L'idée du siècle
L'avis de Ricochet
Katerina Sad vit et travaille à Lviv, et L’idée du siècle est son premier album, publié en Ukraine en 2018. La couverture rappelle l’aventure des Trois amis, d’Helme Heine, à la fois par le décor rural, le jaillissement coloré qui évoque un champ de blé, et les figures animales qui en surgissent, stylisées et pleines de malice. C’est une forte filiation, et même pour un lecteur qui ne connaîtrait pas l’album de Heine, une ouverture pleine de promesses, sans compter celle que suppose le titre.
Le travail de l’artiste s’initie dans des paysages ruraux isolés et leur ressemble, avec ce côté un peu perdu d’une nature à la fois indomptée et rude, où le vent d’automne peut souffler fort et froid, couchant les herbes de la lande, éparpillant les nuages dans le ciel laiteux. L’artiste en installe l’atmosphère dès les premières pages, dans l’illustration et dans le texte, minimaliste et lapidaire. Une petite ferme grise et blanche se détache à l’horizon : là vivent les canards. Le fermier est parti, les abandonnant à leur triste sort.
La prairie automnale de cette campagne-là est composée d’un chatoiement de bruns et de gris, qui se couchent sous la brosse du pinceau de l’artiste comme sous le vent frisquet de l’automne. Sur ce fond terne et froid, s’affichent les mines perplexes de drôles de volatiles, émergeant de l’herbe. Leurs plumes volètent, comme échappées d’un oreiller, l’écho de leur désarroi, et leurs larges becs plats et surtout très orange, leur confèrent autant de caractère et d’individualité que ceux qu’on se plaît à remarquer en détaillant une photo de groupe. La cocasserie de leur allure prête instantanément à rire : Katerina Sad joue de ce paradoxe, avec maestria, comme Helen Oxenbury alliée à Martin Waddell dans l’inénarrable Canard fermier.
La situation est dramatique, les canards promis à un sort funeste, et pourtant l’artiste choisit d’en donner un tableau complètement inverse. Les canards sont de grandes et comiques silhouettes blanches et duveteuses, au cou interminable ; après avoir cédé à un moment de découragement bien naturel en s’étalant toutes ailes répandues sur le pré brunâtre de la double-page, ils vont aussitôt se reprendre et imaginer des solutions pour s’en sortir. Très astucieusement, l’idée de départ un peu saugrenue de leur faire apprendre l’écriture devient un ressort artistique pour l’artiste.
Les évènements s’enchaînent et la nature s’illumine de quelques corolles, fleurs roses des chardons, fleurs d’encre des tentatives d’écriture de la cohorte toute en bec. Chaque double-page est un rebondissement et une nouvelle occasion de s’amuser pour le lecteur. Les couleurs vives reprennent le dessus, le soleil apparaît, un hérisson au ventre rose est tout couronné de petites pommes rouges, jaunes, aux feuilles vertes : grâce à lui, les canards vont reprendre espoir et voler avec allégresse en bousculant les pommiers alentour, ce qui les auréole d’un nuage de petites feuilles posées par Katerina Sad sur le ciel clair comme une nuée virevoltante. Enfin l’artiste découvre pour le jeune lecteur émerveillé un bestiaire poétique, la masse pataude d’un ours brun, le nez pointu d’un renard farouche, et enfin les grandes oreilles du lapin bleu de la couverture.
La couleur est revenue, le monde n’a plus rien de lugubre, car la réussite est totale dans la ferme des canards qui peuvent désormais affronter même l’hiver et la neige, dernier clin d’œil de Katerina Sad qui reste fidèle à l’esprit de son projet : comment dans un univers a priori difficile, l’esprit d’entreprise, l’imagination et l’humour peuvent faire naître l’idée du siècle !
Un album tout en contrastes, tonique et bienfaisant, qui permet aussi de (re)découvrir les œuvres de prédécesseurs inoubliables.
Présentation par l'éditeur
Lorsqu’une ferme perd son propriétaire, les canards qui y vivent commencent à penser à leur avenir. Ils décident d’écrire une annonce, indiquant qu’ils recherchent un nouveau propriétaire, mais comme ils ne savent pas écrire, ils doivent apprendre à le faire. A travers cette histoire merveilleuse et pleine d’humour, les lecteurs apprendront que chacun a en lui des ressources et qu’il y a toujours un moyen de sortir d’une situation difficile.