Alphazoo

Quelle belle initiative que celle de MeMo d’éditer en français cet album italien paru en 1968, aujourd’hui épuisé ! Cet abécédaire d’un genre sauvage incite le jeune enfant à s’approprier les lettres par le jeu et le mime. En effet, se détachant sur la page crème, la lettre stylisée imprimée dans un noir gras brillant arbore un œil fixe et rond, d’un effet comique assuré, qui la transforme derechef en figure animée, et plus, en représentation animale. Des animaux certes très allusifs qu’il convient de nommer ou d’imaginer, pour les identifier. L’ajout d’un orifice buccal ouvert sur des dents acérées permet sans erreur de les apparenter à un bestiaire plus fabuleux que réaliste, mais absolument ludique.

Cette proposition littéraire fut une innovation saluée dans le paysage des livres pour enfants, au même titre que les œuvres des auteur·rice·s publiés par les éditions Emme dans ces années-là, tels que Leo Lionni, Iela Mari, Bruno Munari, mais aussi Tomi Ungerer et Maurice Sendak. L’édition en 1970 d’un autre abécédaire, de la grande Sonia Delaunay, très coloré et tout en mouvement fut une proposition aussi novatrice pour faire découvrir autrement les lettres aux enfants.

Aujourd’hui encore, de telles publications restent originales et pleines de panache : en provoquant, en bousculant, ou plus simplement en interpellant, elles rappellent que l’attention chez le petit enfant est le prérequis de l’apprentissage par l’appropriation. D’autres auteurs ont pris avec bonheur le relais d’Alfredo De Santis et Sonia Delaunay, comme Olivier Tallec et son AbécéBêtes, mais l’audace de l’artiste graphiste est plus proche sans doute dans la démarche de Vincent Mathy, dans Couché par exemple, ou de Raphaële Enjary dans Amimots.

Un jeu de lettres de bois, plus proche d’un jeu de cubes que d’un puzzle, reprenant les trouvailles de l’artiste avait à l’époque été réalisé pour une exposition. L’occasion pour les enfants de manipuler aussi les lettres et de les associer pour inventer des mots peut-être, des rugissements aussi ! Certainement une création appréciée par Alfredo De Santis lui-même. Mais ce jeu n’a jamais édité pour être diffusé : peut-être est-ce une autre piste pour redonner vie à cette œuvre singulière et poétique, d’une sauvagerie pleine de charme et d’humour ?