Pinocchio

Qui connaît l’histoire originale de Pinocchio ? Après son passage à la moulinette de Disney, la plupart d’entre nous n’a retenu que quelque passages-clé, comme le nez qui s’allonge, l’île aux jouets qui transforme les enfants en ânes, la gigantesque baleine Monstro, et d’une manière générale, une gentille fable sur une brave marionnette pleine de bonne volonté qui lutte contre la fatalité pour devenir un vrai petit garçon. Ce livre de belle facture, avec sa traduction très orale et ses illustrations colorées, nous donne à tous l’occasion de revenir sur un conte beaucoup plus dense que ce que l’on en sait.
Pour commencer, l’histoire de Pinocchio est bien plus longue, pleine de péripétie diverses ; plus qu’un conte à morale, il s’agit d’un roman-fleuve, qu’on ne racontera certainement pas à un enfant en une seule soirée. Ensuite, et c’est là que se situe tout l’intérêt, on réalise vite que le personnage de Pinocchio est loin de l’image sympathique que l’on en a : dans toute la première partie, il est insolent, ingrat, égoïste en diable, pour tout dire antipathique. Ne pensant qu’à son plaisir immédiat, il s’embarque dans tous les chemins de traverse qui s’offrent à lui, et ses remords, s’ils existent, sont tardifs et de courte durée. C’est donc une vision sans concession de l’enfance que nous livre Collodi : on est loin de l’image d’Epinal du brave gamin gentil et innocent, ici l’enfant est avant tout égocentrique, et si sa bonne conscience –le fameux grillon, qui se fait écraser au marteau dès le chapitre 4, mais revient parfois sous forme de fantôme- lui dicte la bonne conduite à adopter, ce vœu pieux ne survit pas à la première tentation venue.
Pourtant, Pinocchio voudrait bien devenir un vrai petit garçon… Ici se situe l’aspect initiatique du roman : pour quitter son état de marionnette, c’est à dire symboliquement quitter l’enfance pour passer à l’âge adulte, ou tout du moins à l’âge de raison, il devra d’une part réaliser que ce qui est bon pour lui n’a pas forcément de lien avec le plaisir qu’il en retire, et d’autre part, surtout, dépasser l’égoïsme naturel de l’enfance, s’ouvrir aux autres, et faire preuve d’un esprit de sacrifice, comme en a fait preuve le vieux Gepetto envers lui. Car c’est en se mettant à travailler dur tout les jours pour sauver la vie de son père-créateur que Pinocchio devient humain…
Il s’agit donc d’un conte très moral que ce Pinocchio, et si certains enseignements paraissent un peu datés, si certains symboles semblent un peu cousus de fil blanc, le fil rouge du conte reste tout à fait d’actualité : réaliser par soi-même ce qui est bon pour soi, au-delà de son propre plaisir, faire ce qu’on estime être bien non pas pour obéir ou pour plaire, mais dans son intérêt et celui des autres, cela s’appelle grandir.