En cage

Adolescents noirs de Harlem, Antonio et Natasha s'aiment. Mais Antonio est accusé d'avoir tué son père (qui maltraitait sa famille), condamné, emprisonné. Les deux jeunes se jurent un amour éternel et s'écrivent assidument. Au bout de deux ans, Natasha se lasse de cette relation à distance. Elle réussit bien ses études, a fait un voyage en France, va commencer à la fac : elle veut vivre comme une jeune femme normale. Après de l'incompréhension, des silences blessés de part et d'autre, les lettres reprennent, plus lointaines, plus adultes, mais toujours aussi réconfortantes.
Kalisha Buckhanon fait immédiatement penser à une autre auteure, Janet McDonald, trop tôt partie et dont les beaux romans, parus chez Thierry Magnier, parlent aussi de Harlem, de la condition noire, de la famille qui peut être autant violente que solidaire, des difficultés socio-économiques… On retrouve une attention similaire aux contradictions de l'adolescence, une même justesse de ton, une intensité des sentiments qui fait frissonner. La comparaison s'arrête là : Janet McDonald investit des personnages pétillants, pleins de vie dans une histoire construite, tandis que Kalisha Buckhanon observe avec une langue brutale la déliquescence désespérée d'un amour... Pour cela, elle fera penser à Sapphire et son livre-choc Push. Antonio et Natasha sont tous deux des victimes d'une société qui ne laisse pas de place aux minorités mal nées. Mais leurs parcours de vie, prison ou pas, les caractères de ces jeunes venant de beaucoup plus loin, vont être radicalement différents. L'une va transcender ses difficultés, devenir avocate certes pour atteindre un niveau social supérieur, mais aussi et surtout mieux défendre ceux qu'elle a laissés derrière elle. Plus nonchalant, l'autre va voir son avenir subitement brisé, passer par toutes sortes de crises : espoir, rébellion, découragement, avant de trouver une relative sérénité dans la création d'une famille. Kalisha Buckhanon ne dit pas que l'un a mieux réussi que l'autre, elle expose simplement des chemins qui se croisent et se décroisent sans jamais se perdre. Les mots des lettres sont tour à tour crus - parfois gênants, mais si réalistes -, tendres, naïfs (Antonio n'est même pas majeur quand il est emprisonné), durs, insultants... et toujours profondément émouvants. Le dévoilement final, pressenti depuis longtemps, renforce l'impression globale d'injustice vis-à-vis de toute une population méprisée, stigmatisée par les préjugés. En cage, très bien traduit, est un superbe plaidoyer pour la jeunesse, envers et contre tout.