Qui cache qui ? : bestiaire farceur
L'avis de Ricochet
Sur la couverture de cet album, le nounours pataud à la bouille sympathique est un maître de cérémonie idéal pour un livre d’enfant. Le pinceau d’Elis Wilk trace sa silhouette à l’aquarelle : rose pour le sommet du crâne, une oreille verte, une autre orange, un museau multicolore et puis vert, rose, bleu, orange et jaune continuent à jouer avec les formes de notre héros. L’alternance de ces traces translucides comme des chemins d’escargot esquisse un portrait d’ours plein d’humour et de fraîcheur, qui invite le lecteur, la lectrice à ouvrir le joli livre.
Lorsqu’on le feuillette rapidement, les portraits des animaux apparaissent sur la page de droite, celle qui « saute aux yeux ». La technique est la même, elle évoque les couleurs acidulées de l’Inde : peut-être grâce à ce rose tyrien dont sont fardés les yeux brillants et doux d’un gnou, et qui illumine le cœur de l’album grâce à une mignonne fourmi rose. « Ça n’existe pas, mais pourquoi pas ? » dirait le poète[1], la référence n’est sans doute pas fortuite.
Charmé par cet usage original de la couleur, on ouvre résolument le livre, de taille idéale pour les petites mains, et là, en vis-à-vis avec le gnou, on lit : « Le guépard ».
Le guépard ? De quoi ? Y aurait-il une erreur ? Poursuivons la lecture : « Le guépard n’a pas envie de se montrer. Malgré nos demandes insistantes, malgré nos ruses subtiles, il n’a pas daigné pointer le bout de son nez ». Et on ne peut pas résister à poursuivre : « Comme le guépard n’est pas là, vous pouvez cependant contempler le gnou, qui en profite pour manger tranquillement ». Le texte est de Didier Lévy, cherchez ! C’est un auteur qui aime s’amuser ! C’est pour ça que l’ours d’Elis Wilk se gondole sur la couverture ! Que voilà un bestiaire … farceur !
Alors de page en page se déploie un étrange, subtil et cocasse ballet où chacun cède à chacune, ou inversement, pour évoquer par le biais des raisons de leur absence quelques caractéristiques des animaux qui font titre, alors que sur la page d’à côté un autre animal s’attarde :
« La grenouille
Oui, c’est l’animal qui coasse.
Non, le corbeau, toi tu croasses,
Mais merci quand même pour ta visite. »
Sur la page de gauche cette fois, pour varier les plaisirs, un magnifique corbeau multicolore comme on n’en verra jamais non plus nous adresse un grand sourire, tout content de sa blague. Le rhinocéros noir d’Afrique a disparu aujourd’hui, mais Elis Wilk et Didier Lévy convoquent son fantôme qui hante les rêves des chasseurs en envahissant leur tête et la double-page aussi… Sur la quatrième de couverture, le programme des auteurs se dévoile : imaginer, ne serait-ce pas aussi stimulant que voir ? Et de nombreux animaux ne se dissimulent-ils pas pour se préserver ? Et puis, les contreplats font office d’index, puisqu’on y retrouve tous les personnages évoqués dans l’ouvrage : une belle occasion de s’entraîner à reconnaître, et à échanger.
Ainsi tout au long de cet album dont chaque double-page est une alchimie de poésie et de malice, le petit enfant muse et s’amuse, et le lecteur, fasciné, observe peu à peu la magie qui opère entre l’image et le texte, au gré de la fantaisie des deux auteurs complices.
Un délicat délice à savourer des yeux et des oreilles !
[1] Robert Desnos, « La fourmi »
Présentation par l'éditeur
Voir un animal, ça se mérite. Et l'imaginer sans aller le toucher... ça le protège. Voici un bestiaire qui joue des tours à qui veut s'approcher trop près pour mieux voir et tout savoir.