Le grand match

Les illustrations pleine page, sépia et noir dominants, donnent le ton. Des drapeaux au symbole proche du svastika plombent l’atmosphère. Une galerie de militaires lunettés et casquettés insistent : nous sommes dans un pays totalitaire où se déroule un match de rugby. Les joueurs aux larges épaules, la main sur le cœur vont engager « le grand match ». Tout est raconté par Volodia, un joueur de l’équipe qui préfère affirmer « Vive le sport » plutôt que « Notre guide, notre terre, notre sang » comme l’ordre leur en a été intimé par les fanultras. On entend « ultras », on pense ultranationalistes mais nous sommes dans un pays imaginaire, et la situation est très vite claire : le sport est instrumentalisé par un pouvoir militaire où un match constitue un enjeu de pouvoir. Volodia, amateur, recruté parce que certains joueurs professionnels ont été éliminés, est tout à fait conscient des enjeux. « J’avais été choisi dans l’Equipe nationale parce que je n’étais ni rom, ni juif, ni noir, ni musulman, ni homosexuel, ni opposant repéré » Cette énumération dresse le mur de l’exclusion où s’enferme l’identité nationale. Il a pour capitaine Eugenio, un sportif jardinier, amateur de bonsaïs, concentré symbolique de puissance en réduction.

L’histoire ne réserve guère de surprises. L’équipe d’Eugenio et Volodia va gagner, au péril de leur vie. « Le dilemme est : vaincre et mourir ou perdre et s’avilir ». La force et le réalisme des illustrations et des situations s’appuient sur des exemples consignés à la fin de l’album. L’auteur rappelle la mémoire de sportifs résistants qui honorent le beau Jeu, le Grand Jeu comme un remède aux manipulations multiples qui font la une des journaux. L’amour des auteurs pour le rugby, les belles images du mouvement, le texte très charpenté, un peu lyrique, entraînent le lecteur dans la réflexion au risque du didactisme et de la morale. Plaider la force de l’exemple contre toutes les corruptions, une fable d’apprentissage ou un vœu pieux ?