La bouche de l'ogre : où l'on s'aperçoit qu'une lettre peut tout changer

Depuis que le père de Nathan est au chômage, il s'est métamorphosé. Il passe son temps assis sur le canapé à apprendre par cœur les mauvaises nouvelles de son journal. Rempli de colère, il utilise sa femme et son fils comme défouloir. Ce samedi matin-là, Nathan part acheter une baguette pour son paternel. En chemin, il s'amuse à marcher en aveugle sur le bord du trottoir. Mais une fois les yeux ouverts, stupeur, il ne reconnaît plus son quartier. Mourant de froid et de faim, terrorisé par le sentiment d'être devenu transparent, il est recueilli par Elisabeth, une grosse femme à la voix douce. Mais cette dernière est l'épouse de l'ogre. Et il adore la chair fraîche, malgré l'interdiction d'en manger de son médecin... Plantant son couteau dans la jambe de son mari, Elisabeth libère son protégé. De retour à la maison, Nathan voit son père rasé de près un sourire aux lèvres : il a retrouvé du travail !

A partir de la vie quotidienne d'un père de famille au chômage, Benoît Broyart revisite le conte du Petit Poucet. Ne pouvant faire face à ce qui lui arrive, tombé en dépression, le père émet l'hypothèse de partir seul avec sa femme loin d'ici. Suite à cette éventualité, Nathan prend la fuite et se perd, au sens propre comme au figuré. Le récit devient alors métaphorique. L'auteur met en scène une femme protectrice à l'opposé de son mari, sorte d'animal aux pulsions violentes et incontrôlables qui n'hésite pas à phagocyter le garçon. Sauvé de justesse par Elisabeth, Nathan recouvre ses sens et la raison.
On imagine que cette parenthèse dans le temps permet au héros de se confronter à ses démons par le biais de ces deux personnages qui ressemblent à s'y méprendre à ses parents.
Heureusement que le dénouement de ce récit difficile à la tension parfois insupportable, car ancré dans un quotidien très réaliste, soit positif. Cependant, même si ce père de famille a retrouvé du travail, on reste inquiet quant à la sécurité de son entourage...
Il se dégage dans cet album pour les grands une belle fusion intellectuelle et artistique. On salue la qualité des illustrations en bichromie réalisées par Donatien Mary, qui donnent une intensité supplémentaire à ce combat ordinaire.