La perspective du condor

Après la Sibérie et le fleuve Lena, le conteur Christian Garcin nous invite en Patagonie, en Terre de feu, afin de suivre avec lui quelques animaux à nouveau bien choisis et bien nommés. Il y a les sternes arctiques Solena, Conchita et Pepita, le jeune puma Jorge-Luis Bigfoot qui sympathise avec ses proies, l'acariâtre pivert Ouioui Picasso et son cousin Monjoli Picassiette, le petit manchot peureux Ipolitino Tchak, le baleineau apprenti chanteur Papageno Castafiore-Belcanto, etc. Vous comprendrez que l'humour est au rendez-vous...

Et puis il y a le fantôme Shukukurhtumahgoon, dit Shuk. Les animaux qui le rencontrent l'ont baptisé « ancien animal humain », à défaut de comprendre la présence de cette lueur flottante aux longs cheveux. Shuk observe, écoute, interroge, et cherche aussi sa femme Kush, décédée comme lui depuis très longtemps. De fil en aiguille, et en parallèle des petites histoires des animaux dont la vie est décidément très occupée, Shuk va comprendre que le condor Juan Pablo Ignacio IV de la Cruz a peut-être bien la réponse à sa question : où flotte le fantôme de Kush ?

Mais pour avoir cette réponse, il faudra être patient : attendre des heures que les animaux se décident à livrer les informations qu'ils tiennent tous de leurs ancêtres, aller de digression en explication détaillée, récapituler les éléments connus point par point à chaque nouvelle avancée, et enfin agir, ou pas. C'est un monde merveilleux qui vit au présent et dans la mémoire des anciennes générations…

J'étais dubitative sur le fait d'introduire un homme directement au sein de ces microscopiques aventures animalières au ton savoureux, dont c'est le troisième tome. Mais, parce que Shuk a vécu il y a certainement des siècles, il ne porte en lui aucune caractéristique « civilisée » et s'insère parfaitement dans la faune patagonne. De même, l'énigmatique et mélancolique monstre du lac fait partie d'un univers où le surnaturel ne surprend pas, où les capacités mentales ne sont pas celles auxquelles nous sommes habitués. Christian Garcin, à sa façon tout à fait singulière, compose une nouvelle fois un message de sagesse et de simplicité, teinté d'écologie. J'ai toujours autant aimé !

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« Après avoir vécu là pendant des millénaires, ces Yamanas [Indiens] avaient été exterminés par les nouveaux habitants, car il est bien connu qu'une des caractéristiques de l'animal humain, c'est de détruire d'abord son semblable, et ensuite son propre habitat, ce qui laisse planer un doute sur la santé mentale de cette engeance très particulière. » (p. 19-20)