient pas, ni le soir, ni le jour suivant, durant lequel le jeune garçon fait la connaissance de Thomas. Les deux garçons n’ont au premier abord rien en commun, tant leur tempérament et leur personnalité sont différents. L’un est agile et débrouillard, l’autre est circonspect et angoissé. C’est la religion qui tient lieu de trait d’union entre eux. Adam et Thomas sont en effet tous les deux juifs et ont été cachés, loin du ghetto, dans la forêt, par leurs mères respectives. Ces dernières ont promis à leurs fils de revenir les chercher, toutefois les jours puis les semaines puis les mois se succèdent, et leurs mères n’arrivent toujours pas…

Ce roman raconte et décrit, de fait, les mois passés à attendre dans la forêt. Une vie nouvelle s’organise dès lors pour les deux garçons. Pour se protéger, ils se construisent par exemple un nid dans un arbre et se nourrissent des fruits que la nature offre. Si le lieu tantôt amuse, il effraie tout autant Adam et Thomas, lesquels partagent, au cours de cette aventure, leurs doutes et leurs espoirs concernant évidemment le retour de leurs mères, mais également concernant la religion, la guerre, l’amour.

Aharon Appelfeld est un célèbre écrivain de langue hébraïque, qui a, très jeune, perdu sa mère, assassinée dans un camp par des nazis. A 9 ans, il parvient à s’enfuir du camp de concentration où il était prisonnier avec son père et devra errer de longs mois dans la forêt ukrainienne. Impossible donc de ne pas faire le lien entre cet auteur et les deux protagonistes de ce roman. Impossible également pour nous de nous arrêter à cette dimension autobiographique. Certes le lecteur se retrouve, dès les premières lignes, plongé dans la Seconde Guerre mondiale, cependant ce roman raconte aussi et surtout une histoire d’amitié. Un jeune lecteur non averti fera ainsi connaissance avec Adam et Thomas, deux jeunes garçons qui vont apprendre à se connaître et s’apprécier, afin de résister à la solitude, à la faim et au froid. Page après page, il suivra les aventures de ces personnages. Le récit de ces diverses péripéties est entrecoupé de pauses narratives, durant lesquelles les enfants se posent des questions existentielles ou font état de réflexions personnelles. Ces digressions d’ordre philosophiques pourront d’ailleurs désarçonner un jeune lectorat habitué aux romans d’aventures actuels où les aventures s’enchaînent frénétiquement et les mots sont percutants. La langue de Appelfeld semble, elle, au contraire, douce, mesurée et fluide, à l’instar des illustrations réalisés à l’aquarelle par Philippe Dumas.

Récit autobiographique, roman d’aventures, conte, ce livre se pose à la croisée des genres et apparaît d’autant plus intéressant qu’il semble inclassable. Parce qu’il suscitera sans nul doute des interrogations chez les plus jeunes lecteurs du fait de son aspect métaphorique, il permettra un dialogue entre lecteurs enfants et lecteurs adultes. Même si plusieurs niveaux de lectures sont possibles dans cet ouvrage, le message de tolérance, d’altruisme et de générosité qu’il véhicule nécessitera en effet d’être accompagné - et au besoin contextualisé auprès des plus jeunes - avant d’en prendre pleinement conscience.

Un livre à destination de la jeunesse, qui a, pour résumer, d’ores et déjà l’étoffe ainsi que l’intemporalité d’un classique.