De qui a peur le grand méchant loup ?

Ne vous y trompez pas : derrière le thème du loup de contes et le dessin proche des gravures du XIXe siècle, l'auteure est une jeune Japonaise. C'est d'ailleurs un plaisir de savoir que l'Asie continue de découvrir l'Europe, et dans un mouvement retour de profiter de la traduction ! On ne peut pas vraiment parler de conte détourné, plutôt d'appropriation très personnelle. Eduqué sur le mode de la prudence par sa grand-mère, le loup arpente la forêt en quête de nourriture, ses livres à la main. Approche-t-il de cochons, de chevreaux ou d'un petit chaperon rouge qu'il relit un passage de la légende correspondante, dans laquelle il se fait invariablement éventrer ou ébouillanter. Alors, évidemment, il renonce à son festin... et se contente de quelques pommes avant de se coucher affamé, mais sain et sauf.

L'histoire a l'intelligence de ne pas être linéaire, et nous croisons et recroisons les personnages qui se connaissent d'ailleurs entre eux. Le loup n'a plus rien d'instinctif, presque paralysé par ce qu'il sait de ses lectures. A contrario, cochons, chevreaux et chaperon rouge brillent de confiance en soi. C'est très drôle, les dessins expressifs revisitent complètement la forêt idéale, à coups assurés d'encre fine et d'aquarelle. Le lecteur s'amusera peut-être à suivre de page en page deux écureuils attentifs, ainsi qu'un petit rouge-gorge. Le format à l'italienne donne l'impression d'un cheminement, à la foi à travers les chemins et dans la tête du héros et narrateur : « prudence, prudence... » comme le dit si bien notre loup entre des extraits de contes. Un album doublement réjouissant de par son origine lointaine et par son aboutissement plein d'humour fin.