La balade de Pell Ridley

Pell se marie ce matin. Enfin, devait se marier : la jeune fille enfourche son cheval adoré et, avec son fragile petit frère qui n'a pas voulu la quitter, fuit la vie de misère et de frustration que lui promettait le village arriéré d'Angleterre du XIXème siècle où elle est née. Elle pense trouver du travail à la foire aux chevaux de Salisbury, déchante vite : elle y perd sa monture et son frère. Commence alors pour Pell une longue errance à travers la plaine, parfois en compagnie d'une gitane et de ses enfants, parfois seule avec son chien Coquin, afin de retrouver les siens. Elle finit par poser ses maigres bagages à côté d'un braconnier taciturne, qu'elle va peu à peu apprivoiser...
Pell, c'est un feu follet, une féministe avant l'heure, presque un garçon manqué qui bouscule le vieux monde aussi croyant qu'ignorant duquel elle est pourtant issue. Sans jamais se plaindre ni perdre espoir, elle s'obstine méthodiquement à se construire des repères, à subvenir à ses besoins. Elle enchaîne les petits travaux, avant de suivre sa nature profonde, en marge de la société moutonnière de l'époque. Et on ne peut que lui donner raison : entre l'exploitation des journaliers par les fermiers ou les commerçants, les mouroirs en forme d'asiles de pauvres, l'alcool et les extrémismes qui rongent les esprits, la beauté âpre de la campagne verdoyante ne parvient pas à rattraper l'impression de désespoir qui se dégage du roman. On côtoie quelques maisons riches, Pell effleure la promesse d'une vie confortable, mais non, décidément, cette jeune femme-là semble comme adaptée à la difficulté, et à une vie sauvage, proche de la nature et de l'animal. Dans un monde massivement patriarcal, sa féminité est encore un handicap (pensons également à la gitane), et seul un autre solitaire sans attaches pouvait la comprendre. On pense à Thomas Hardy, évidemment, avec sa vision sombre de l'Angleterre victorienne, et il est malheureusement facile de penser que Meg Rosoff ne force pas le trait. Pell, modestement, ne cherche qu'une petite place où se sentir bien sur terre... Porté par un narrateur externe purement observateur, cet impeccable roman historique, aux émotions vives, est à découvrir sans tarder.