Rien ni personne

Jeanne n'a pas dix-huit ans, mais une histoire déjà difficile derrière elle. Elle vit seule, dans le logis d'un ancien phare. Elle fait de la boxe thaï et rêve de partir en Thaïlande pour devenir championne. En attendant, elle promène sa solitude dans les bois ou au bord de la mer.

Un jour, au beau milieu de la forêt, elle tombe littéralement sur une vieille dame. Cette « mamie sauvage » n'a pas de papiers, ne réagit pas. Le bon cœur de Jeanne l'entraîne à ramener « Al » (d'Alzheimer) chez elle. Une cohabitation pas toujours simple commence.

Et puis Jeanne rencontre Fabien, un soignant qui connaît l'histoire de Al. Avant de devenir sénile, la vieille dame avait demandé à Fabien de ne pas la laisser vivre ; il l'a plutôt laissée seule dans les bois. Mais c'est Jeanne qui va reprendre le fil de l'histoire de Mme Chamson, ancienne professeur de latin...

L'intrigue, resserrée presque en un lieu, étalée sur relativement peu de temps, comporte également un tout petit nombre de personnages. A contrario, les dialogues sont fréquents, longs car ce sont eux qui délivrent le passé de chacun des protagonistes. Chacune des deux héroïnes, aux deux bouts des âges de la vie, est profondément marquante.

Une personne âgée atteinte d'Alzheimer n'est pas courante en littérature jeunesse. Pourtant, au contact de la révoltée Jeanne, Al qui ne dit pas un mot devient d'abord un peu heureuse et pour nous proche, touchante. La jeune fille qui l'accompagne gagne en nuances, en facettes d'une personnalité bouillante.

Le parcours de Jeanne est en effet complexe : un accident l'a rendue insensible à la douleur physique, finissant par occasionner des difficultés psychologiques. Son père parti, ses relations avec sa mère sont devenues telles qu'elle a fugué. La fuite s'est transformée en drame (on le découvre au milieu du livre). Mais Jeanne a rebondi, par les artifices de la boxe et d'une carapace affective. C'est donc Al qui va, sans rien faire, percer la coquille de Jeanne…

Ecrit de manière assez dure, rempli d'émotions mais jamais agaçant, l'ouvrage se lit très vite. Cependant on repense longtemps à ces éclopés qui luttent, à ces liens du hasard plus forts que ceux de la famille. Un beau et fort roman.