Pierre Avezard (1909-1992) est né borgne, quasi sourd- muet. A l’école, les enfants se moquent de lui, le traitent de « tête de vipère ». Alors Pierre reste garder les vaches, et, pendant quarante ans, construit un manège à partir d’éléments récupérés : tôle ondulée, ficelles, peinture… toute une machinerie qui fonctionne en pédalant sur une bicyclette. Aujourd’hui, la « Fabuloserie » est devenue un musée d’œuvres d’art brut. Suzanne Lebeau a choisi de raconter la vie de Pierre au théâtre, à travers deux conteuses : l’une chargée de la « petite histoire », l’autre des grands événements. Avec elles, on traverse le siècle, les guerres en égrenant les saisons, tandis que Petit Pierre reste à la campagne, mimant l’avancée de son manège au fur et à mesure du « racontage » des deux femmes. Le procédé, qui pourrait sembler artificiel, passe bien dans la mesure où les phrases des conteuses se complètent, rebondissent, que leurs rôles s’inversent parfois… La pièce, poétique et douce-amère, porte l’accent d’une part sur la solitude et le mépris dont est victime Pierre, d’autre part sur les atrocités du XXème siècle auxquelles il échappe. Je l’ai comparée (même si du théâtre lu ne veut pas dire grand-chose…) à un album de Michel Piquemal et Christophe Merlin, Le Manège de Petit Pierre (Albin Michel, 2005). Ce dernier met plus en valeur l’espièglerie de Pierre, enfant aimé et protégé par sa sœur et son frère, adulte plutôt serein et heureux. De toute façon, Pierre garde une part de mystère, que l’on ne peut tenter de résoudre qu’en visitant la Fabuloserie (http://www.fabuloserie.com).