Aux ordres du cœur
L'avis de Ricochet
« Maman pirouette. Elle a la tête d’une petite fille qui s’attend à se faire disputer. Ou celle d’une vieille femme perdue dans les limbes. »
A Céline G qui, tout comme la narratrice de ce roman, accompagne de temps à autre sa maman pirouette dans le Pays imaginaire !
Le titre de ce court roman est une référence à une citation d'Antoine de Rivarol, un écrivain de la fin du XVIIIe siècle : « La mémoire est toujours aux ordres du cœur ».
Cette maxime, Johanne, la narratrice, va la suivre à la lettre, afin de permettre à sa mère, atteinte de sérieux troubles de la mémoire liés à une maladie neurodégénérative, de se plonger dans les méandres de son passé heureux de jeune femme amoureuse.
Pour ce faire, mère et fille se rendent à Londres où, dans les années 80, Nelly Mercandier, actrice prometteuse de vingt ans, épouse le célèbre réalisateur de films John Solomos Garner dont elle est tombée « amoureuse comme on tombe d’une falaise ». Revoir la maison dans laquelle les deux amants ont vécu, poser de nouveau le pied dans ces parcs où ils se sont promenés, tout cela replonge littéralement Nelly quarante ans en arrière dans cette bulle de bonheur que l’adultère viendra percer (John était en effet connu pour son amour des femmes). Jour après jour, Nelly oublie celle qu’elle est devenue pour redevenir celle qu’elle était alors. Et même si des fulgurances du présent se rappellent à elle, elle préfère s’enfermer dans le rôle de « la magnifique jeune femme qu’elle a été, l’innocente et redoutable actrice dont tous les hommes étaient épris, parce qu’ils avaient l’impression qu’ils ne vieilliraient jamais s’ils goûtaient au parfum de ses lèvres ».
Ce retour vers le passé ne se fait hélas pas sans causer des dommages collatéraux sur les proches de Nelly et en particulier sur Johanne qui, du haut de ses 17 ans, a décidé de sortir sa mère de la chambre médicalisée dans laquelle elle végétait pour entamer ce voyage. Très vite, l’adolescente se retrouve de fait à participer activement à ce jeu de rôles. Finalement, il y a bien deux Fée Clochette dans ce pays imaginaire ! Toutefois à trop vouloir jouer et à errer dans un passé révolu, à trop vouloir protéger sa mère d’un retour brutal à la réalité, c’est Johanne qui risque de laisser sa propre jeunesse et son insouciance s’échapper !
Parce qu’on connaît Fabrice Colin en littérature jeunesse pour ses romans de science-fiction (à tort sans doute, comme nous le prouve ce titre), les premières pages de ce roman bousculent notre horizon d’attente quant au possible contenu du texte que nous avons entre les mains. Et plus on avance dans la lecture, plus le lecteur est happé par cette folle, délicate et si vraisemblable histoire d’amour entre une mère et sa fille. Ce huis clos auquel convie le texte, cette plongée dans les souvenirs d’une vie, en l’occurrence celle de Nelly, rendent en effet ce moment de lecture profondément intimiste et très émouvant.
Ce titre, de la toute nouvelle collection Court toujours dont la ligne éditoriale s’ingénie à mettre à l’honneur des textes courts et accessibles, disponibles en versions papier, audio et numérique, à écouter en podcast « partout, tout le temps », a accroché notre attention. S’il remplit les critères de cette nouvelle collection, le roman de Fabrice Colin les détourne et les dépasse également. En effet, ces 58 pages mettent en exergue le talent de l’auteur, lequel parvient à embarquer son jeune lecteur, à le détourner de ses préoccupations quotidiennes nécessairement égocentrées pour s’intéresser au quotidien d’une femme vieillissante, malade de surcroît. Une femme qui, la plupart du temps, ne sait plus qui elle est (qui parfois même ne reconnaît plus sa fille) et qui fait un pied de nez à ce présent si cruel en obligeant les siens à revivre ses souvenirs heureux. Résumé ainsi, vous seriez tenté·e·s de conclure que ce texte est déprimant à souhait, or c’est là que Fabrice Colin se révèle virtuose, car il parvient précisément à rendre légers, poétiques voire cocasses des instants de vie qui oui, effectivement, porteraient à la mélancolie. Quant à la langue, elle est effectivement accessible, sans pour autant affadir le style de Fabrice Colin, ni desservir la profondeur de ses propos. C’est une ode à la vie que l’auteur signe ici en laissant les derniers mots au personnage de Johanne qui semble soudain s’affranchir de sa mère et vivre sa propre vie. Aux lecteurs de prolonger cette expérience de lecture feutrée et extrêmement personnelle en élargissant le champ des possibles de ce texte, en imaginant la suite de l’histoire !
Pensés pour les 15-25 ans, inspirés des « Short Stories » anglosaxonnes, les romans publiés dans la collection Court toujours chez Nathan entendent coller au plus près aux modes de vie des ados et jeunes adultes. Les points forts de cette collection sont en effet multiples. Le fait d’acheter un roman de cette collection sous la forme papier pour la somme fixe de 8 euros permet tout d’abord aux lecteurs de choisir le support et le mode de lecture qui leur conviennent le mieux : version papier, version audio, version numérique, statique (dans sa chambre) ou mobile (dans les transports par exemple en lisant sur son téléphone). Et le format poche des livres rend aisé le transport dans un sac à main ou un sac à dos ! En second lieu, les titres parus ont été écrits par des auteurs ou autrices de littérature contemporaine au style tantôt percutant, tantôt intimiste mais toujours sensible et engagé, à l’imagination foisonnante. Les thématiques très actuelles et diverses, traitées dans les six romans (l’inceste, le harcèlement, la discrimination…) permettront ainsi à tous de trouver le roman qui plaira aux lecteurs de petit appétit comme aux lecteurs aux goûts déjà affinés et de varier les plaisirs de lecture des lecteurs compulsifs. Une collection à suivre donc !
A découvrir dans cette même collection :
Rachel Corenblit, Les potos d’abord
Séverine Vidal, Son héroïne
Gaël Aymon, Silent boy
Florence Hinckel, Comme un homme
Vincent Cuvellier, Le plus mauvais livre du monde
Présentation par l'éditeur
La vérité n'a aucune importance. C'est maman qui choisit ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. J'irai où ma mère ira. Peu importe ce que nous verrons, ce que nous vivrons. Elle aura toujours raison. La mère de Johanne est malade. La jeune fille de 17 ans fait le projet insensé d'entreprendre avec elle un dernier voyage à Londres, sur les traces de son passé, de tenter de reconstruire son monde perdu, quitte à sombrer dans la folie, elle aussi...