Il pleut des poissons

Sous la plume agile et bavarde de Leif Parsons, plasticien sculpteur new-yorkais, voici une nouvelle interprétation de l’absurde comme principe de création infini de fantaisies narratives : quelle magnifique perspective pour un album jeunesse ! Car dans ce monde-ci voyez-vous, les enfants rêvent qu’il pleut de l’eau, que le monde est à l’endroit et qu’eux seuls vont à l’école : quels rêves extraordinaires et quelles drôles d’idées n’est-ce pas !

Dans des tableaux surchargés de détails narratifs susceptibles de donner le tournis même aux adeptes de Charlie, le héros de Martin Handford, l'artiste imagine un univers fantastique où l’on s’abrite d’une pluie de poissons de formes, de tailles et de couleurs variées, tout en les pêchant au vol, du bord de sa fenêtre, à l’épuisette ou à la canne. Les façades de la ville s’ouvrent sur des micro-univers tout aussi délirants, abritant à la fois le dedans et le dehors, où une figure humaine peut se déplier sur trois encadrements de fenêtre et où les repères sont brouillés par leur utilisation loufoque ! Il en va de même pour l’école, haut lieu normatif, qui accueille ici toutes les espèces connues ou moins connues dans un joyeux mélange de fantaisie et d’attention pour la leçon.

C’est que le monde de Leif Parsons n’a pas d’endroit, ni d’envers : il tourne, se retourne et nous donne le tournis – d’ailleurs on y mange en dansant ! – provoquant la surprise et l’admiration à chaque nouvelle page. Il faut dire que l’artiste est surprenant : le dessin à la pointe fine est fourmillant, mais son trait, net et précis, permet de distinguer chaque minuscule détail. Par ailleurs, il alterne les pages-univers avec des portraits d’animaux pleine page, de l’écureuil au tigre, nouveaux interlocuteurs et compagnons hyperréalistes et superbes. Les intermèdes où l’enfant-narrateur explique sa vision du monde permettent au lecteur de reprendre son souffle avant le prochain vertige.

Car c’est bien de vertige qu’il s’agit ici, un vertige enthousiaste devant l’inventivité, la créativité et l’art de Leif Parsons, véritable appel au rêve éveillé, le crayon à la main et la fantaisie pour idéal. Vive les montagnes russes à la Parsons !