Western

Un album sans paroles, c’est comme une bande-dessinée : c’est du cinéma en papier, ou plus précisément, un dessin-animé muet. On le sent au rythme, au mouvement, à l’atmosphère. Le lecteur y est un spectateur lointain, il appréhende seulement ce qui est donné à voir, c’est-à-dire surtout les actions silencieuses des personnages.

Dans ce western-spaghetti à la sauce Dorémus, nous sommes donc les témoins d’une course-poursuite poétique à souhait. Un bandit enfermé dans sa prison qui réussit à s’échapper, un shérif qui cavale après lui, un duel à mort, un grand canyon, on entend presque la musique d’Ennio Morricone en fond sonore… Alors que la tension est au maximum entre le shérif et le truand, on assiste à un événement surprenant : une petite coccinelle passe sous les yeux des deux héros, qui abandonnent leur duel pour la voir s’envoler dans un magistral paysage. Tout change pour nos deux héros, qui déposent les armes et partagent un repas autour du feu. Jusqu’à ce que des soldats confédérés les obligent à reprendre la course…

Une des forces des histoires sans paroles, c’est la possibilité qu’a le lecteur de raconter avec ses propres mots un récit sujet à de nombreuses interprétations. Les illustrations ne font que donner des pistes, des légers éclairages. Le lecteur est libre de faire dialoguer les personnages comme il l’entend et de donner du sens à des événements qui rompent ici avec le genre codé du western. Qui est cette coccinelle et que veut-elle ? Pourquoi suit-elle le destin du bandit ? D’ailleurs qu’est-ce qui a amené ce dernier en prison ? Pourquoi le shérif décide-t-il de devenir ami avec lui ? Et que penser de cette fin ouverte pour le moins absurde ? Il est probable que les enfants aient moins de mal à trouver les réponses que nous, lecteurs adultes peu habitués à la fantaisie.

On peut également avoir besoin de plusieurs lectures pour être sensible à la beauté de ce récit en images. Les tracés crayonnés de Gaétan Dorémus forment des lignes qui se croisent ou se superposent pour créer des effets de matières, de relief, d’ombres et de lumières. Les couches de couleurs, les lignes plus ou moins denses, la technique quasiment impressionniste de l’illustrateur donnent une vraie profondeur aux paysages. Par moment, le relief est presque palpable, comme dans les images en trois dimensions, ce qui contribue à magnifier la beauté du grand Ouest, ses couleurs, ses lumières, ses couchers de soleil, ses grandes étendues sauvages…
Tant par les illustrations que par son scénario ouvert et poétique, cet album est pour moi un bel hymne à la liberté.