Dans le coeur

Au Liban, pays du jasmin, une petite fille est prisonnière de la guerre. Sur la couverture, le grillage des fines tiges vertes tient son regard velouté à l’écart des lumières multicolores de la paix et de la joie de vivre. Pourtant, son regard n’est pas triste, ses yeux sont écarquillés sur le monde. Les fleurs blanches et – on l’imagine à l’épanouissement de leurs fins pétales – parfumées, font devant son visage comme une myriade d’étoiles qui éclairent sa vie.

Ce récit d’une enfance bouleversée, c’est d’abord par le talent et la sensibilité de plasticienne de Nada Matta que le lecteur y accède. Une illustration somptueuse, où le noir joue de ses dégradés dans chaque silhouette, pour restituer la brillance des boucles, la profondeur des regards, l’ombre dans le sourire. La lumière s’invite dans chaque reflet, éclaire chaque sourire.

L’artiste joue aussi de la couleur pour susciter l’émotion du lecteur. Elle s’affiche dans chaque motif du décor décliné en camaïeu, vert pour les aiguilles de pin, bleu pour les vagues de la mer, jaune pour la lumière. Et cette palette de rouges, de roses et d'orangés, qui scande le récit, tour à tour lumignons de la ville, éclaboussures de sang quand l’obscurité, la tristesse s’abattent comme un mur, chaleur d’une couverture qui gratte quand même un peu, talus de terre protecteurs ou tapis accueillants, et l’ouvrage de tricot auquel inlassablement les femmes travaillent… Éblouissement des fleurs nacrées de l’amandier dans lequel l’enfant s’allonge face au ciel, qui déborde de la double page, et absorbe le lecteur.

Au regard de cette luxuriance, le texte n’est pas en reste. Il s’affiche, et comme dans un poème, l’auteure joue des répétitions, des associations, des accumulations et des métaphores pour dire l’atterrement, la peur, mais aussi la force de nouveaux attachements. L’ensemble pulse comme le cœur du titre. Il raconte l’histoire des enfants réunis en une nouvelle famille par une femme généreuse, au grand cœur. Rassemblés dans la bergerie-refuge, autre cœur solide, les enfants apprennent à vivre malgré tout, s’exercent à la patience, à l’attente, à l’espoir.

Sans jamais laisser oublier la guerre, Nada Matta se souvient aussi de cette volonté de vivre coûte que coûte, dans les reflets de la lumière. Une expressivité très attachante et un livre magnifique.