Au Ventre du Monde

Paohétama habite avec son grand-père pêcheur un peu à l’écart du village, sur une île ensoleillée et riche que tout le monde nomme Notre Terre. Le vieil homme, soucieux d’assurer l’avenir de sa petite-fille, négocie avec le chef et le sorcier afin qu’elle puisse être considérée comme un garçon, et donc prendre à sa suite le rôle de pêcheur attitré du clan. Paohétama comprend l’astuce et prend très à cœur son nouveau rôle, s’appliquant à imiter les jeunes hommes qu’elle côtoie. Pour elle, aller sur les eaux est aussi l’occasion de se rapprocher de ses parents, emportés tous les deux sur l’océan. La jeune fille imagine que si elle parvient à récupérer la perle géante qui serait cachée sur une petite île appelée le Ventre du Monde, elle connaîtra le secret de leur disparition. Impétueuse, elle apprend d’abord longuement de son aïeul la patience et le respect de l’élément maritime. Enfin prête à naviguer sans risques, Paohétama embarque sur un frêle esquif en compagnie de son cochon domestique, direction l’Autre Terre, juste en face.

L’ouvrage est copieux, d’une écriture pourtant fluide et d’une intrigue simple quoique fortement symbolique. Le ton est malicieux, à la hauteur de la petite héroïne, quand bien même l’auteur qualifie son œuvre de « chant », avec tout ce que cela peut drainer de poésie ou de lyrisme. Au Ventre du Monde est donc un roman qui se lit facilement, mais qui se réfléchit longtemps. Certains thèmes sont évidents : la place des femmes dans la société de l’île, la découverte et l’apprivoisement de l’étranger (une notion toute relative entre les deux Terres), l’acceptation définitive de la disparition des parents afin de soi-même devenir une adulte…
D’autres se laissent moins aisément appréhender, ou plutôt le lecteur s’interroge sur la richesse des faits exprimés, sur leur signification profonde, sur une interprétation à leur donner ou pas. On pense par exemple à l’expérience presque magique que vit Paohétama lorsqu’elle s’empare de la perle, avant de devenir très rapidement et un peu abusivement reine des deux Terres. On pense aussi à l’ambigüité des sorciers, sincèrement habités par certaines forces, mais tout aussi sincèrement hommes cupides. Au Ventre du Monde est un ample roman initiatique qui se nimbe d’une ambiance presque enchantée, entre histoire personnelle de son héroïne et fresque sociale des îles. Un curieux roman qui se lit et relit sans jamais se donner entièrement…Et parce que Gilles Barraqué se soucie encore du trivial, on décernera une mention spéciale au riant cochon domestique, sans qui rien ne serait évidemment possible pour sa petite maîtresse !