Le Petit Poucet
L'avis de Ricochet
Le Petit Poucet, le conte horrible parmi les horribles ! Sans s’éloigner de beaucoup de la version écrite par Perrault, cette interprétation par Agnès Ledig et Frédéric Pillot renouvelle cependant le conte de façon spectaculaire.
Pour relever le défi, Agnès Ledig a choisi très astucieusement de théâtraliser le récit en introduisant un chœur pour la narration, dont les strophes d’alexandrins apportent de la musicalité et du rythme, soulignés par le choix d’une impression en italiques. En alternance, les personnages, le bûcheron, Poucet, la femme de l’Ogre rebaptisée Ogresse ici et l’Ogre lui-même prennent la parole et décrivent dans un style moderne et sur un ton très expressif les émotions qui les bouleversent, et chamboulent aussi les lecteurs. Une version qui m’a rappelée celle que j’écoutais enfant sur un électrophone, où une chanteuse à la voix douce et profonde modulait la tristesse d’une femme dont le mari est un monstre sanguinaire. La musique et les chansons diffusaient l'émotion, comme ces déclarations en aparté auxquelles l'autrice donne des accents de sincérité irrésistibles.
Frédéric Pillot quant à lui, s’empare du mythe à la manière d’un ogre, saturant les gigantesques pages de ses gigantesques dessins fourmillant de minuscules détails tous signifiants. Il fallait bien ça pour substituer une nouvelle représentation aux gravures inoubliables de Gustave Doré. Frédéric Pillot s’y attelle en composant avec de multiples références qu’il investit avec sa propre créativité, toujours surprenante.
Dans sa forêt à lui, on devine à l’horizon les tours du château de la Belle au bois dormant, les arbres au tronc énorme et aux branches tortueuses ressemblent à de grands gardiens mystérieux. Il y a comme une débauche de couleurs, une suavité de tons qui enrobent la violence, la laissent palpiter à travers la profondeur des sous-bois, l’obscurité des chambres et la résolvent avec beaucoup d’originalité lorsqu’au-delà de la profusion baroque, l’artiste choisit de brosser une famille d’ogres grotesques et très laids, malgré leurs mirifiques atours de princes. L’Ogre en particulier, avec son collier d’osselets qui sautillent sous une fraise brodée et amidonnée comme celle d’Henri le huitième, sa bedaine gargantuesque qui supporte une toute petite tête aux yeux globuleux couronnée de deux boucles en forme de cornes diaboliques, cette rangée d’innombrables dents si pointues digne d’un maximonstre, et ce grand couteau qu’il brandit comme un sabre, suffirait à faire s’évanouir de frayeur !
Mais Frédéric Pillot ne s’arrête pas là, il le dessine monumental, dans l’encadrement de la porte de son château, c’est un seigneur, un puissant, invincible, aussi spectaculaire dans la douleur que dans la force qu’il déploie lorsqu’il s’élance à la poursuite des bambins : occupant la double page, il n’est qu’un rugissement ! Pourtant quand il s’écroule, Frédéric Pillot le représente gisant, le puissant défait, le monstre abattu, baudruche aux petits pieds, l’image de l’épouvante vaincue et ridicule. Une vision satirique du pouvoir autoritaire résolument moderne, et inspirante.
La famille de Poucet, bûcheron, bûcheronne et les sept petits garçons ont une allure très médiévale, avec leur bonnet et leur bliaut lacé. Ils m’ont pour ma part rappelé le conte Bernique, illustré par Georges Beuville, pour les albums du Père Castor. Leurs postures, la bouille ronde des petits, leurs gestes déliés lorsqu’ils accourent pour se jeter dans les bras de leur mère dont on ne voit jamais le visage mais seule la frêle silhouette dotée d’une luxuriante chevelure rousse comme une forêt d’automne, les billes de leur regard plein de joie ou d’effroi, tout inspire la sympathie et l’empathie, surtout pour celui qui brave le pire, réfléchit et manœuvre pour sauver sa famille et assurer son avenir. Comme dans le conte rapporté par Perrault, Frédéric Pillot et Agnès Ledig n’oublient pas que l’enfant pauvre a d’autres atouts que l’or et l’argent.
En parfaite symbiose, texte et illustration font œuvre, et ouvrent aux jeunes lecteurs et lectrices la porte d’un conte renouvelé et toujours aussi puissamment évocateur.
Présentation par l'éditeur
« À me voir comme ça, vous pourriez croire que je suis fragile et bête. Mon corps est si minuscule qu’on m’appela Petit Poucet. Il a bien fallu que je me débrouille avec cette faiblesse. C’est pourquoi, pour me défendre, je suis devenu le plus futé de tous les frères. »