J'ai tué l'océan

Sur son île ensoleillée, Pridi joue le petit diable farceur depuis sa naissance, maintenant les sentiments de ses parents entre fierté et exaspération. Une nuit, il dépasse les bornes en déposant des déchets pourris de poissons sous les planches de la belle maison sur pilotis de l’homme le plus riche du village. Conscient de la gravité de son geste, le garçonnet décide de fuguer de l’autre côté de l’île, chez l’excentrique et taciturne Kukrit, un homme qui vit seul depuis la mort de sa femme et de son enfant en mer, il y a des années, et qui depuis tue symboliquement tous les matins l’océan.
Illustré en noir et blanc par Philippe Dumas, l’étrange roman nous entraîne dans les petites aventures maritimes du narrateur Pridi. Derrière des apparences facétieuses, le héros réfléchit beaucoup sur lui et observe constamment ceux qui l’entoure. Il en tire des enseignements sur la nature humaine très sérieux et pertinents, par exemple : « Ce que nous appelons intelligence, et dont nous sommes si fiers, ne nous sert-il pas avant tout à trouver des biais pour justifier à nos propres yeux nos actes et nos pensées les plus crapuleux ? » (p. 41-42). Sa rencontre avec Kukrit sera aussi de nature plus ou moins objectivante, dans la mesure où le vieil homme, devenu fou de douleur, ne prêtera aucune attention à son petit visiteur. Pridi est sans doute trop jeune, mais il saisit intuitivement que l’amour peut être synonyme de malheur… L’histoire prend alors des allures de conte initiatique à la Moby Dick, et le fait d’avoir imaginé un personnage farceur prend du sens : il s’agit pour Pridi d’évoluer subtilement – sans toutefois renoncer à ses petits démons. N’oublions pas que l’auteur est Jean-François Chabas, et que l’on n’a jamais fini d’ausculter ses écrits faussement rêveurs ; Philippe Dumas a d’ailleurs choisi l’option classique, mais adaptée à cet environnement paradisiaque qu’il magnifie, de l’illustration simplement accompagnatrice…