Courez, courez, petits singes !

Trois léopards armés de dents aiguës tournent en rond. On voit bien qu’ils ont faim. Ils entendent trois petits singes. Trois contre trois, les ouistitis vont- ils avoir leur chance ? C’est la course-poursuite à laquelle Juliet Kepes convie les lecteurs. Et cela marche à merveille. Au moment où les léopards pensent atteindre les singes élastiques, surgit un boa qui les protège. La rivière ne suffit pas à les protéger, mais le crocodile, si ! Les buffles retardent un instant encore l’élan des léopards. Ironie du sort, c’est la tortue, animal lent et placide, qui va les sauver.

L’humour de ce récit doit beaucoup à structure narrative. « Attrape-moi si tu le peux » est un ressort comique de grande efficacité ; la puissance des léopards mise en défaut par l’énergie (du désespoir) des petits singes en est un autre. Spontanément, les lecteurs adhèrent à la cause des petits singes malicieux. Le parti-pris graphique de cet album publié en 1952 aux Etats-Unis, et réédité ici en français, témoigne d’une grande modernité. Dans un décor réduit au plus simple, un fond vide blanc, une feuille suffit pour signaler un papayer ; une coulée bleue unie évoque la rivière et les cornes des buffles fermement campés sur leurs pattes ou leurs arrière-trains suffisent à imaginer leur charge redoutable à l’encontre des léopards. A tout cela s’ajoute le charme du texte, rythmé par des formulettes et construit sous forme de comptines : un verbe à l’impératif (courez, sautez, fuyez) adressé aux petits singes et une répétition (vite, vite, vite). On est spectateurs de cette comédie de marionnettes et cela s’achève comme une ronde. Un album d’anthologie, une valeur intemporelle.