La bourrasque
L'avis de Ricochet
Le titre, La bourrasque, balaie la couverture comme un éclair blanc dans un ciel chargé d’herbes virevoltant sous le vent. Un homme, arc-bouté, pousse sa charrette sous le vent, alors que l’enfant qui les précède semble lui-même décoller du sol. Ce petit garçon, c’est Mo Yan, petit Chinois des années soixante portraituré par Chengliang Zhu, et l’homme qui peine, est son grand-père, paysan. Dans ce texte d’atmosphère, où résonne un chant dans le silence de l’aube, évocateur d’un monde ancien « inquiétant et attirant à la fois », l’écrivain Yan Mo, Prix Nobel de littérature, prend le temps de retrouver ce souvenir pour le transformer en leçon de vie dans une mise en images lumineuse. L’art de Chengliang Zhu est de mêler le réalisme des portraits et des attitudes – celui de cette mi-charrette mi-brouette, pesante et brinquebalante, qui sert à rapporter le fourrage pour les bêtes – à une évocation de la nature environnante très impressionniste, à la fois visuelle, tout en camaïeux de vert, de jaune, illuminée par le disque d’or du soleil naissant, et sonore, l’herbe bruissante du cricri des insectes, et du mouvement sec de la faucille feesh, ffeeshh, qu'on devine autour du vieil homme à la peau tannée, courbé sur sa tâche répétitive.
La complicité entre l’enfant et son grand-père est évoquée avec pudeur par l’écrivain, mais l’interprétation du peintre la rend tangible, rassurante, comme ce rideau d’herbes tendu pour abriter la sieste du petit garçon. Cette harmonie entre eux, cette fusion, va les aider à affronter sans crainte la tempête qui se lève tout à coup et menace de les emporter. Sous le ciel désormais très noir, ils « entrent dans le vent » écrit Mo Yan, et « ce démon » les soulève. Vaille que vaille, coûte que coûte, l’enfant s’accroche pour ne pas s’envoler et crie pour garder le lien : « Grand-père ! ». Le vieil homme s’arc-boute sur les bras de sa carriole pour l’empêcher de basculer, de l’emporter, tous deux tirent, poussent, résistent. Le livre se renverse alors à la verticale pour que l’artiste déploie la tornade dans toute sa densité cauchemardesque ! Et puis il retombe brusquement à l’horizontale, et Chengliang Zhu fragmente l’image pour restituer chaque mouvement de l’enfant qui se bat contre le vent. C’est un combat violent, brutal, qui nous semble durer des heures, alors qu’aussitôt levé, le vent cède très vite, le ciel chargé se dégage, le soleil réapparait, timide auréole scintillante sur les nuages gris.
Le ciel crépusculaire se teinte des mille feux et se reflète dans la rivière. S’y découpent les deux silhouettes, du grand-père et de l’enfant, reprenant leur route, le vieil homme ployant sous le fatalisme qui lui a fait perdre cette fois-ci tout le travail de sa journée, quand le garçon se dresse, pour jeter le dernier brin d’herbe, et lance son bras ouvrant la main comme dans un au revoir.
Au revoir l’enfance, au revoir grand-père, au revoir la Chine d’autrefois, et cette vie rude, violente parfois, mais aussi entourée et bercée par une nature vibrante, qui façonnait le corps et le cœur des hommes, et leur enseignait la lutte, la résistance. Une belle métaphore que ce récit initiatique rapporté par ce grand conteur qu’est Mo Yan, somptueusement mise en images par Chengliang Zhu.
Présentation par l'éditeur
Un enfant accompagne son grand-père faucher l’herbe au champ. Au matin, ils s’avancent avec leur charrette, silencieux et attendrissants, vers les promesses de la journée. Rythmée par des chants anciens, la chasse aux criquets et une sieste chaude, la besogne âpre les occupe des heures durant. Mais au soir venu, un vent tourbillonnant menace et, finalement, emporte tout. Seule la présence d’esprit et le courage du garçon empêchent le pire...