Tout près, très loin

Les contraires s’accordent
Héraclite d’Éphèse

Qu’elle vienne avant ou après la création du livre, l’épigraphe que Rascal imprime à chacun de ses albums ouvre un chemin de lecture, une main tendue. C’est ici le cas et les images en reçoivent un éclairage rassurant (un fil auquel on peut s’accrocher) ou qui intrigue : comment lier la pensée grecque et le minimalisme graphique de Tout près, très loin ?

Simples et complexes les illustrations le sont : le livre s'ouvre sur un motif « égyptien » qui évoque l’œil d’Horus. Puis, au fil des pages, l'auteur-illustrateur juxtapose des contraires identifiés par des adjectifs, situés graphiquement sur les pages ouvertes en haut à gauche et en bas à droite. L’œil, du lecteur-regardeur cette fois-ci, perçoit le rythme, embrasse les deux pages et cherche la confirmation de son interprétation !

Rascal joue avec tous les contraires, formes et couleurs. Donner la sensation du mou sur la page, opposée au dur, est futé ; tous les enfants vont pouvoir identifier sans difficulté ce ballon dégonflé, mollasson qui fait face à un cercle parfait et bien lustré (une boule de bowling ?). Dans la plupart des cas, les couleurs s’opposent et les motifs également, avec beaucoup de simplicité. Mais pas toujours ! Le concept de négatif/positif, à jeux renversés (le négatif est en blanc et le positif est en noir), bouscule nos représentations, voire nos mentalités.

Lorsqu’il coince deux petits ronds identiques entre des masses noires différentes (« étroit » vs « large »), Rascal s’amuse à chambouler nos perceptions par illusion d’optique.

L'adjectif « bas » est situé en haut à gauche de la page ; alors que « haut » est placé en bas à droite : ce renversement chahute notre sens de l’orientation ; l’écriture des mots contredit celle des formes dans un croisement étonnant.

Avec humour et malice, Rascal explore tous les tableaux de nos émotions, jusqu'au pied de nez final.

Sans discours, avec uniquement des contraires, un pur chef-d'œuvre.