Rien

Elève de quatrième, Pierre Anthon perturbe toute sa classe en proclamant à tout va que la vie n'a aucun sens, avant de grimper définitivement dans un arbre de son jardin. Ses camarades, après réflexion, décident de lui donner tort en construisant un « mont de signification », agglomérat d'objets divers et variés qui ont chacun une importance pour leur propriétaire. L'idée n'est pas forcément mauvaise, et on commence par rassembler des sandales, des gants de boxe... Le problème viendra du fait que la possession n'est pas librement choisie, mais désignée par le donataire précédent. De fil en aiguille, des comptes se règlent entre collégiens, et on demande la tête d'un animal, la virginité d'une fille, le cercueil d'un petit frère... jusqu'au sacrifice final, forcément insoutenable. Les adultes se mobilisent alors autour des jeunes, hésitant à les réprimander tandis que la presse s'empare du mont et le qualifie d’œuvre d'art. Un musée propose même de l'acheter. Malgré ce succès, Pierre Anthon ne réagit toujours pas. Lorsque le soufflé médiatique retombe, la classe finit aussi par admettre la vanité de l'entreprise.
Janne Teller est une habituée du roman choc, celui qui vous fait froid dans le dos et bouscule vos certitudes. L'hypothèse de départ est ici d'ordre métaphysique, et, en ce qu'elle ne peut recevoir de réponse sûre, elle déclenchera une surenchère malsaine chez des jeunes dont on découvre alors la grande fragilité. Racontée a posteriori, en courts chapitres et en phrases très descriptives par Agnès, une élève comme les autres, l'intrigue angoisse vite, et beaucoup. Des ritournelles de trois mots répétés, ponctuations quasi-obsessionnelles, apportent une touche de folie achevant de glacer, déranger le lecteur. L'auteure, après nous avoir presque fait oublier Pierre Anthon tant l'escalade des dons est éprouvante, reviendra dans la dernière partie du livre à son propos premier, avec une réflexion supplémentaire sur l'art, sur la médiatisation qui à elle seule donnerait une réalité. Un roman très riche, profond, mais aussi extrêmement déstabilisant et presque désespérant. A partir de 15-16 ans.
N.B. : cet ouvrage est la réédition d'un titre paru aux Editions du Panama en 2007.