Depuis que je suis né

Parce qu’il voit sa grand-mère écrire ses mémoires, Sami, qui vient tout juste d’apprendre à lire et écrire, décide d’en faire autant. Le récit se construit sur les souvenirs de cette vie brève que Sami revendique aussi riche que celle des adultes.

Dans un premier temps, Sami s’interroge sur les moyens de son écriture, tâche laborieuse, avant de trouver la solution adaptée à ses capacités : l’oralité, permise par un enregistrement numérique ! Sami, résolument de son époque, au contraire de sa grand-mère, peut dérouler son monologue par une sorte de un pied-de-nez à tous ceux qui pourraient penser qu’un si petit ne peut rien dire ….

Bien au contraire, l’enfant déroule méthodiquement les étapes de sa vie : sa naissance, la crèche, les bons ou mauvais moments. Le style de David Lescot, rompu aux techniques théâtrales, alterne récit, onomatopées, chanson, et laisse sa place à la subjectivité de Sami qui râle devant l’incompréhension des adultes – ils interprètent les pleurs comme un besoin de lait uniquement – ou décrit la lutte pour la vie qu’est la crèche. Sami ne se plaint pas, il a le sens de l’humour et explique aux lecteurs, auditeurs, spectateurs que si un bébé pleure c’est parce qu’une étiquette gratte ou qu’à la crèche « un ennemi, c’est un bébé qui veut le même camion en plastique que vous, alors qu’il y a plein d’autres camions en plastique ».

L’auteur développe une réflexion émouvante sur ‘avoir de la mémoire/écrire ses mémoires’ et donc le rapport que chacun d’entre nous entretient avec le temps qui passe. Qu’on le conserve ou qu’on l’escamote, subrepticement, le temps nourrit notre présent.

Autre thématique importante, la difficulté du « passage ». J’ai trop peur traite le passage au collège mais le passage à la vie, à la crèche, à l’école sont autant de moments où l’individu, à peine construit, perd ses repères, met en péril son équilibre, – intra-utérin, familial, protecteur. Heureusement, l’illustration de Gala Vanson, bleue et jaune, réchauffe les propos de Sami et crée pour le lecteur un monde chaleureux, lumineux et rassurant.

La conquête du langage ouvre un nouvel univers. Mise en balance avec la conquête de la marche, ces deux fondamentaux de la condition humaine marquent l’accès à l’autonomie et la déclaration « je veux plus/je veux rien » à la fois drôle et un peu mélancolique se poursuit par ce chapitre des mémoires « pourquoi on ne peut pas revenir en arrière ? » Seule réponse possible, rembobiner et écouter ensemble, toutes générations confondues, les récits de vie. Une forme théâtrale courte et dense qui séduit par la diversité des tons et l’universalité des thèmes. Un texte qu’on a très envie d’aller voir sur scène...