Liberté

Magnifique initiative que cette édition du poème le plus célèbre de Paul Éluard illustrée par quinze artistes contemporains^[1], souvent aussi auteurs-illustrateurs d’albums, aux identités professionnelles inventoriées en fin d’ouvrage. La belle illustration de couverture est d’Aurélia Fronty et on la retrouve dans le livre. Un dossier documentaire réalisé par Alain Serres contextualise la création du poème, bien utile pour les jeunes lecteurs et lectrices. 

Le poème est décliné strophe à strophe, page à page dans un premier temps, pour permettre d'entrer dans le texte, éprouver sa musicalité, goûter les mots en y associant les tableaux imaginés par les plasticien·ne·s. Et puis, la strophe se dénoue et s’étale phrase après phrase sur toute la largeur d’une incroyable double-page imaginée par l’artiste iranienne Noushin Sadeghian. Particulièrement symbolique en cette période tragique pour beaucoup d’enfants, celle-ci est l’illustration magistrale de la force de ce poème et de sa contemporanéité. 

S’il est difficile dans une simple chronique de détailler la spécificité de chaque interprétation plastique, celle-ci est incontournable pour moi. Composée en miroir, elle oppose deux images mises en lumière par leur présentation en forme de cônes inversés, dont les deux pointes se rejoignent au centre de la double-page, comme une paire d’ailes reliées par un simple crayon bleu. À gauche, sur un fond blanc mais sali, au rythme des formules scandées (« Sur les images dorées / Sur les armes des guerriers / Sur la couronne des rois »), dans une figuration très explicite, l’argent et les armes servent le pouvoir et la violence. Les fusils sont pointés sur la page de droite où se déploie dans le cône un envol de colombes, dont certaines luttent contre la poussée, silhouettes arquées, toutes ailes battantes, sur un fond noir comme un ciel nocturne, éclairé par un croissant de lune et quelques étoiles du même bleu que le crayon qui pointe vers la soldatesque, moyen de défense dérisoire peut-être mais symbole du poème même, et de son message de résistance : « J’écris ton nom ». 

Le texte vit ainsi sur l’image, dans l’image ou à côté avec plus de force du fait d’un découpage faussement aléatoire qui oblige le lecteur à se poser pour faire le lien texte-image : c’est la fusion des deux qui donne encore plus de force aux mots du poète. Chaque double-page nous ouvre les yeux sur un univers différent, tant dans les moyens d’expression que dans les motifs et leur traitement, et cette variété donne un relief au texte pris dans sa globalité, en exprimant plastiquement son caractère universel. Les peintres aussi sont des poètes. 

Car tout est beau. Les couleurs, les lumières, les contrastes, la finesse d’un trait, l’empreinte d’un pinceau, la matière et la transparence. L’ensemble résonne comme les ondes générées par la chute d’un caillou dans l’eau, les éléments s’enchaînent de texte à image, entre images, entre découpages. C’est une interprétation merveilleuse et un poème complet que cette association entre le multiple et l’unique, une vraie réussite d’un projet assez fou : faire renaître et prolonger l’effet intemporel d’un texte si célèbre qu’il aurait pu tomber dans un négligent oubli. Même si ce sont probablement les évènements dramatiques du présent qui l’ont suscité. 

Superbe et nécessaire.

^[1] Dans l’ordre d’apparition, comme au cinéma, Cécile Gambini, Martin Jarrie, Noushin Sadeghian, Marc Majewski, Evelyne Mary, Vanessa Hié, Nathalie Novi, Bertrand Dubois, Javier Zabala, Sandra Poirot-Chérif, Bei Lynn, Judith Gueyfier, Aurélia Fronty, Zaü et Laurent Corvaisier.