Moon

L’été touche à sa fin. Au bord de la Méditerranée, un petit village se vide de ses estivants. Les plages se désertent, l’odeur de crème solaire se dissipe, les carrousels se démontent et les indigènes retrouvent leur quotidien, banal mais tranquille. Luna, Tom ou encore Loïc rompent leur ennui grâce à l’omniprésence de leurs écrans. Les SMS, «snoops » et « mood du jour », les jeux vidéo et la pornographie se ponctuent de bières et de petites provocations scolaires. Surnommé Cosmos pour sa rêverie, seul Gabriel, que son père interdit de portable, survole la fièvre des échanges. Alors que Mel publie malencontreusement une photo intime de Luna, déclenchant un affolement de notifications – ding ! ding ! – l’orage gronde. Pendant la nuit, une antenne-relais est foudroyée. Tout le village se réveille désormais privé d’internet. La nouvelle tombe : la réparation prendra deux semaines. Forcés de réinventer leurs interactions, les adolescents expérimentent l’ennui et l’amitié sans le filtre de leurs téléphones. Évidemment, le réseau finira par se rétablir. Bien que les habitudes reprennent, au retour des carrousels estivaux, quelque chose d’indéfinissable a changé.

Bande-dessinée à l’atmosphère étrangement apocalyptique, Moon esquisse le portrait réaliste d’une jeunesse hyperconnectée. À travers sa construction réaliste des dialogues, respectueuse de l’argotique de ses protagonistes, Cyrille Pomès traite des préoccupations et des réalités de l’adolescence. L’image de soi et l’envie de reconnaissance, l’amitié et les ragots, le désir et la drague se mêlent à la provocation et la violence. Le monde de l’adolescence se mêle par moments à celui de l’adulte, mais la frustration, voire le ridicule des rencontres intergénérationnelles soulignent leur opposition. En faisant évoluer les jeunes dans le morne train-train d’un village hors-saison, l’auteur-illustrateur se saisit de détails dans l’environnement direct pour créer l’ambiance anxiogène d’une vie en cul-de-sac. Entrecoupant le rythme des cases, de grandes et émouvantes illustrations de plages vides ou d’un parc aquatique grillagé, surplombés de cieux nuageux, apportent une respiration bienvenue tout en rajoutant au spleen ambiant. Exceptée la brève illumination des étés, « clinquante et bariolée », les habitants semblent privés d’une existence autre que celle vécue par procuration à travers leurs écrans. Le visage estival du village, dont la disparition à la fin de la saison condamne le village à errer jusqu’à l’été suivant, est mis en parallèle avec l’Atlantide, ville mythique engloutie par les flots pour la punir de sa corruption et de son matérialisme démesuré. Sous le regard bienveillant de la pleine lune, Luna et Cosmos, que l’absence de réseau va rapprocher, organisent une fête dans la piscine du parc aquatique fermé et y proposent un moyen de communication retro et joyeux. L’eau réapparaît, porteuse de purification et de renouveau.

Si une lecture peut émouvoir et troubler à la fois, celle de Moon, autant déroutante qu’hypnotique, laisse une impression persistante dont il est difficile de se débarrasser une fois l’ouvrage refermé. Notre société de consommation et d’hyperconnectivité avec son revers tragique qu’est l’isolement sont dépeints parfois crûment, mais sans excès de moralisme. Au contraire, au sein même de cette jeunesse qu’on tend à décrier – à tort – comme léthargique et obnubilée par l’attractivité trompeuse des réseaux sociaux, résident l’espoir et la créativité. L’affection que porte Cyrille Pomès à l’adolescence transparaît tout au long de l’album.

Avec une mention spéciale pour le travail de mise en couleurs d’Isabelle Merlet, voilà une bande-dessinée qui mérite largement le détour.