La nuit des couleurs
L'avis de Ricochet
Ce splendide matou roux crémeux qui illumine la nuit sur la couverture bleue de l’album, le croissant de lune qui fait comme un sourire au titre La nuit des couleurs, l’appel des tuiles rondes et lisses et le chemin tracé d’empreintes d’une promenade nocturne : voilà une invitation à laquelle il est très difficile de résister !
Dans ce conte imaginé par Marylin Mathon, le roi Wilbur III, aveuglé par le pouvoir, entend imposer sa vision du monde à son peuple, quitte à se débarrasser des fâcheux qui le contrediraient. Dans ce pays de lumière, où la couleur enchante le monde, l’illustrateur Romain Lubière imagine aussi de belles images symboliques comme cette ombre néfaste qui se profile, l’index menaçant. Gare aux contestataires !
C’est ainsi que le jeune peintre Arabal se retrouve en prison : il a protesté contre le dictat ordonnant l’uniformisation du monde et sa neutralisation par le gris. Tout doit être au carré, sans fioritures, et tout doit être uniformément recouvert d’une bonne couche de gris, les rues, les maisons, les arbres, les animaux, les oiseaux, l'ensemble du vivant dont les couleurs chamarrées dérangent l’idéal de « ternitude » du souverain…
Mais l’histoire tourne court, et il n’y aura pas de révolte, pas de rébellion : le lecteur reste sur sa faim. Au contraire, tout alors va très vite, dans le plus grand silence et le plus grand renoncement. Une double-page illustre par exemple la procession des animaux qui s’achemine vers le palais, et qui croise la cohorte de tous ceux qui ont déjà subi la terrible sentence : gris comme la pierre, tristes et silencieux, qu’ont fait de leur majesté, de leur puissance, y compris symbolique, le lion, le paon, l’éléphant ou le dragon ? Ils s’éloignent, accablés par leur transformation, sans aucune velléité de protestation. La matité du papier permet d’aplatir encore leur silhouette, de la fondre dans l’uniformité.
Mais Arabal n’a pas dit son dernier mot, et grâce à son chat Théophile, c’est lui qui va réveiller les consciences. Sous le pinceau affûté de l’artiste, du fond de son obscure cellule, la couronne rousse du jeune peintre illumine le ciel resté bleu. L’image se morcelle, Romain Lubière oppose dans des vignettes au contour flou les étapes de cette rébellion nocturne, pour mieux caractériser leur clandestinité. Et puis, Théophile est découvert, et le gris et la couleur s’affrontent sur la page, deux conceptions du monde, et la prise de conscience collective de l’aberration : le monde doit retrouver sa diversité !
« Éliminer les différences ne profite à personne », « écouter la voix [du] peuple », voilà le nouveau programme d’un dictateur revenu à la raison… Le conte condamne les caprices du roi qui s’est pris pour un dieu et a voulu refaire le monde à sa seule convenance : la leçon de tolérance qui constitue le message final, la morale du conte, semble pourtant une conclusion un peu rapide à ce revirement idéologique. Et s’il n’y avait pas eu Arabal ?
Présentation par l'éditeur
Conte politique, cet album nous entraîne dans un univers dictatorial ou les couleurs sont un jour bannies. Un album pour parler de politique, de liberté et aussi découvrir pourquoi les éléphants sont devenus gris et les licornes transparentes ! Wilbur III aime l’ordre et la discipline. Depuis son arrivée au pouvoir, il a interdit le grand marché, fait raser les maisons biscornues, fait abattre des