Au marché

Cet album a la saveur des grands albums de l’enfance, ceux qui laissent dans la mémoire leur trace, l’émotion de la lecture.

D’abord, l’illustration. Elle est expressive, précise, foisonnante : tout ce qu'autorise le grand format du livre. Elle retient le regard et captive l’attention. Elle nous charme. Puis, le texte. Il est serré, dans une typographie un peu vieillotte, à l’image de cette promenade spéciale : une petite fille convalescente, gardée par sa grand-mère, va profiter de l’occasion et l’accompagner dans un grand tour de manège, une sortie au marché. Quel enfant d’aujourd’hui accompagne sa grand-mère au marché ?  

Et puis, c’est un album sur la ville, la vie en ville, et sur cette occasion du marché, offerte aux enfants des campagnes ou des banlieues dortoirs, comme la révélation d’un autre monde. Tout y est poésie : les quelques mots échangés, familiers, complices entre l’enfant et la vieille dame ; la déambulation entre les stands, variés, mélangés, comme un plat épicé, en quête de babioles, indispensables, une paire de gants, perdue aussitôt qu’achetée ; un cadeau improbable pour une parente qu’on devine lointaine. Et même si c’est l’hiver, les chalands et les marchands sont bien emmitouflés et affrontent le froid sans s’y arrêter. Les couleurs fusent, vives, multiples, superposées, réchauffant l’atmosphère, et le coup de crayon est nerveux et précis ; la ville est le théâtre et chaque double page une scène de la pièce. S’y bousculent les stands, les parasols bigarrés, les gens, personnages bien campés, reconnaissables, qui cherchent, soulèvent, soupèsent, dans une ronde étourdissante et enivrante de mouvement, de couleur. On oublie le temps. De cette profusion, très précisément légendée d’étiquettes, de prix ou de publicités, nous parvient même la rumeur, les appels des marchands, les conversations des chalands, le ton bienveillant et les mises en garde de la grand-mère : « Ne t’éloigne pas ! ».

Cet album magique est l’occasion de beaux moments d’échange et d’intenses rêveries.