Au pays des lignes

Dans un décor désertique d'herbes rouges et de rochers bleus pointus, une femme (en rouge) et un homme (en bleu) attendent. Puis se rencontrent, et arpentent ces montagnes isolées. La femme tombe amoureuse. Mais il faut continuer à avancer, retrouver son chemin (pour aller où ?). Après une nuit réparatrice au pied d'un gros roc, l'homme découvre que la femme a disparu. Un monstre jaune l'a attrapée !
Notre héros ne fait ni une ni deux et sauve la belle. Plongé dans l'eau, le monstre jaune se révèle être un petit humain comme eux, tout peureux. Ils décident de partir tous ensemble, et crapahutent gaiement dans un décor rouge et bleu de plus en plus fantastique (le centre de la terre...?). Arrive un décor jaune : le bonhomme de la même couleur s'y arrête. Arrive un décor rouge : la petite femme rouge se révèle une petite fille qui retrouve ses parents. Et le bleu ? Il repart à la conquête du monde, mais promet de revenir vers sa dulcinée.

Sans paroles, abruptement dessiné en lignes et en angles souvent aigus, l'album se comprend toutefois aisément. D'abord, on se demande : la femme en rose qui fatigue à trop marcher, l'homme en bleu super-héros... Sexisme ? Non, l'auteur joue sur les codes du roman d'aventures voire de l'épopée. Comme son dessin et ses explications sont minimales, les stéréotypes sont les bienvenus, clins d'œil aisément reconnaissables auxquels nous allons nous raccrocher. A noter aussi les signes empruntés à la bande dessinée : des lignes à partir de sa bouche pour quelqu'un qui parle, une petite volute sur la tête de celui qui hésite, etc., sont bientôt attendus par le lecteur pris dans un jeu gigantesque.
Le long voyage démarre sans but, avant que le lecteur, à partir du moment où le personnage jaune arrive, ne commence à imaginer une fin à cette errance. Je ne pensais pas que la figure bleue repartirait sur les chemins, et pourtant c'est là que prend tout son sens le type que lui a attribué l'auteur : nous sommes presque dans le roman de chevalerie, si ce n'est qu'il s'agit d'un amour d'enfance... Exercice de style brillant (tous ces décors labyrinthiques, l'avancée constante des héros n'étaient pas évidents à mettre en œuvre), Au pays des lignes intriguera les grands dès 8 ans et aussi les plus grands, leurs parents !