Au service du mal

Wilmuth, le narrateur, a 9 ans, lorsque l’on fait sa connaissance. Sa mère, Valkiria, descend d’une longue lignée de sorcières « ayant consacré leur existence à massacrer une multitude de magiciens, ces abominables traîtres qui, de beaux discours plein la bouche, mettent leurs talents au service du bien ». La famille de Wilmuth possède d’ailleurs un trophée précieux que l’on expose au-dessus de la cheminée familiale : la longue barbe blanche de l’enchanteur Merlin.
Le ton est donné d’emblée : nous pénétrons dans une histoire sombre, dans laquelle les personnages sont franchement et énergiquement du côté du Mal.
Dans le Moyen Age où il évolue (le 8eme siècle, lorsque Pépin le Bref règne sur les Francs), Wilmuth est donc génétiquement et culturellement conçu pour être un vrai méchant. Telle est sa condition. Les soixante années qu’il va passer au pensionnat Inferno, dirigé par un certain Triple-Mort, sont destinées à aiguiser ses aptitudes à tuer, massacrer, détruire sans états d’âme. Il n’y prend pas plaisir mais c’est l’essence même de son existence. Il y met tout son cœur et toute son énergie. Cependant, et sans doute malgré lui, le jeune Wilmuth découvre au cours de ses années d’apprentissage d’autres sentiments : l’amitié tout d’abord, lorsqu’il fait la connaissance de Mange-Burnasse au pensionnat, et un peu plus tard, l’amour, alors qu’il est en mission pour tuer Charlemagne. Wilmuth aura quelques difficultés à ne pas s’écarter du mauvais chemin …
Ce gros roman de 450 pages est une excellente surprise qui prend le lecteur à rebrousse-poil avec une jubilation communicative. Avec ses personnages hauts en couleurs et forts en gueule et en coups de hache, nous entrons dans un autre monde, aux antipodes des univers de sorcellerie et d’enchantements qu’affectionnent les jeunes lecteurs depuis « Harry Potter ». Cependant, le roman n’est ni complaisant ni gore et la cruauté des personnages jamais gratuite. Jean-Marc Deville brouille volontairement les codes habituels et permet de faire réfléchir sur ce que sont réellement le bien et le mal. Wilmuth, le narrateur, est un personnage passionnant, aux multiples facettes, un véritable humain que la vie et les rencontres façonnent de belle manière. L’humour est présent dans le récit, pimenté de multiples clins d’œil et de références que les lecteurs ne manqueront pas de repérer.