Les enfants du roi

« I think as an evacuated child I would have found it incredibly stressful - it would have given me a nervous breakdown. And I look in admiration at children who endured that kind of thing. »
Sonya Hartnett

Cécily et Jérémy Lockwood vivent à Londres lorsqu’éclate la seconde Guerre Mondiale. Accompagnés de leur mère, ils partent se réfugier chez leur oncle Pérégrine, dans le Yorkshire. Jérémy, adolescent rebelle, se voit contraint de quitter sa ville et son père alors qu’il rêverait de contribuer à l’effort de guerre. Sa jeune sœur Cécily, en revanche, prend le parti d’accepter cet exil qui s’apparente à la promesse de longues semaines d’oisiveté. En outre, le clan familial accueille May Bright, une jeune évacuée de 10 ans, sombre, mature et mystérieuse. Celle-ci aime explorer les terrains autour d’Heron Hall et découvre les ruines d’un château où deux jeunes garçons se sont installés. Ce pourrait être eux aussi, des évacués mais c’est sans compter sur le récit de l’oncle Pérégrine qui relate l’histoire de ces vestiges qui étaient autrefois l’un des bastions de Richard III. La légende prétend qu’il aurait enfermé ses neveux dans la Tour de Londres afin de les éloigner de la couronne. L’Histoire n’a jamais rétabli la vérité sur le destin ces enfants : auraient-ils été tués ou écartés de Londres ?

A la lisière du roman fantastique et du récit historique, Sonya Hartnett brouille les frontières, démontrant que la violence inhérente au pouvoir est intemporelle. Elle s’interroge sur le ressenti des adolescents confrontés à la barbarie de la guerre et notamment à tous ceux qui ont dû quitter Londres à la veille du Blitz de 1940. Les personnages, complexes, évoluent au fil du récit. Ainsi, Cécily, égoïste et capricieuse, se métamorphose, et au fil des pages sa légèreté semble devenir un acte de résistance en ces temps de conflit. Jérémy, quant à lui, fuit le domaine pour retourner à Londres et revient quelques jours plus tard, ayant réalisé l’acte de bravoure qui semble enfin l’apaiser. Il livre son récit dans le chapitre intitulé « Le retour d’un héros » et raconte comment il a sauvé toute une famille. Le personnage le plus obscur est certainement la figure maternelle, isolée dans sa tour d’ivoire, refusant de voir les carnages des bombardements sous prétexte d’épargner ses enfants. Le style de Sonya Hartnett est remarquable, précis ou sensuel. Elle décrit et s’attarde sur le Yorkshire baigné de lumière, l’atmosphère brumeuse qui entoure le château en ruine, etc. Plus encore, les descriptions des bombardements dans la ville de Londres, assiégée, sont saisissantes. L’oralité est au cœur du processus d’écriture de l’auteur. Elle interroge le lecteur, via les légendes et les récits transmis, sur la frontière entre réel et imaginaire, passé et présent, le devoir de mémoire et l’inlassable répétition de la cruauté humaine. Les Enfants du roi est un magnifique roman initiatique au cours duquel les adultes perdent de leur superbe aux yeux de ces enfants faussement « sages ».

Pour aller plus loin : L’évacuation des civils en Grande-Bretagne pendant la seconde Guerre Mondiale a eu un impact culturel réel, inspirant de nombreux auteurs. Ainsi, Les Enfants du roi fait écho au roman de C. S. Lewis Le Lion, la sorcière blanche et l’Armoire magique (1950) dans lequel les enfants évacués accèdent au « Monde de Narnia »… et à l’un des grands succès de la littérature jeunesse !